23 avril
Longue marche sur la plage. On y parle beaucoup le russe ; on parle aussi beaucoup le français.
En lisant « Rien ne vaut la vie. Mémoires et Réflexions » du Grand Rabbin de France Joseph Haïm Sitruk. A propos des nouvelles technologies en passant par le shabbat, car qu’est-ce que le shabbat, demande-t-il ? Le shabbat est le réapprentissage de la vie à l’état primordial, une démonstration (hebdomadaire) que l’homme peut fort bien se dispenser de ces nouvelles technologies ; mieux encore, qu’il doit apprendre à s’en passer. « La liberté s’acquiert en effet au prix du renoncement volontaire. » Le shabbat est un acte volontaire et libérateur, un acte de « renoncement volontaire ». Nous gagnons du temps et rétrécissons les distances par le temps « gagné » ; mais le monde ne saurait-il plus que gagner du temps au lieu d’apprendre à s’en servir ? « Réfléchir sur les nouvelles technologies, c’est s’interroger sur le sens que nous comptons donner à notre vie. Que choisissons-nous d’en faire ? Autrement dit, les technologies répondent au “comment” et la Torah au “pourquoi”. » Les nouvelles technologies se sont autonomisées de l’homme, de son aventure, le progrès technique enfonce le cadre de vie. L’adage de Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » se vérifie chaque jour un peu plus. « Le shabbat serait l’occasion de redonner au monde sa conscience. » Et la ville du shabbat (la cité idéale) « serait la ville dans laquelle les habitants pourraient se rendre de leur domicile à leur lieu de travail à pied, accompagner leurs enfants à l’école à pied, faire leurs courses à proximité. Ce monde, cette ville fantasmée, cette cité idéale, c’est le monde, la ville, la cité du shabbat. Le monde du shabbat, c’est la vision juive du progrès. »
Lu « Fragments d’un discours rabbinique » de Joseph Haïm Sitruk, chapitre IV de « Rien ne vaut la vie. Mémoires et Réflexions ». Quelques notes de lecture :
« L’âme et le corps : un frère et une sœur ». Dans le judaïsme il n’y a aucune séparation entre le corps et l’âme, contrairement au christianisme (l’influence platonicienne). « L’âme et le corps sont bien les deux termes simples d’une équation complexe : l’homme. » Pour tel rabbi, l’âme se trouve dans le cœur (l’affectif) ; pour tel autre rabbi, elle se trouve dans le cerveau (l’intellect). Le judaïsme ou la primauté de la vie. S’il est question de préserver la vie (sa vie), le shabbat doit être profané. Seuls cas où la mort est préférable à la transgression : le crime, l’adultère, l’idolâtrie. Le Talmud quant à lui affirme que proférer des médisances (lachon hara) est pire que transgresser les trois commandements (mitsvot) réunis ci-dessus évoqués. Médire, soit participer à l’édification du monstrueux édifice de l’Accusateur. L’être humain selon le Maharal de Prague, soit trois parties : le corps, le psychisme, l’intellect. Si l’homme commet l’une des trois transgressions (crime, adultère, idolâtrie), il porte préjudice à l’une de ces trois parties : l’adultère, soit l’atteinte au corps ; le crime, soit l’atteinte au psychisme ; l’idolâtrie, soit l’atteinte à l’intellect. La médisance quant à elle détruit les trois parties d’un coup car ce qui définit l’homme c’est la parole – l’homme est parole. « Le judaïsme ne nie pas l’importance du corps mais il donne à l’homme la possibilité de le secondariser ». Le refus de la crémation et de l’autopsie. La matérialité faite spiritualité par l’observation des préceptes de la Torah – le casher. L’année sabbatique (ne pas travailler la terre), une façon pour l’homme de dire : je ne suis que le locataire de la terre, l’Éternel en est le propriétaire.
