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Carnet israélien (avril 2024) – 9/18

Depuis le 7 octobre 2023 j’observe plus que jamais les réactions du monde occidental envers les Juifs et l’État d’Israël. Il me semble entrevoir un désir sourd de la part de cette civilisation structurée par le christianisme (mais aujourd’hui post-chrétienne) d’en finir avec Israël (le peuple et l’État) ou tout au moins de l’amoindrir.Le monde post-chrétien se déclare Verus Israel et se lance dans une concurrence morale avec Israël, le vrai Israël. Les de-gauche se comportent comme l’Église d’antan ; il s’agit pour eux de chapeauter Israël selon un schéma élaboré par cette Église qu’ils dénoncent par ailleurs. Leur inculture religieuse les empêche de comprendre qu’ils ne font que reprendre un vieux schéma religieux en le sécularisant – ce sont les post-chrétiens.

La tradition hébraïque : monothéisme absolu et coopération entre Dieu et l’homme. Son universalisme est le contraire de l’impérialisme, car pour cet universalisme chaque nation a son génie propre, irréductible. Mais contrairement à l’universalisme juif, l’universalisme du christianisme et l’universalisme de l’islam sont des impérialismes. Ils imposent leur modèle tout en ouvrant largement leurs portes (prosélytisme et conversions peu exigeantes). Et l’un et l’autre drainent des foules immenses, ce qui les porte à croire qu’ils sont universels.

Le 7 octobre repose la question de l’universel. Paul de Tarse a simplifié le judaïsme, il l’a débarrassé de ses « complications » et a rendu ses exigences morales moins contraignantes afin de gonfler les effectifs de sa nouvelle religion et en augmenter la force.

Je reste frappé par le peu de réaction du monde occidental, chrétien et post-chrétien face au massacre du 7 octobre, et c’est aussi ce qui m’a décidé à me rendre en Israël pour participer à des travaux de volontariat. Me servir de mes mains m’aide à me laver la tête de toute cette saleté que nous servent les appareils de propagande de la social-démocratie. La réponse d’Israël est loin d’être disproportionnée. A ce propos, une question. Une réponse proportionnée d’Israël aurait pu consister à répéter aussi scrupuleusement que possible le 7 octobre dans la bande de Gaza en adoptant les mêmes méthodes que le Hamas et ses supplétifs, avec viols de femmes, tortures, démembrements et j’en passe. Qu’aurait dit le monde alors ? Réponse proportionnée ?

Le 7 octobre a activé la haine envers Israël et les Juifs. La légitime réponse d’Israël a cette atrocité est dénoncée sur tous les tons, braillard chez les Arabes, doucereux chez nous. Et le mensonge s’active. Le nombre des victimes « selon le Hamas » est diffusé en boucle comme si ce nombre était crédible (avec cette disproportion douteuse entre le nombre des victimes hommes et celui des victimes femmes et enfants). Mais à force d’être répété il entre dans les têtes, s’y installe et devient une vérité. C’est le Neighborhood Bully que chantait Bob Dylan. C’est le mouvement « Woke » qui recouvre tout et plonge les esprits dans une apathie mortelle – c’est un totalitarisme mou et poisseux.

La lutte contre le Hamas doit être radicale. Pas question de laisser une force militaire même résiduelle dans la bande de Gaza. Comme un cancer, il faut nettoyer par chirurgie ou/et traitements divers (radiothérapie, chimiothérapie, etc.). Par ailleurs, le problème central des otages ne peut plus se régler par simple échange disproportionné, à un contre plus de mille comme dans le cas du soldat Gilad Shalit. Parmi les Palestiniens échangés contre ce soldat, de nombreux condamnés à perpétuité pour crimes de sang.

L’idiot des autres, les gens de Chelm pour les Ashkénazes, Cha’ha pour les Séfarades. Chelm, la ville des simples d’esprit dans la culture yiddish, une bêtise pourtant pas si bête puisqu’elle se propose de contourner la bêtise. Critique et auto-critique, auto-dérision même, une lucidité sur ses défauts et ses qualités mais exercée par soi-même contre soi-même car on supporte mal que ce soit un autre qui nous rappelle nos défauts. Les gens de Chelm, page 223 à 243 dans « Tout l’humour juif » de Marc-Alain Ouaknin et Dory Rotnemer. Le judaïsme c’est beaucoup de choses à la fois mais en aucun cas une religion ; c’est plutôt un art nous dit Stéphane Zagdanski (né en 1963), « c’est une sorte de jazz, si tu préfères. Le judaïsme est au sens ce que le jazz est au son. Un savoir mobile, gai, très intense, positivement vivant envers et contre tous. Il naît à un moment un peu flou de l’histoire humaine, se clôt à un autre, pas très précis non plus, tel un immense battement de cœur du temps. » Le judaïsme, diastole/systole, inspiration/expiration. Descartes a écrit : « Je pense donc je suis. » Le Juif dit : « Je lis, j’écris, j’écoute, je questionne, je réponds, je cite, je narre, je nomme, je discute, j’apprends, j’enseigne, je ris, et bien d’autres choses encore (une si longue liste), donc je suis. » Stéphane Zagdanski compare le judaïsme au jazz : flamboiement de l’improvisation, énergie créatrice d’une petite communauté détestée, joie. Les bons mots de maîtres hassidiques transmis par leurs disciples de génération en génération. L’enseignement par l’humour. Les renversements de perspective et de formulation.

