Il est possible que certains des « Je me souviens » ci-dessous reprennent sous une forme plus ou moins similaire des « Je me souviens » dispersés dans les centaines d’articles publiés sur ce blog. Mais qu’importe ! Je laisse aller ma mémoire !
Je me souviens quand mon père installait le projecteur Bell & Howell et l’écran dans le salon pour les projections du dimanche, un 346A Super 8 qu’il surélevait à l’aide d’annuaires téléphoniques après avoir déroulé l’écran hors de son tube et l’avoir ajusté sur son trépied. Je me souviens de l’odeur de plastique que diffusait cet écran, odeur qui dans ma mémoire reste inséparable de ces séances. Je me souviens des Charlie Chaplin, avec mon préféré, « The Adventurer », dont la moindre séquence suffit à me faire revenir dans le salon de l’enfance fait salle obscure ; et je ne puis résister au plaisir de le mettre en lien :
https://www.youtube.com/watch?v=XLZGkZoOvHc
Je me souviens de Jerry Lewis dans « Doctor Jerry and Mister Love », une version burlesque de « Doctor Jekyll and Mister Hyde ». Je me souviens des facéties du Dr Jerry dans son laboratoire.
Jerry Lewis et Stella Stevens dans « Doctor Jerry and Mister Love »
Je me souviens de « Taxi Blues » (Такси-блюз), un puissant film sur l’U.R.S.S. de la перестройка et de la гласность, sur le tempérament russe, sur « l’âme » russe, sur l’homme enfin, l’homme mis à nu..
Je me souviens de l’étrange destin d’Oskar Werner (Jules), le partenaire autrichien de Jeanne Moreau (Catherine) dans « Jules et Jim » :
http://blogs.timesofisrael.com/the-amazing-wartime-life-of-oskar-werner/
Je ne me souviens pas de m’être ennuyé avec Maurice Pialat, un cinéaste pourtant « ennuyeux ». Je me souviens tout particulièrement de « Passe-ton bac d’abord », l’ambiance.
Je me souviens de l’atmosphère étouffante — les relations intra-familiales — de « Sonate d’automne » d’Ingmar Bergman. Je me souviens de Liv Ullmann dans le rôle d’Eva, la fille, et d’Ingrid Bergman dans le rôle de Charlotte, sa mère.
Je me souviens de « Cría cuervos » de Carlos Saura, du Madrid des années 1970, mon premier contact avec l’Espagne. Je me souviens de la stupéfaction effrayée et dégoûtée de l’enfant, Ana, devant les pattes de poulets dans le réfrigérateur.
Je me souviens de « Young Frankenstein » de Mel Brook, de la chevelure électrisée du Dr Frederick Frankenstein (Gene Wilder) et du strabisme divergeant de son assistant, Igor (Marty Feldman).
Igor (Marty Feldman) et le Dr Frederick Frankenstein (Gene Wilder)
Des séquences du « Tambour » de Volker Schlöndorff me reviennent souvent, et à l’improviste, comme cette séance de footsie (under table) entre la mère (Angela Winkler) et son amant (Daniel Olbrychski). A ce propos, je me souviens que ce thème est utilisé dans la série russe « Banditskiy Peterburg » (Бандитский Петербург), avec Olesya Sudzilovskaya :
https://www.youtube.com/watch?v=lcSbsz_T_pI
Je me souviens de ces effrayantes séances de roulette russe avec paris dans « The Deer Hunter » de Michael Cimino.
Je me souviens d’avoir vu « La planète sauvage » dans une salle de la rue Champollion. Je me souviens des draags et des oms aussi sûrement que des shadoks et des gibis. Je me souviens du bruit cristallin que faisait l’éclosion brusque les végétaux-minéraux — ou minéraux-végétaux.
Je me souviens du « Bal des vampires » (The Fearless Vampire Killers), avec la belle Sharon Tate dans le rôle de Sarah, la fille des Shagal (les aubergistes), et son mari, Roman Polanski, le réalisateur du film, dans le rôle d’Alfred, l’assistant du professeur Abronsius. Je me souviens de Sharon Tate. J’ai découvert l’horreur de son assassinat lorsque j’étais enfant, par le magazine Paris Match. C’était au cours de l’été 1969. Ce qui m’avait le plus effrayé : ces trois lettres de sang tracées sur un mur : PIG.
