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Carnet israélien (avril 2024) – 2/18

3 avril

Lecture de quelques articles publiés dans la presse française. J’en retire une impression amère, avec cette prétention à tout expliquer à partir de préjugés nationaux et d’une analyse politique faussée ; ainsi d’un article de RFI qui analyse la situation suite à l’attaque imputée à Israël contre la section consulaire de l’ambassade d’Iran à Damas le 1er avril. L’analyse est un peu molle avant d’en arriver à cette affirmation qui passe de bouche en bouche, à savoir que l’actuel chef du Gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu, n’étendrait le champ de la guerre et ne la prolongerait que pour se maintenir au pouvoir et échapper à des difficultés intérieures. Cette appréciation est celle d’un regard extérieur qui plaque ses présupposés sur la politique intérieure du pays. Ainsi oublie-t-on le 7 octobre et rapporte-t-on ce drame existentiel pour Israël a une vulgaire petite affaire d’ambition politique comme on en voit tant dans nos pays qui ne connaissent pas la guerre ou de telles agressions. Selon un « brillant » analyste, voyant que la guerre à Gaza tire à sa fin (surtout si l’opération sur Rafah est ajournée), Benyamin Netanyahou s’efforcerait de prolonger la guerre en la portant vers le nord, au Liban et en Syrie contre le Hezbollah ou, tout au moins, de maintenir la tension, voire de l’augmenter, en favorisant des opérations ponctuelles comme celle du 1er avril. Il ne s’agit pas là d’une analyse mais d’un discours de propagande contre l’actuel Premier ministre israélien. J’admets qu’on le critique, et même durement, je n’admets qu’à partir d’un présupposé on ramène ses décisions à la simple sauvegarde de petits intérêts personnels. Ce Premier ministre est certes critiquable comme le sont tous les Premiers ministres mais il me semble que sa stature politique dépasse cette « analyse » particulièrement étriquée reprise en boucle par des esprits paresseux.

Le nouveau chef du Gouvernement portugais, Luis Montenegro, a pris ses fonctions hier, 2 avril. Parmi les dossiers qui l’attendent, la revalorisation des salaires dans la fonction publique, à commencer par la santé, l’éducation et la police qui n’ont cessé de réclamer une revalorisation des carrières et des salaires. Ce sont leurs personnels que j’ai entendu manifester (très pacifiquement) sous mes fenêtres, devant la Assembleia da República. Autre dossier prioritaire : la crise du logement, un dossier qui pourrait déboucher sur une grave crise sociale. L’atout majeur de ce pays, et de loin (on ne le dit pas assez), est la tranquillité et la sécurité qu’ont tous ceux qui ont choisi de s’y installer. C’est aujourd’hui ce que ce pays a de plus précieux à proposer. Mais entre salaires le plus souvent déplorables et prix de l’immobilier (tant à l’achat qu’à la location) sans rapport avec lesdits salaires, une bonne partie de la population risque de se retrouver à la rue ou dans des bidonvilles (favelas). J’observe avec inquiétude et depuis des années ce phénomène spéculatif autour de l’immobilier, et il m’inquiète comme m’inquiète l’endettement des États.

Le super-démago, Pedro Sánchez, l’actuel chef du Gouvernement d’Espagne, ne cesse de vouloir plaire pour conforter son pouvoir sans se préoccuper des conséquences de ses actes. Cet homme sans vision et sans culture (les connaissances qui étayent la vision) ne sait que surfer sur les vagues qui le portent – son narcissisme invétéré. Il a compris que la question palestinienne était porteuse et qu’il lui fallait faire le beau pour conforter sa base. La reconnaissance d’un État palestinien d’ici à juillet 2024 lui permet de se mettre en valeur, de se faire passer pour le représentant du Vrai, du Beau, du Bien. Cet homme politique mérite bien le titre de super-démago.

