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Carnet israélien (avril 2024) – 6/18

9 avril

En route vers le moshav Bnei Netzarim pour une journée de travail. Ce moshav (rattaché au conseil régional d’Eshkol) est à quelques kilomètres de Gaza et à très peu de distance de la frontière égyptienne. Il a été fondé par des Israéliens évacués de Gaza (Netzarim) dans le cadre du désengagement unilatéral de 2005. Dans l’autobus qui nous conduit au moshav, une majorité de femmes, des séfarades qui ont longtemps vécu en France avant de faire leur alya. Elles parlent français entre elles et certaines parlent à peine l’hébreu. Elles se lamentent sur l’état de la France, « un si beau pays », et évoquent la France de leur enfance, un beau voyage dans les « Je me souviens ». Elles parlent aussi de cuisine avec échanges de recettes. L’une d’elle demande comment cashériser ses plats. Une autre déclare ce que j’entends très souvent ici, en Israël : « Ce qui nous arrive vous arrivera », une mise en garde que je partage depuis longtemps. Il est vrai qu’avec l’attentat du Bataclan (Paris, 13 novembre 2015) et celui de la promenade des Anglais (Nice, 14 juillet 2016) nous avons un avant-goût de ce qui nous attend.

Sur un panneau routier, je lis Mitzpe Ramon. J’ai une pensée pour André Chouraqui. Lorsque je l’ai appelé, il ne me reconnaissait pas ; l’infirmière a repris le téléphone et m’a simplement dit : « Les facultés cognitives de Monsieur Chouraqui ont beaucoup diminué ». Bernanrd Chouraqui, un penseur singulier, une rencontre magnifique entre toutes. Tout en observant le paysage, je pense à des écrivains voyageurs, en particulier aux Britanniques, mes préférés, parmi lesquels Eric Newby.

Arrivée au mochav Bnei Netzarim. Nous passerons cette journée à nettoyer de leurs feuilles mortes de longs alignements de fraisiers hors-sol et sous serres. Les Israéliens font pousser de tout dans le désert, c’est l’une des marques (et non des moindres) de leur esprit d’entreprise et de leur créativité. Lorsqu’on est entouré de masses qui ne souhaitent que votre destruction, de masses qui ne comptent que sur la « supériorité » du nombre, on ne peut que s’en remettre à sa tête, à la recherche de solutions ingénieuses. Et j’en reviens aux aventures d’Astérix le Gaulois, une aventure bien française mais surtout juive. A méditer.

Des nuages et un peu de fraîcheur (bienfaisante) passent dans l’immense serre. Partout un sable très fin – comme de la farine – et ocre. Un ciel gris jaune voilé. Parfois le rugissement lointain de chasseurs-bombardiers. Tsahal va-t-il attaquer Rafah ? Je l’espère. Le Hezbollah va-t-il faire pleuvoir des missiles sur Israël ? Je persiste à croire qu’il ne va pas (oser) franchir une certaine limite. Avant de quitter la serre, un Juif religieux s’approche de moi, beau visage d’acteur américain. Il est suivi de trois jeunes garçons – ses enfants ? Il m’interroge en hébreu. Je lui réponds en anglais que je ne parle pas hébreu et m’adresse aux jeunes. L’un d’eux parle quelques mots d’anglais. Je lui explique que j’appartiens à un groupe de volontaires qui effectue divers travaux agricoles. L’un des jeunes me lance un mot. Je lui demande ce qu’il signifie. Il me répond : « Congratulations in yiddish ».

Retour vers Ashdod et arrêt à Nova, aujourd’hui 9 avril, presque six mois jour pour jour après le massacre du 7 octobre 2023. Beaucoup de visiteurs sur les lieux de ce massacre, voitures et autocars garés un peu partout. Des drapeaux israéliens de formats très divers flottent dans le vent. Chaque victime aura son arbre, sera arbre, c’est ainsi en Israël. Des ouvriers placent devant chaque arbre un panneau en fer avec le nom de la victime inscrit en vide dans le panneau. Je suis émerveillé par la force d’Israël qui jamais ne se laisse submerger par la tristesse, se place toujours au-dessus d’elle. Au fond, Israël ne cesse de dire « oui » à la vie. Israël nous aide, que nous soyons juifs ou non. Peuple très ancien, Israël se tient à l’avant-garde et nous avertit : vivez mais soyez lucides ! J’observe l’espace de Nova, un espace planté d’eucalyptus plutôt grêles et espacés, avec un sol en terre durcie, avec rien où se cacher.