Sharon Tate et Roman Polanski dans « The Fearless Vampire Killers »
Nous n’avions pas la télévision ; ma mère la refusait catégoriquement prétextant qu’elle abrutissait petits et grands ainsi que je l’ai déjà écrit. J’ai donc très peu regardé la télévision au cours de mon enfance et de ma jeunesse, hormis au mois de juillet, chez le garde-chasse et sa femme, plus ou moins à l’insu de ma mère, ma mère qui nous réveilla pourtant, en pleine nuit, pour… regarder la télévision. C’était en juillet 1969 ; l’homme s’apprêtait à marcher sur la Lune. La télévision… Je me souviens de quelques épisodes de « Thierry la Fronde », avec Jean-Claude Drouot, et du « Manège enchanté » — l’accent anglais de Pollux m’amusait plus que tout. Mais je me souviens surtout du poste de télévision, avec son coffre en bois verni et son écran enfoncé dans une sorte de marie-louise. Je me souviens qu’un faisan vénéré empaillé y était posé. Mais j’allais oublier ! Je me souviens de la musique qui accompagnait l’horloge ORTF :
https://www.youtube.com/watch?v=VjlS6uZnsg4
Dans les couloirs du métropolitain parisien, je me souviens tout particulièrement de l’affiche annonçant « Le Mariage de Maria Braun » (Die Ehe der Maria Braun) de Rainer Werner Fassbinder, avec Hanna Schygulla. Je me souviens aussi de celle annonçant « Le Fantôme de la Liberté » de Luis Buñuel, une sorte de collage surréaliste : un fessier rose (qui aurait pu être une paire de testicules) monté sur pattes d’autruche, coiffé de la couronne de la Statue de la Liberté et brandissant sa torche, une torche molle, retombant sur elle-même.
A propos d’affiches de cinéma, je me souviens de celle de M.A.S.H., autre collage invraisemblable avec cette entité organique constituée de jambes de femme qui se prolongent en une main plutôt masculine dont l’index et le majeur dessinent le V de la Victoire, l’index étant coiffé d’un casque U.S. M1, une affiche qui figura longtemps au fronton de ce petit cinéma à l’angle de la rue Champollion et de la rue des Écoles, Le Champo.
Je le souviens d’avoir vu « Bullitt » de Peter Yates en compagnie de mon père, un mois de juillet, au cinéma de l’île d’Yeu. Je me souviens d’avoir vu « Andreï Roublev » d’Andreï Tarkovski et « Dersou Ouzala » de Kurosawa dans des cinémas parisiens — lesquels ? —, en compagnie de ma mère.
Je me souviens de « La Honte » (Skammen) d’Ingmar Bergman, avec Liv Ullmann et Max von Sydow ; mais je ne me souviens pas (comme trop souvent) du cinéma parisien dans lequel j’ai vu ce film.
Je me souviens quand j’avais toujours sur moi L’Officiel des spectacles et, parfois, Pariscope. Je me souviens du bandeau bleu en haut de la page de couverture de L’Officiel des spectacles.
Je me souviens de « El extraño viaje » inspiré du « Crimen de la playa de Mazarrón ». Je me souviens du cadavre caché dans la tinaja de vin :
Je me souviens de « Demonios en el jardín ». Je m’en souviens par Ángela Molina car l’histoire elle-même s’embrouille dans ma mémoire et part en lambeaux lorsque je m’efforce de la reconstituer ; il me reste donc Ángela Molina. Même remarque avec « Sé infiel y no mires con quién » ; il me reste Ana Belén.
Je me souviens de livres qui ont inspiré des films et de mon égal plaisir à lire ces livres et à voir ces films. Parmi eux : « Le salaire de la peur », « Les choses de la vie », « The Go-Between », « Death in Venice ». Il y en a d’autres mais pas tant, le film s’avérant souvent plus pauvre que le livre qui l’a inspiré.
Romy dans « Les choses de la vie » :
https://www.youtube.com/watch?v=EDzQj2q-PWU
Je me souviens de Françoise Fabian dans « Ma nuit chez Maud » d’Eric Rohmer, un temps du cycle des « Six contes moraux ».
Je me souviens de l’immense écran de la Cinémathèque française, au Palais de Chaillot, et de l’imposante silhouette d’Henri Langlois.
Je me souviens que nous nous sommes embrassés pour la première fois au Champo, au cours de la projection de « Lolita » de Stanley Kubrick.
Je me souviens du cinéma La Pagode repensé par Louis Malle.
Je me souviens que j’ai découvert Lucia Bosè dans « Muerte de un ciclista » de Juan Antonio Bardem. Je me souviens de l’avoir retrouvée dans « Satyricon » de Federico Fellini. Je me souviens que le fils qu’elle eut avec le torero Luis Miguel Dominguín, Miguel Bosè, apparaît dans « Tacones lejanos » de Pedro Almodóvar et dans « Libertarias » de Vicente Aranda. Ci-joint, une suite de photographies de celle qui fut Miss Italia 1947 :
http://fanpix.famousfix.com/gallery/lucia-bose
Je me souviens quand les salles de cinéma et les écrans étaient bien plus grands que ceux d’aujourd’hui.
Je me souviens de Louis de Funes disant « Ma biche » à Claude Gensac. A ce propos, je me souviens des tronches d’ahuris des gendarmes dans cette série qui accompagna mon enfance. Je me souviens plus particulièrement de celle de Christian Marin avec ses oreilles décollées.
Christian Marin (1929-2012)
Je me souviens de William Jolivard (Bernard Menez) à la recherche de sa crotte dans « Le chaud lapin » et du fou rire qui s’en suivit :
https://www.youtube.com/watch?v=kJ3Tq1R_xzM
« Je me souviens des actualités au cinéma » écrit Georges Perec. Je m’en souviens aussi mais vaguement, si vaguement que je me demande parfois si je n’ai pas rêvé…
Olivier Ypsilantis