La Cisjordanie (de son vrai nom la Judée-Samarie) est, au mieux, un territoire disputé, elle n’est en rien un territoire occupé. Rappelons qu’en novembre 1947 l’Assemblée générale des Nations-Unies adopte la Résolution 181, non contraignante, suggérant d’établir à l’ouest du Jourdain deux États, l’un juif, l’autre arabe, en prévision du départ des Britanniques de la Palestine mandataire. Les Juifs acceptent, les Arabes refusent et commence la guerre de 1948-49. Ce refus arabe d’un État juif rend caduque la Résolution 181.

Redisons-le, la Jordanie est le véritable État des Palestiniens.  Plus de la moitié de la population jordanienne est palestinienne et les liens familiaux entre les Palestiniens de Jordanie et ceux de Cisjordanie sont denses, la Cisjordanie qui appartint à la Jordanie (ou Transjordanie) de 1950 à 1967, soit la guerre des Six-Jours. Après sa défaite, l’alignement de la Jordanie sur la résolution de la Ligue arabe déclarant « non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d’Israël, non à la négociation avec Israël » poussa Israël à se lancer dans une politique d’implantations, politique confirmée par les gouvernements qui suivront. Ainsi donc il est faux de déclarer qu’Israël piétine le droit international en occupant la Cisjordanie. En 1967, les Jordaniens, entre autres Arabes, ont voulu en finir avec Israël qui ne demandait qu’à rétrocéder ce territoire en échange d’un traité de paix qui n’est jamais venu. Et le calcul arabe était astucieux d’un certain point de vue car une Cisjordanie indépendante (avec ou sans l’accord d’Israël) aurait très probablement conduit à la formation d’une entité ayant pour but principal – obsessionnel – la destruction d’Israël. Cette hypothèse se trouve renforcée avec ce qui se passe à Gaza. La haine du Juif et d’Israël ne se limite pas aux dirigeants palestiniens qui l’imposeraient à leur peuple pour mieux s’imposer. Il faut considérer le problème à l’inverse : les dirigeants palestiniens utilisent la haine du peuple palestinien envers le Juif et Israël pour mieux flatter le peuple et ainsi conforter leur pouvoir. C’est pourquoi je hausse les épaules lorsqu’on se pâme face à un rapprochement entre Israël et les pays arabes, à commencer par l’Arabie saoudite. Il ne s’agit que d’une manœuvre politique activée par la peur de l’Iran. Les régimes du monde arabe ne peuvent être populaires que s’ils flattent l’agressivité de leurs peuples envers Israël et le Juif. S’ils se rapprochent d’Israël par pragmatisme (la menace iranienne, une fois encore), ils prennent le risque de perdre en popularité dans l’ensemble du monde arabe. C’est ainsi. Les choses changeront peut-être mais seulement quand les poules auront des dents.

J’en reviens à la Cisjordanie, une question enfouie sous un fatras, tant dans la société israélienne que dans la communauté internationale. Une solution (parmi d’autres), de mon point de vue : découper la Cisjordanie en deux suivant l’implantation des populations juives et palestiniennes. La partie palestinienne reviendrait à la Jordanie, comme elle l’avait été de 1950 à 1967, la partie juive reviendrait à Israël. Une frontière serait dessinée avec l’accord de la Jordanie et d’Israël, éliminant ainsi la ligne d’armistice de 1949, ou frontière pré-1967 (la Ligne verte). Cette option semble la plus accessible dans l’état actuel des choses. Les Palestiniens ne seraient plus des apatrides et deviendraient des citoyens jordaniens, un État qui depuis plusieurs décennies entretient avec Israël des relations de relatif bon voisinage.

 

4 avril

Titre du dernier livre de Shlomo Sand : « Deux peuples pour un État ? » sous-titré « Relire l’histoire du sionisme ». Depuis que j’ai lu son « Comment le peuple juif fut inventé », Shlomo Sand m’apparaît bien comme un schmock, un homme peu sérieux mais habile car non dénué d’un sens de la provocation et de la publicité. Avec un tel titre on peut être assuré de bonnes ventes et de devenir la coqueluche des masses – les masses sont toujours antisionistes. Dans ce dernier livre, il se prend à espérer un bi-nationalisme comme modèle constitutionnel tant pour les Juifs que pour les Palestiniens, tout en insistant sur l’aspect utopique de cet espoir – et précisons que ce livre a été écrit avant le 7 octobre 2023.

