Ce texte m’a été envoyé par un ami, B. Lev :
DE L’ESPOIR
Tant qu’au fond du cœur
l’âme juive vibre,
et dirigé vers les confins de l’Orient
un œil sur Sion observe.
Notre espoir n’est pas encore perdu,
cet espoir vieux de deux mille ans
être un peuple libre sur notre terre,
terre de Sion et de Jérusalem.
Hatikva (L’Espoir) est l’hymne de l’État d’Israël dont les paroles ont été composées par Naftali Herz Imber et la musique adaptée à partir d’une mélodie populaire. Comment ce poème et cet air se sont-ils rencontrés et pourquoi ont-ils acquis une telle place dans le cœur de tant de sionistes ?
A. Le poème
a. L’auteur et son époque
Naftali Herz Imber (1856, Zolochiv, Galicie austro-hongroise – 1909, New York City) était un enfant prodige, bien versé dans les textes juifs. Adolescent, il adhère à la Haskala, comme beaucoup de sa génération, et voyage en Hongrie et Bessarabie. En 1877, il arrive à Iași en Moldavie roumaine, un an après la naissance dans cette ville du premier théâtre Yiddish (initié par Goldfaden). Accueilli chez l’érudit et homme d’affaires Moché Waldberg, il entreprend de rédiger en hébreu un poème intitulé Tikvatenou (Notre Espoir).
Les deux premières strophes de Tikvatenou, manuscrites et dédicacées par Naftali Herz Imber en 1908.
Quatre ans plus tard, Naftali Herz Imber se trouve à Constantinople où il rencontre Laurence_Oliphant, un diplomate et journaliste anglais, chrétien, porté sur le mysticisme et sur le retour des Juifs dans leur terre ancestrale. Laurence Oliphant avait déjà visité cette province ottomane, ainsi que quelques communautés juives en Russie et en Roumanie ; il avait tenu un discours très encourageant à Focsani, en janvier 1882, lors de la première réunion des associations sionistes du jeune royaume de Roumanie. Laurence Oliphant propose alors au jeune Naftali Herz Imber de devenir son secrétaire et enseignant-traducteur d’hébreu. En novembre 1882, Naftali Herz Imber et le couple Oliphant s’installent dans une villa à Haïfa. En été, il fait trop chaud “en ville” et Laurence Oliphant achète une parcelle dans le village druze voisin (Dalyat al-Karmel) pour y faire construire une maison où ils logeront tous.
Maison de Laurence Oliphant à Dalyat al-Karmel
Laurence Oliphant se promène dans le pays et envoie pour publication au New York Sun ainsi qu’au Jewish Chronicle à Londres ses études et les descriptions de ses visites. En 1885, il réunit une soixantaine de ses articles dans l’ouvrage “Haifa or Life in Modern Palestine”.
La réunion de Focșani avait eu des effets immédiats : en août 1882, une quarantaine de familles (soit 228 personnes) embarquaient sur un bateau au départ de Galați et fondaient la Mochava (localité rurale) Rosh Pina, suivies une semaine après par 386 personnes qui fondèrent la Mochava Zichron Yaakov. C’était le début de la première Aliya. Elle était composée majoritairement de Juifs de la zone de résidence russe, de Roumanie, de Bulgarie et du Yémen, qui s’installèrent dans les villes du « vieux Yichouv » (Hébron, Jaffa, Safed, Tibériade, Jérusalem) et sur des terrains achetés dans le Golan et dans le Hauran, en Galilée, dans la plaine du Sharon, avec leurs fonds mais aussi grâce aux dons des barons Maurice de Hirsch et Edmond de Rothschild.