 

10 avril 

Gros titre dans Le Monde (ce quotidien s’est jeté sur cette information qu’il ne cesse de nous resservir sans l’avoir vraiment analysée étant donné qu’elle sert sa cause, soit un anti-israélisme d’autant plus pénétrant qu’il se dit volontiers à demi-mot) : « Dans la bande de Gaza, les origines de la guerre sont démultipliées par les algorithmes ».

Pedro Sánchez veut devenir le champion de la reconnaissance d’un État palestinien. Cet homme qui ne connaît rien à la politique internationale mais qui possède un très solide instinct de survie politique (il l’a prouvé à plusieurs reprises) et qui a assimilé les techniques de racolage électoral se devait d’enfourcher le dada de la cause palestinienne pour y caracoler. Ce parfait démagogue ne pouvait négliger une cause qui plaît tant au plus grand nombre et qui ne peut qu’amplifier son électorat même si les Espagnols sont avant tout soucieux de problèmes domestiques. Lorsqu’il est question de la Palestine et de la « question palestinienne », on s’émeut, on dénonce Israël ; et celles et ceux qui ne savent rien savent d’un coup, comme par enchantement. C’est qu’une propagande doucereuse joue sans cesse, par l’image – par l’émotion donc. Et ces images ne montrent que des Palestiniens, des enfants de préférence. L’émotion et rien que l’émotion ; la réflexion est évacuée. Pedro Sánchez a fait le bon calcul : promouvoir un État palestinien ne peut que lui rapporter des voix, en aucun cas lui en ôter. Cet homme qui ne pense qu’à sa survie politique ne pouvait agir autrement.

Le déficit public de la France (qui m’inquiète depuis une vingtaine d’années) était attendu à 4,9 % du PIB pour 2023 ; il s’établit à 5,5 %. Emmanuel Macron s’énerve contre Bruno Le Maire. Cause : un ralentissement plus marqué des recettes et non un dérapage incontrôlé des dépenses publiques.

Les États-Unis ont une perception précise de leurs intérêts. On ne saurait leur en vouloir, même si leurs intérêts diffèrent des nôtres. Et l’Ukraine n’est pas inscrite dans leurs priorités. Ils ont réussi leurs manœuvres dans la mesure où la création de Eurussie (Europe + Russie) est sinon irrémédiablement enterrée tout au moins ajournée et durablement. Cet espoir se dessinait avec le resserrement des liens économiques entre l’Allemagne et la Russie. Mais à présent, le resserrement se fait entre la Russie et la Chine, deux pays qui œuvrent à fédérer les BRICS et les éloigner de l’orbite américaine. La production industrielle des BRICS est à présent supérieure à celle du G7 et de ce fait le dollar comme monnaie de réserve mondiale peut se trouver menacé. Au binôme Russie/Chine s’ajoutent d’autres pays comme l’Iran, la Corée du Nord. Le Grand Continent (ou BRICS), c’est 36 % du PIB mondial et 46 % de la population mondiale, avec l’essentiel des ressources énergétiques mondiales. La guerre en Ukraine est de moins en moins prioritaire pour les États-Unis, une guerre qui accapare trop les capacités militaires du pays qui doit gérer au moins trois foyers de tension et peut-être plus demain. Les capacités nucléaires de la Russie obligent par ailleurs les responsables politiques et militaires américains à de laborieuses contorsions afin d’éviter l’engrenage nucléaire. Les Soviétiques ont reculé à Cuba, il n’est pas sûr que les Russes reculent en Ukraine. Scénario envisageable : que les États-Unis négocient avec la Russie (dans un proche avenir, peut-être dans le courant de l’année prochaine), à l’insu de l’Europe, un partage de l’Ukraine comme ils ont négocié avec la Chine, à l’insu des Coréens, un partage de la Corée. Je ne sais si ce scénario est souhaitable mais il est probable.

Olivier Ypsilantis

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