Shlomo Sand ne dresse pas un programme politique ; en historien, il se contente de rappeler, et à raison, que l’idée binationale a une histoire, qu’elle n’est pas une arme de propagande concoctée dans les milieux antisionistes désireux d’en finir avec l’État d’Israël (et non pas avec le peuple juif, la nation juive). Il rappelle, une fois encore à raison, que cette idée a non seulement une histoire mais qu’elle est juive et même sioniste, le sionisme qui est une arborescence, comme l’est le judaïsme. Parmi les promoteurs de cette idée, et peut-être le plus prestigieux de ses promoteurs, Martin Buber que j’ai évoqué dans un article sur ce blog même en faisant part de mes réticences à l’égard de ses propositions à ce sujet.

Dans ce livre, Shlomo Sand, qui n’a cessé d’aboyer contre le mot « sionisme », admet qu’il recouvre bien des nuances, et parfois très contrastées. Ainsi, le sionisme ne se réduirait pas à un colonialisme et offrirait d’autres perspectives. Il admet (peut-être légèrement à regret) que le sionisme dans certaines de ses variantes mérite le respect. Shlomo Sand (une agréable surprise) fait l’éloge de Vladimir Z. Jabotinsky pour sa franchise et de Menahem Begin pour son libéralisme tandis qu’il tape sur les sionistes de gauche. Ce livre n’est pas dénué d’intérêt dans la mesure où il évoque des noms de sionistes très peu connus en dehors de spécialistes et de quelques passionnés. Shlomo Sand évoque cette tendance sioniste qui à partir de points divers, tant théoriques que spirituels, invite ses contemporains à ne pas négliger une hostilité arabe grandissante. Alors que l’État d’Israël n’est pas encore, ces sionistes proposent une solution en tenant compte de cette hostilité afin de préparer les bases d’un arrangement entre Juifs et Arabes. Parmi eux, Martin Buber et Vladimir Z. Jabotinsky qui bien que suggérant des solutions fort différentes partent du même postulat et posent un même diagnostic : les Arabes de Palestine ont eux aussi une mémoire historique, une conscience politique et des aspirations nationales. Mais leurs solutions respectives ne peuvent s’accorder. Pour Martin Buber, un compromis est possible, compromis qu’il fait peser plus du côté des Juifs que des Arabes de Palestine. On demande à ces premiers de faire des efforts et de ne pas considérer les Arabes avec condescendance, voire comme des ennemis ; la grande affaire ! Espérer se concilier les Arabes en se montrant simplement aimable à eux, c’est gentil, c’est neuneu. Martin Buber est un admirable philosophe mais il est préférable qu’il ne se mêle pas de politique, un domaine où Vladimir Z. Jabotinsky est autrement plus lucide. Il n’est aucunement condescendant avec les Arabes, il est même profondément respectueux mais il refuse tout simplement de se bercer d’illusions, d’où ce texte magistral, de fait le texte le plus imposant du sionisme (imposant par la réflexion à laquelle il invite) : « Le mur de fer ; les Arabes et nous », un texte de 1923. Martin Buber veut multiplier les concessions en commençant par poser que le Yichouv doit se plonger dans l’introspection et envisager sa part de responsabilité dans l’attitude diversement hostile des Arabes. Bref, à l’écouter, la communauté juive de Palestine devrait implorer un peu de sa légitimité auprès des Arabes de Palestine. Vladimir Z. Jabotinsky quant à lui refuse la moindre concession (lire et relire le texte que je viens de mentionner) car non seulement inutile mais néfaste pour la cause sioniste.