Cette même année, suite aux pogroms russes, Léon Pinsker publie “Auto-émancipation” et le mouvement des Amants de Sion prend de l’ampleur.
b. La rédaction du poème
Au cours de son séjour, Naftali Herz Imber visita la trentaine de nouvelles localités, séjourna dans les villes, écrivit des poèmes qu’il récitait volontiers (après quelques verres de vin), notamment Tikvatenou qu’il peaufinait et qu’il compléta en 1884. Dans son premier recueil de poèmes, intitulé Barkaï (L’Aurore) et publié à Jérusalem en 1886, Tikvatenou comporte neuf strophes en vers. De l’ensemble des poèmes publiés, c’est Tikvatenou qui suscite le plus d’enthousiasme chez les Haloutzim (pionniers, mot hébraïque ressuscité par Naftali Herz Imber). Dans “Notre Espoir”, Naftali Herz Imber évoque, dans la langue ancestrale, l’âme juive, et son attachement à la terre ancestrale, Jérusalem tout particulièrement, le sentiment national juif et, surtout, l’espoir de se retrouver sur cette terre ancestrale.
L’un des secrets de cet engouement réside dans le dialogue du poète avec les sources hébraïques car ce poème s’accorde avec la mentalité des Haloutzim qui sont pour la plupart, comme lui, des gens issus de milieux traditionnels, pratiquants — c’est avec des caftans et des boucles rousses et blondes que Laurence Oliphant les décrit — et hébraïsants : les noms qu’ils choisissent pour leur Mochavot sont tous puisés aux sources bibliques. Ainsi, l’un des plus célèbres vers “Notre espoir n’est pas encore perdu” (Od lo aida Tikvatenou) est la réponse de Naftali Herz Imber à la vision du prophète Ezékiel (37:11) : “Nos ossements sont desséchés, notre espoir est perdu”. Lorsqu’il évoque le regard porté vers l’orient, il dialogue avec le poète Yéhuha Halévi (Espagne, 12ème siècle) qui écrit : “Mon cœur est à l’est et je suis au fin fond de l’ouest.”
La “Hatikva”, texte hébreu, anglais et translitération.
c. L’accueil et l’évolution du poème
Une fois le poème déclamé, on ressent le besoin de le chanter. Une première tentative (comportant une mélodie distincte pour chacune des neuf strophes) échoue, et un jeune Haloutz, Samuel Cohen, qui avait reçu le recueil de Naftali Herz Imber dans sa Bessarabie natale, envoyé par son frère installé en Eretz Israël, commence à le fredonner sur une mélodie populaire roumaine (chantée ici par son neveu, Nathan Kogan). Samuel Cohen était arrivé à Rishon LeZion en 1887 .
L’accord entre le poème et la mélodie est enfin au point. Les fermiers de Rishon LeZion le chantent lors de leurs réunions ; ceux de Rehovot l’adoptent comme hymne de leur Mochava ; les autres Haloutzim l’adoptent avec enthousiasme.
L’un des fondateurs de Rosh Pina exporte la chanson en Europe. Un hazan (cantor) de Breslau le transcrit et le publie en 1895 dans une brochure de “Quatre mélodies syriennes ” sous le titre Sehnsucht. La même année, le poème est réédité en Eretz Israël sous le titre Hatikva (L’Espoir), en inversant toutefois les deux strophes du début.
En 1898, Theodor Herzl effectue sa visite historique en Eretz Israël. Accueilli à Rehovot au son de la Hatikva, il n’est pas particulièrement ému, son hébreu étant limité. Ce n’est qu’au 4ème Congrès sioniste (Londres, 1900) que les délégués entonnent spontanément la Hatikva. Au 6ème Congrès sioniste (1903) au cours duquel l’option ougandaise est débattue, les mots Aïn le Zion tzofiya (L’œil regarde vers Sion) touche la corde sensible des délégués et le Congrès s’achève sur une retentissante Hatikva. Dorénavant, implicitement, la Hatikva devient le chant de clôture. Elle ne devient l’hymne du mouvement sioniste qu’au 18ème Congrès, en 1933 et, de ce fait, il est décidé qu’il sera chanté debout.
