On s’interroge beaucoup sur les causes de l’inflation. Pour ma part, et sans me présenter comme un spécialiste de la question, je m’en tiendrai à une analyse classique de laquelle je ne me suis jamais écarté en dépit d’une actualité particulièrement agitée et bavarde. Je maintiens que si l’actuelle inflation a plusieurs causes, la plus importante d’entre elles, et de loin, est celle des politiques de la Federal Reserve System (Fed), une banque qui agit selon deux principes simples (aux effets complexes) afin de fortifier la stabilité de l’économie et des prix : lorsque l’activité économique ralentit dangereusement, la Fed la stimule à l’aide d’une politique souple : baisse des taux d’intérêt et augmentation de la masse monétaire ; lorsque l’économie est en surchauffe, la Fed resserre sa politique : augmentation des taux d’intérêt et réduction des injections monétaires, soit la planche à billets ou Quantitative Easing (QE).
La guerre en Ukraine a bon dos et permet aux responsables politiques et à ceux de la Fed de déclarer que l’inflation (voir IPC) est due à la pandémie et à la guerre en Ukraine. L’explication est un peu courte pour ne pas dire mensongère. Il me semble que l’explication est à rechercher plus en amont dans le temps, avant donc la pandémie et la guerre en Ukraine. On ne peut se borner à penser que la hausse des prix est de l’inflation et que les prix baisseront si la demande est calmée par une simple augmentation des taux d’intérêt. Pour ma part, et très modestement, j’ai toujours pensé que la raison la plus profonde de la hausse des prix est l’augmentation de la masse monétaire. C’est tout au moins ce que ma culture économique (limitée) me souffle depuis bien des années. J’ai toujours regardé le Quantitative Easing et la vie à crédit avec suspicion, quitte à me faire traiter de has been. Je maintiens que la force principale qui entraîne une hausse générale des prix est l’inflation monétaire. Et si l’offre de biens et de services augmente au rythme de la masse monétaire, aucune hausse générale des prix ne se note.
L’augmentation de la masse monétaire que nous expérimentons ne rend pas compte de la richesse de ceux qui produisent de la richesse mais de ceux qui parviennent à capter cette masse monétaire. Une fois encore, ce flux nuit à une croissance saine et au bien-être social. Autrement dit, il faut en finir avec cette débauche d’achats d’actifs de la part de la Fed, des achats qui s’opèrent à partir de création monétaire ex nihilo si je puis dire. Si l’actif provient d’un établissement non bancaire, la masse monétaire s’en trouve presque aussitôt augmentée ; mais ce n’est pas tout. Une fois monétisé par la Fed le déficit budgétaire de l’État vient augmenter la masse monétaire. De fait, cette création monétaire créée de fausses richesses et n’aide en rien une authentique croissance économique, une croissance qui étant authentique est également plus juste et ne suscite pas ces graves distorsions, tant économiques que sociales, que finit par produire la « féérie » de la création monétaire massive et ex nihilo, éventuellement efficace sur le court terme mais qui sur le moyen terme et plus encore sur le long terme produit de graves effets et contribue à la formation de bulles, aussi dangereuses d’une certaine manière que le coup de grisou ou que l’embolie gazeuse artérielle.
La hausse des taux d’intérêt est-elle une solution ? La création monétaire à tout-va affaiblit la croissance économique réelle – saine –, comme l’affaiblit l’augmentation des taux d’intérêt destinée à contrer l’inflation. On lutte contre l’inflation (et la formation de bulles) mais on affaiblit la croissance économique saine, celle qui n’a rien à voir avec l’activité débridée de la planche à billets, un analgésique qui certes réduit la douleur mais dans un même temps affaiblit l’organisme.
Nombre de responsables politiques estiment que la Fed doit augmenter les taux d’intérêt afin de briser les reins du monstre Inflation. Pourtant, au point où nous en sommes, une hausse significative des taux d’intérêt pourrait confirmer une récession prolongée, très prolongée, sachant qu’une récession ponctuelle ne doit pas être envisagée comme une catastrophe mais comme un temps qui permet à certains organes et muscles surmenés de se reposer et de mieux accomplir ce qui leur sera demandé.
Il s’agit donc d’assainir l’activité économique des manipulations des banques centrales sur les taux d’intérêt et le fonctionnement de la planche à billets qui portent préjudice, notamment par une mauvaise allocation des ressources, à l’économie que je qualifierais de « sérieuse »
La Fed augmente les taux d’intérêt dans l’espoir de freiner l’inflation. Mais cette augmentation pourrait nuire à l’économie. Il me semble que pour réduire l’inflation, il faudrait commencer par calmer la planche à billets. Mais je ne suis probablement qu’un vieux schnock dont les analyses sont dépassées.