Shlomo Sand rend le Mapaï (Parti politique de gauche, dominant de la vie politique du pays jusqu’à sa fusion avec le Parti travailliste en 1968) responsable de l’abdication d’une volonté bi-nationalisme, ce qui est aller vite en besogne. Il oublie que des propositions fédérales et des projets de cantonisation de la Palestine ont été défendus par la gauche sioniste et que ce n’est qu’après le massacre de Hébron de 1929 et surtout la grande révolte de 1936-39 activée par Mohammed Amin al-Husseini que le Mapaï conduit par David Ben Gourion a renoncé à toute idée de partage de la souveraineté et donc au bi-nationalisme, avec nécessité de partager le territoire de la Palestine. Shlomo Sand se laisse aller à des jugements hâtifs en accusant ainsi la gauche israélienne. Cet historien ne peut s’empêcher de se faire polémiste, et mauvais polémiste car appuyant sa polémique sur des bases sans solidité.

Ce n’est pas le Mapaï qui a tué le projet bi-nationaliste mais : premièrement, l’absence d’une volonté identique côté arabe ; deuxièmement, la vague antisémite qui se lève à partir des années 1930 et qui active l’émigration juive vers la Palestine mandataire, surtout après la Shoah. Face à cet afflux, David Ben Gourion doit restreindre la population arabe en commençant par refuser aux Palestiniens qui ont fui ou qui ont été expulsés entre novembre 1947 et juillet 1948 le droit au retour à l’occasion de la première trêve.

Martin Buber (pour ne citer que lui) est admirable mais on ne fonde pas un État avec pour tout bagage de nobles sentiments. Il ne faut pas perdre de vue Martin Buber et ces sionistes qui honorent la culture juive par l’exigence de leurs scrupules, la pureté de leur vision, la fidélité à leur vision mais, une fois encore, on ne fonde pas et on ne défend pas un État de la sorte.

Il est certain que le travail d’historien de Georges Bensoussan avec « Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, 1860-1940 » est infiniment supérieur à celui de Shlomo Sand dans « Deux peuples pour un État ? – Relire l’histoire du sionisme ». Shlomo Sand ne peut s’empêcher de manœuvrer l’air de rien et sans rédiger un plaidoyer pour deux États, il pousse son idée en coulisse, ce qui n’est pas d’une grande honnêteté intellectuelle, qualité qui ne brille pas chez cet historien. Les premiers partisans du bi-nationalisme étaient aussi sionistes (voir Gershom Scholem, Martin Buber, Hugo Bergmann pour ne citer qu’eux), leur bi-nationalisme procédait de leur sionisme même.  Les Israéliens partisans du bi-nationalisme (voir Yehouda Schenhav, Michel Warchawski, Tony Judt pour ne citer qu’eux) éprouvent quant à eux une répulsion plus ou moins assumée envers le sionisme.

Dans le livre en question, Shlomo Sand s’en tient à ses lubies dont la principale (qui à l’en croire est une révélation qui bouleverse l’histoire juive et coupe l’herbe sous les pieds du sionisme) selon laquelle il n’y a pas eu d’exil après la destruction du second Temple. Mais peu importe les modalités de l’exil, car dans tous les cas elles n’affaiblissent pas la volonté de rassemblement des dispersés et leur retour en terre promise. En attendant ce rassemblement hypothétique et toujours repoussé, tous les Juifs jusqu’à l’émancipation ont perçu la terre où ils vivaient comme une terre d’exil.

La Déclaration Balfour (l’un des documents les plus importants du sionisme) portait dans sa première version la mention « the Jewish race ». On la soumet pour approbation à Chaïm Weizman ; il remplace « the Jewish race » par « the Jewish people ».

Aujourd’hui, et plus encore après le 7 octobre, la solution binationale (présentée comme l’antithèse de la solution à deux États) ne peut qu’affaiblir ceux qui s’opposent aux Palestiniens et aux Israéliens qui respectivement militent pour la grande Palestine ou le grand Israël. Un État binational (en supposant qu’il advienne) ne pourra se constituer que sous les auspices de deux États souverains ayant noué des relations apaisées, deux États qui pourraient de leur plein gré et avec le consentement de leurs peuples envisager de mettre en place des structures confédérales puis fédérales. Ce que je viens d’écrire relève pour l’heure de l’utopie ; je ne fais donc qu’esquisser un cas de figure sans m’y attarder et sans en faire la promotion.

Olivier Ypsilantis

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