La dernière retouche avait été effectuée en 1905 par le Dr. Metmann-Cohen, alors professeur à l’école de Rishon LeZion, puis directeur du premier lycée hébraïque, Gymnasium Herzliya, à Tel Aviv. Il remplace “L’ancien espoir” par “L’espoir de deux mille ans” plus précis mais surtout, il remplace “retourner à notre terre ancestrale, à la ville où [le roi] David a séjourné” par “être un peuple libre sur notre terre, terre de Sion et Jérusalem”, plus pertinent pour ceux qui ont fait leur Aliya. Les vers ne riment plus mais le poème se fait ainsi vecteur d’espoir pour l’indépendance nationale. Cette version est restée quasi confinée à Eretz Israël jusqu’à la fin des années 1940. En diaspora, on chantait surtout la version de Naftali Herz Imber.
Voici une exceptionnelle interprétation enregistrée en 1918 par la soprano Alma Gluck qui donna tous les droits de cet enregistrement (bien vendu) aux entreprises du Yichouv. Elle y chante une strophe de plus et sa prononciation sépharade de l’hébreu est singulière ; à l’époque, la prononciation courante en Occident était ashkénaze.
Et voici des jeunes élèves du lycée hébraïque de Munkács, Hongrie, au début des années 1930.
La capacité mobilisatrice de la Hatikva est démontrée dans ce reportage poignant tourné à Bergen-Belsen en avril 1945.
B. La mélodie
Carul cu Boi n’est pas la seule chanson populaire roumaine qui utilise cette mélodie. On en connaît au moins trois autres.
Mais la mélodie est bien plus ancienne. On la retrouve en Italie, aux alentours de 1600, transcrite par Giuseppe Cenci (Giuseppino del Biado), ténor de la chapelle papale au service du cardinal Odoardo Farnese puis du cardinal Scipione Borghese, neveu du Pape Paul V, avec les paroles de la canzonetta Fuggi, fuggi, fuggi da questo cielo. On la retrouve également sous le titre La Mantovana ou “Le bal de Mantoue” et elle circule au cours des cent-cinquante années suivantes dans toute l’Europe : Noël suisse en France, Kucheriava Katerina en Ukraine…
Certains ethnomusicologues italiens soutiennent que les soldats de l’armée turque (en majorité hongrois, serbes, roumains) se seraient imprégnés de l’air de La Mantovana lors du siège de Candia en Crète (1647-1669) et l’auraient répandu en rentrant chez eux.
Est-ce lors de ses voyages en Italie que Mozart entendit l’air qu’il insert dans la 8ème des douze Variations sur Ah ! vous dirais-je, maman, K265 (publiées à Vienne en 1785) ?
En fait, l’air est d’origine plus ancienne. Dans certaines communautés ashkénazes (par exemple en Silésie polonaise), le Piyout Yigdal Elohim Haï composé par Daniel ben Judah Dayan à Rome au milieu du 14ème est chanté sur cet air. Voici la version que chantait le Hazan (cantor) Myer Lyon (Leoni) vers 1770 dans la grande synagogue ashkénaze de Londres. Mais dans les synagogues espagnoles-portugaises d’Amsterdam, de Paris, de Bayonne, de Bordeaux, de Londres, on chante la prière pour la rosée, Lekh Leshalom Geshem, suivant cette même mélodie, de toute évidence emportée et pieusement conservée par les Juifs expulsés d’Espagne en 1492. La racine mélodique de la Hatikva fait donc bien partie du patrimoine juif, éparpillé et itinérant, comme le sont les Juifs et la langue hébraïque autour de la Méditerranée et au-delà.
La Hatikva a toujours été plébiscitée par la vox populi : l’attachement serait-il atavique ?
C. L’orchestration et l’hymne
La Hatikva était surtout chantée. Mais plus le Yichouv se développait, plus le besoin d’une transcription orchestrale se faisait sentir.