« L’arbre de la connaissance du Bien et du Mal ». Pourquoi le Mal et tout ce qui s’y rattache ? Selon le Talmud, la vie a un sens et il nous appartient de le trouver. Ainsi dans la vie tout est message (envoyé par Dieu) qu’il nous appartient de déchiffrer. La Torah est le décodeur qui permet d’accéder à la finalité pour laquelle j’ai été créé. Tout ce qui m’arrive sont autant de signaux envoyés par Dieu et je dois m’efforcer de les décoder. De fait, nous ne sommes pas d’emblée en mesure d’évaluer la valeur réelle d’un événement. Mais sur cette question la Torah a pris parti : l’analyse du Bien et du Mal doit se faire du point de vue du Créateur. La Torah ouvre à un monde de libertés qui est nécessairement un monde de responsabilités : je peux faire de ma vie ce que bon me semble mais j’aurai des comptes à rendre lorsqu’elle prendra fin car tout en étant libre je ne suis pas propriétaire de ma vie. Autrement dit, la vie est un cadeau et je dois quitter ce monde en m’efforçant de l’avoir méritée. La Guemara nous dit qu’à la fin des temps le Créateur sacrifiera le mauvais penchant devant l’homme. Les tsaddikim (les croyants) et les réchaïm (les impies) pleureront car : le Mal apparaîtra comme insignifiant aux réchaïm, et ils pleureront de honte de n’avoir su dominer un penchant au Mal aussi insignifiant ; le Mal apparaîtra comme une formidable montagne aux tsaddikim, et ils pleureront de joie d’avoir pu la gravir jusqu’à son sommet et ainsi la dominer.
« La mitsva de reconnaissance ». Cette mitsva est le fil conducteur du rapport du Juif au monde. L’homme s’estime-t-il débiteur ou créditeur du Bien ? S’il se croit créditeur, soit maître du monde, il passe la majeure partie de son temps à revendiquer, à exiger, ce qui suscite des tensions et des conflits à n’en plus finir. Deux attitudes sont possibles : prendre ou donner. Dans le premier cas, on s’engage dans les frustrations et l’insatisfaction. Dans le deuxième cas, lorsqu’on se considère comme un invité dans ce monde, l’espace se découvre. La Torah nous invite au réveil à remercier le Créateur de nous avoir redonné la vie. Celui qui se considère comme un invité est celui qui remercie. Il promeut une éthique de vie – qui est aussi une hygiène de vie. Dans la tradition juive la vie ici-bas n’est pas une parenthèse douloureuse vers la « vraie vie », soit la vie après la mort. Le judaïsme suppose fidélité et liberté.
Reçu un courriel d’un cousin de Bernard Chouraqui qui m’annonce la mort de son oncle. Il s’agit du fils aîné d’André Chouraqui, Emmanuel.
Sur Tribune Juive, une belle déclaration de Yann Moix, « Il n’existe pas de symétrie entre Israël et Gaza » qui commence ainsi : « Il n’existe pas de symétrie entre Israël et Gaza / Il n’existe pas de symétrie entre le 7 octobre et ce qui se passe depuis le 7 octobre / Il n’existe pas de symétrie entre une attaque par surprise et une riposte annoncée / Il n’existe pas de symétrie entre un pogrome et les conséquences d’un pogrome, et ainsi de suite avec ces mots martelés : Il n’existe pas de symétrie entre… Il fallait le dire et le répéter car ils sont si nombreux à établir une relation de symétrie, à placer le signe = entre le 7 octobre et ce qui se passe depuis le 7 octobre ; pire, à déclarer que ce qui se passe depuis le 7 octobre, avec l’attaque de Tsahal contre le Hamas dans bande de Gaza est pire que ce qui s’est passé le 7 octobre. C’est que beaucoup ont l’esprit comptable et estime qu’Israël a tort a priori, comme les Juifs ont tort a priori et depuis toujours.
Soirée sur une terrasse d’où l’on découvre : d’un côté la marina d’Ashdod (encore partiellement en travaux), ses deux bras courbes et protecteurs ; de l’autre une vue en enfilade de la plage d’Ashdod et jusqu’à Ashkelon. Des détonations sourdes dans la nuit. L’opération Épées de fer est toujours en cours. L’importance accordée aux espaces pour enfants un peu partout dans cette ville pas vraiment belle mais à l’urbanisme bien pensé (simple), une ville qui propose par ailleurs d’intéressantes rénovations (Tama 38), et quelques immeubles (notamment près du front de mer) qui méritent l’attention du passant avec leurs nombreux encorbellements et renfoncements destinés à rompre la monotonie des façades. La belle passerelle qui permet aux piétons de passer au-dessus du boulevard Moshe Dayan. Du haut de cette terrasse se découvre également en bord de mer la seule zone pavillonnaire de la ville. Un bel espace de dunes est ménagé entre la plage et les constructions. Des éléments de digue placés ici et là et joyeusement peints par des artistes. Ces éléments en béton (armés ?) sont comme deux T qui se touchent par la base et dont la barre transversale (ou tête) aurait pivoté à 90° l’une rapport à l’autre. Cette forme aurait probablement intéressé Constantin Brâncuși. Et puisque j’en suis à évoquer un sculpteur, des immeubles en bord de mer, du côté de la marina, m’ont évoqué des œuvres de Fritz Wotruba.
Olivier Ypsilantis