 

Nuit du 13 au 14 avril. Je ne ferai pas dans un compte-rendu exhaustif de l’attaque iranienne contre Israël avec de plus de trois cents drones, missiles sol-sol et missiles de croisière, presque tous interceptés. A présent, comment concevoir la réaction à cette attaque ? En fonction des dégâts provoqués, très faibles, ou bien du nombre d’engins lancés en direction d’Israël, car il s’agit bien d’une attaque massive ? Ne pas s’aliéner le peuple iranien qui ne souhaite dans sa très grande majorité que mettre fin à l’actuel régime. Il me semble que les Israéliens en tiendront compte. Le régime est aux abois. Patience. Nous avons été avertis la veille de cette atttaque par des amis d’Ashdod. L’appartement est équipé d’un mamad et nous pouvons suivre le déroulement des opérations en direct grâce à un lien donné par ces mêmes amis.

Le trafic aérien a repris ce matin au Ben Gourion International Airport. Sous nos fenêtres, la circulation est parcimonieuse car Pessa’h approche ; mais il y a aussi une certaine inquiétude due à une possible autre attaque iranienne, plus massive encore peut-être. Par ailleurs, les centres éducatifs sont fermés. La frappe israélienne contre le consulat d’Iran à Damas serait une réponse aux fournitures d’armes par l’Iran aux Palestiniens de Cisjordanie.

Longue conversation téléphonique avec Hannah B., demeurant à Jérusalem. Une conversation très stimulante et pleine d’entrain. En Israël l’inquiétude génère de l’énergie, un élan, du rire même – les pirouettes de l’humour. Je pense à l’humour hassidique, l’une des formes les plus débridées, dynamiques et, dirais-je, joyeuses de l’humour juif.

Dans l’introduction à « Tout l’humour juif » de Marc-Alain Ouaknin et Dory Rotnemer, une intéressante considération sur Sigmund Freud, plus particulièrement sur son dernier ouvrage, « L’Homme Moïse et la religion monothéiste » (1939). Qui fut Moïse ? Un Hébreux ? Un Égyptien ? Le plus intéressant n’est pas la problématique historique relative à ce personnage mais la question de l’identité. Qu’est-ce qu’une identité ? Sortir Moïse de la catégorie « Hébreu » ou « Égyptien » pour le projeter dans un espace où les catégories se diluent. Ce livre de Sigmund Freud, par ailleurs très sérieux, pourrait être envisagé comme un grand éclat de rire, l’air de rien. « Mais le projet humoristique de son testament littéraire consiste à entrer dans l’infini d’une identité toujours en question, toujours à venir. Questions qui l’ont hanté toute sa vie : Suis-je juif ? Suis-je allemand ? La psychanalyse serait-elle une histoire juive ? » L’humour ou la remise en question de vérités toutes faites, en commençant par la remise en question de soi-même, ce soi-même érigé comme une statue, voire une idole. La remise en question de l’identité personnelle. Moïse, Hébreu ou Égyptien ? Sigmund Freud, Juif ou Allemand ? Ni l’un ni l’autre et les deux en même temps. Où Sigmund Freud rencontre James Joyce qui fait dire à son personnage : « Jewgreek is greekjew. Extrems meet ». L’impossibilité d’une identité définitive et la nécessité d’une identité dialectique sont traduites avec une intensité particulière par Franz Kafka. De ce fait, vouloir interpréter un texte de Franz Kafka c’est faire fausse route ; il faut lâcher prise, se détourner de l’interprétation, des interprétations, de toutes les interprétations. Lire Franz Kafka dans l’espace très variable et physiquement éprouvé (diastole/systole, expiration/inspiration) entre deux lectures simultanées, l’espace ménagé par la mise en regard de deux niveaux (de lecture) comme par exemple sens propre/sens figuré. Dans une lettre à Felice Bauer (datée du 7 octobre 1916), Franz Kafka se demande s’il n’est pas un écuyer monté sur deux chevaux (un juif et un allemand) ; et il conclut : « Malheureusement, je n’ai rien d’un écuyer, je gis par terre. »

L’humour, une fluidité et une dynamique. L’humour est la marque d’une mobilité. Être juif n’est pas chose simple, c’est pourquoi un Juif est quelqu’un qui ne cesse de se demander : « Qu’est-ce qu’être juif ? » Cette parabole de Franz Kafka : « … Où vas-tu, maître ? – Je ne sais pas, dis-je, je ne veux que partir d’ici, ce n’est qu’ainsi que je pourrai atteindre mon but. – Donc, tu connais ton but ? – Oui, répondis-je, ne te l’ai-je pas déjà dit ? Partir d’ici, tel est mon but. »

Olivier Ypsilantis

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