Je ne lis pas dans les boules de cristal et le marc de café, je ne sais ce qu’il va advenir de l’Europe. Je ne sais plus où trouver l’Europe qui ne peut être ce foutoir. La différence entre les taux d’intérêt par exemple allemand et italien laisse présager une implosion (ou une explosion) de l’Union européenne. Explosion (ou implosion), soit le retour aux monnaies nationales. Autre solution, plus soft, et probablement plus efficace, une sortie de l’euro de la locomotive économique de l’Europe, l’Allemagne (et peut-être d’autres pays du Nord), et la conservation de l’euro pour les pays de l’UE du Sud, dont la France qui rejoint lentement mais sûrement la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.
Je ne nie pas les bienfaits de l’Europe mais je veux d’abord évoquer l’euro, car l’euro n’est pas une construction économique mais politique, une construction dans laquelle la France a eu un rôle central suite à la réunification de l’Allemagne qui inquiéta grandement François Mitterrand, alors président de la République. L’idée était de créer un couple franco-allemand indissociable, notamment par la création d’une monnaie unique. Depuis le début, l’euro est économiquement allemand mais politiquement français – pensé politiquement par la France.
Donc, François Mitterrand a présidé la réunification allemande en échange de l’adhésion de l’Allemagne à l’euro, moyennant quelques critères de gestion (les critères de Maastricht, bien oubliés). Helmut Kohl est alors chancelier. Il prend la décision de convertir l’Ost Mark (RDA) au prix du Deutsche Mark (RFA) alors qu’un Ost Mark vaut plus ou moins dix fois moins qu’un Deutsche Mark. L’Allemagne n’a pas les moyens d’une telle conversion mais le geste est plus politique qu’économique. Il s’agit de montrer que tous les Allemands se valent.
Probablement hantés par l’hyperinflation de 1923, sous la République de Weimar, les Allemands refusent de monétariser et ne font donc pas fonctionner la planche à billets. Ils préfèrent emprunter sur les marchés les Deutsche Mark nécessaires à la parité Deutsche Mark / Ost Mark mais ce faisant ils drainent le marché monétaire au point de l’assécher, provoquant mécaniquement une hausse massive des taux d’intérêt responsable de la crise économique de 1990 à 1995. C’était le prix à payer pour obtenir l’adhésion de l’Allemagne (réunifiée) à l’euro.
Aujourd’hui, soit un peu plus de vingt ans après la création de la monnaie unique (lancement entre le 1er janvier 1999 et le 1er janvier 2002), l’euro va mal, très mal. On en vient même à envisager le retour aux monnaies nationales et plus probablement la division de l’euro en deux monnaies. Voir à ce propos la proposition du prix Nobel d’Économie Joseph Stiglitz, avec un euro pour l’Europe du Nord et un euro pour l’Europe du Sud.
Le scénario d’une sortie de l’Allemagne de l’euro, le Gerxit, est de plus en plus évoqué. Le manque de discipline et notamment de la part de l’autre poids lourd de l’Europe, la France, inquiète de plus en plus notre voisin, et à raison. Je passe sur les détails, mais je dois avouer que la France me fait honte car elle en prend vraiment à son aise avec cet État obèse, car doté d’un appétit gargantuesque, un État qui par ailleurs se montre de plus en plus inefficace à force de vouloir se mêler de tout, en particulier d’économie, un domaine auquel il n’entend par ailleurs rien. Il me semble que l’Allemagne a élaboré un plan de sauvetage, et dans les détails, soit le retour au Deutsche Mark.
Parmi les causes diverses de la fin (éventuelle) de l’euro, le manque de rigueur budgétaire de l’État français. Mutualiser la dette comme veut le faire Emmanuel Macron, c’est bien mais dans certaines limites que la France semble avoir du mal à appréhender. Il ne s’agit pas de mutualiser pour permettre à un État gargantuesque de s’empiffrer plus encore. Cette mutualisation exige (et déjà pour des raisons morales) une rigueur – une diète – que la France ne semble pas prête à s’imposer.
Mais il y a bien d’autres problèmes qui rendent l’euro invivable. Faire de l’Europe un État fédéral (à supposer que la chose soit souhaitable) demandera beaucoup plus de temps. Nous ne sommes pas les États-Unis. En Europe, les intérêts économiques, politiques, géopolitiques et même démographiques divergent immensément et rien n’indique qu’ils tendent à se réduire. L’écart entre les taux d’intérêt sur les dettes tend à se creuser, ce qui pourrait signifier le début de la fin de l’euro, avec retour aux monnaies nationales, ou tout au moins son réaménagement (voir Joseph Stiglitz) en zone Nord et zone Sud, la France s’installant toujours plus dans cette dernière.
Olivier Ypsilantis