En octobre 1945, arrivé en Palestine mandataire à bord d’un destroyer britannique, le chef d’orchestre italien Bernardino Molinari déclare qu’il est venu à la suite d’une vision de la Vierge Marie. Le Maestro a dirigé durant trois ans l’Orchestre Symphonique de Palestine (fondé en 1936 et devenu l’Orchestre Philharmonique d’Israël). Dans son orchestration pour chœur et orchestre, aux instruments à cordes à la sonorité veloutée, et grâce au perspicace contrepoint qu’il introduit, l’air mineur gagne en profondeur.
Les autorités du mandat britannique en Eretz Israël – Palestine ont interdit aux orchestres de jouer la Hatikva, et à la radio de la diffuser. A la place, on fait jouer la Moldau de Smetana. Mais voici qu’en novembre 1947, à la veille de la décision historique de l’ONU, Chaïm Weizmann préside un gala au Waldorf Astoria de New York City pour célébrer son 73ème anniversaire et une levée de fonds en faveur de l’Institut des sciences de Rehovot (qui depuis porte son nom). En prévision de l’événement, il demande à Kurt Weill (rencontré quelques mois auparavant, lorsque ce dernier rendait visite à ses parents en Palestine mandataire) de composer pour cette soirée une interprétation de la Hatikva pour l’Orchestre Symphonique de Boston, dirigé par Serge Koussevitzky. Le vote des Nations-Unies, quatre jours après, recevra un accueil plus enthousiaste que la déconcertante orchestration de Kurt Weill.
Le 14 mai 1948 donc, après la déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël, le public chante la Hatikva et l’Orchestre Philharmonique d’Israël la joue sous la baguette de Bernardino Molinari. Inculpé en Italie (peut-être parce qu’il avait joué pour Mussolini), Bernardino Molinari part dans les semaines suivantes (serait-il venu dans l’espoir d’expier ses fautes ?). Son orchestration est alors remplacée par celle de Paul Ben Haïm. Il faudra l’insistance de Leonard Bernstein pour revenir, une décennie après, à la version de 1948 qu’il dirigera lui-même au début du mémorable concert de juillet 1967 au Mont Scopus, dans Jérusalem unifiée, la version que l’on joue depuis en Israël.
Dans la France libérée, Emil Stern demande au parolier Henri Lemarchand d’écrire des paroles françaises pour la Hatikva, devenue Garde l’espérance et chantée par Renée Lebas.
Ce n’est qu’en 2004 que la Hatikva est devenue officiellement l’hymne national de l’État d’Israël. A l’origine de cette initiative, Ayoub Kara, un membre de la Knesset (Parlement) et ministre druze. C’est son grand-père qui avait vendu le terrain sur lequel Laurence Oliphant bâtit la maison de Dalyat al-Karmel, soit cent vingt ans après la rédaction du poème. Sépharades, ashkénazes, italiens, yéménites, druzes, chrétiens, musulmans… cent trente ans plus tard, soit près de deux fois l’existence de l’État d’Israël, l’espoir nous anime toujours.
B. Lev
Que dire sinon Kol Hakavod?
Article particulièrement bienvenu alors qu’on rentre dans une journée difficile, le Yom Hazikaron pour nos soldats et concitoyens.
Merci Olivier
Hormis les bébés victimes d’actes de terrorisme, tous ceux et celles tombés que l’on commémore ont chanté Hatikva.
Osseh Shalom BiMromav, Hou Ya’asseh Shalom Aleinou ve-al Kol Israël”
Celui qui fait la paix dans Ses hauteurs fera la paix pour nous et pour tout Israël.
C’est la dernière ligne du Kaddish, prière des morts par et pour les vivants.
Bravo pour ce super article !
Il n’y a qu’en Israël qu’on peut voir ceci:
http://www.lemondejuif.info/tsahal-interprete-poignante-hatikva-en-langue-signes/
Coïncidence: le 1er mai, Europe 1 a diffusé une émission sur l’histoire de la Marseillaise.
http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Au-coeur-de-l-histoire/Sons/LE-RECIT-La-Marseillaise-2109217/
כל הכבוד אחי
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