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Carnet israélien (avril 2024) – 12/18

En lisant Georges Bensoussan. Les pogroms dans la Palestine mandataire des années 1920-30 s’inscrivent dans la lutte contre le sionisme. L’immigration juive est au cœur de la violence arabe sans en rendre totalement compte. A cette crainte de voir une population juive submerger la population arabe de Palestine s’ajoute le mépris ancestral de l’islam pour le Juif, la rage de voir le dhimmi échapper à sa condition et ainsi faire éclater un schéma mental qui semble avoir été conçu pour l’éternité.

Georges Bensoussan : « Le nationalisme palestinien, qui se structure à partir de 1900, voit dans cette “invasion juive” une menace sur la nation arabe. Encore faut-il distinguer entre les élites arabes, souvent citadines et chrétiennes, premiers témoins de la forte immigration juive des années 1930 (un phénomène urbain), et des campagnes majoritairement musulmanes et analphabètes pour lesquelles l’élément juif est souvent quasi inexistant. » C’est à cette population des campagnes que le grand mufti s’adresse. Il flatte leur religion et ne cesse de répéter que les Juifs sont venus pour détruire l’esplanade des Mosquées et y ériger le troisième Temple.

Les ventes de terres ne sont pas un phénomène aussi massif qu’on l’a prétendu. En 1948, les Juifs ne contrôlent que 7 % du territoire de la Palestine mandataire. Mais les Juifs ne se comportent pas comme les ex-propriétaires des terres achetées, ils les mettent eux-mêmes en valeur ce qui provoque le départ des anciens exploitants, souvent des métayers. Il n’y a rien d’illégal mais ce processus ne peut que provoquer du ressentiment. Les interdictions de vendre des terres se multiplient et c’est comme une mise en garde ; les vendeurs sont néanmoins toujours plus nombreux. Aux yeux des administrations européennes, le mouvement national arabe se décrédibilise par la pratique de ce double langage qui gagne jusqu’à l’exécutif arabe : ceux qui dénoncent ces vendeurs vendent eux-mêmes aux plus offrants.

L’accord Fayçal-Weizmann (1919) n’a abouti que parce que le roi d’Arabie saoudite avait besoin du soutien des Occidentaux. Il n’a accepté le projet sioniste que pour revenir sur sa parole peu après. Cette solution entre Arabes et Juifs qui paraissait alors possible, avec une Palestine des deux côtés du Jourdain, s’amenuise suite au partage décidé par Londres avec la création de la Transjordanie (l’actuelle Jordanie) à l’est du Jourdain qui détache l’essentiel du territoire palestinien d’un ensemble. Depuis, on ne cesse de polémiquer sur ce morceau de terre à l’ouest du Jourdain. On a élaboré bien des projets (dont celui d’un État binational). Arrive le grand mufti qui torpille toute possibilité de dialogue entre Juifs et Arabes. Le Hamas est un héritier du grand mufti dont il a perfectionné la violence.

Les Britanniques en charge de la Palestine mandataire suivent une ligne opportuniste, d’où cette impression de zigzag. Ils restreignent l’immigration juive lorsque les Arabes grognent et l’autorisent (dans certaines limites) lorsqu’ils se taisent. Ils finiront par faire cesser le mécontentement arabe avec le Livre blanc de 1939 qui fait suite à la Grande Révolte arabe.

Sous l’impulsion du grand mufti, les Arabes multiplient les violences à partir de 1936. Il s’agit pour eux d’éradiquer toute présence juive de la région. Les Juifs ne peuvent tergiverser face au massacre systématique des leurs pris dans des embuscades, femmes et enfants compris. Ils luttent pour leur survie, tout simplement. Et dans la contre-offensive, début avril 1948, les Juifs ne peuvent s’offrir le luxe de laisser derrière eux des populations prêtes à les massacrer. La Nakba est incompréhensible si l’on ne prend pas en compte ce moment crucial de l’histoire d’Israël : la volonté arabe d’en finir avec Israël par un déchaînement de violence.

 

18 avril

Début d’un article d’Abdennour Bidar publié dans Le Monde :

« Enfants d’Abraham, avez-vous perdu la tête ? Fils d’Isaac et d’Ismaël, frères issus du même père, n’avez-vous pas honte ? Le Hamas a massacré, Israël répond par un massacre à Gaza, le conflit s’étend à l’Iran, vous vous entretuez dans la spirale maudite d’une vengeance perpétuelle, et tandis que votre père était l’apôtre de l’unité, vous devenez chaque jour un peu plus, devant la face abasourdie des peuples de la Terre, les tristes champions de la discorde et de la haine.

Qu’avez-vous donc fait de votre héritage ? Comment pouvez-vous être ainsi sacrilèges de l’enseignement de paix qu’il vous a transmis et qui devrait vous convoquer, vous élever, vous faire tout de suite lâcher vos armes ? Et que signifie, pour notre monde humain tout entier, cette destruction tragique du trésor d’Abraham par ses propres héritiers ?

Celui-ci, Abram devenu Abraham et Ibrahim, est, en tant que “père d’une multitude de nations”, selon la formule consacrée, la figure symbolique majeure d’une fraternité universelle, que ses enfants juifs, chrétiens, musulmans ont la responsabilité de faire vivre, non pas seulement entre eux, mais avec l’humanité tout entière. Abraham est ainsi le nom d’une fraternité sans frontières entre tous les hommes de tous les peuples, d’une unité du genre humain qui fait partie lui-même de l’unité d’une réalité traversée par une même lumière transcendante. Comme si nous étions tous mystérieusement autant de visages de ce qui est au-delà de tout visage. Selon l’héritage du patriarche, la fraternité des êtres humains est fondée dans cette fraternité sublime de la nature, du vivant, du cosmos, et du cosmos avec ce qui, l’ayant fait surgir, le dépasse.

Que sont, à cet égard transcendant, nos petites fraternités religieuses, nationales, culturelles, etc. ? De simples cristallisations particulières de la fraternité universelle. Des expériences peut-être plus accessibles à nos esprits limités, à nos consciences pas encore éveillées à la perception d’une fraternité plus vaste… Mais au lieu d’aller vers cet élargissement de notre sens de la fraternité, voilà qu’aujourd’hui, comme si souvent dans l’histoire, nos petites fraternités deviennent les pires ennemies de celle qui est immense et qui réunit spirituellement les êtres de l’univers ! Et celle-ci nous semble désormais d’autant plus utopique, irréelle, que nos regards sont dispersés par nos divisions, égarés par l’absolutisation de nos différences seulement relatives. Voilà ce dont ce conflit israélo-palestinien est le symbole pour l’humanité contemporaine : notre incapacité à voir l’unité et l’harmonie entre l’un et le multiple, le même et l’autre. Nous avons perdu l’art de tisser nos différences car en nous, désormais, l’œil de l’unité s’est fermé. »

Ce texte brillant en apparence n’est qu’agréable bavardage, saut dans le vide suivi de moulinets qui ne ralentissent en rien la chute, j’en suis désolé. Ce texte est écrit par un sympathique musulman plein d’une belle énergie. Il ne me convainc pourtant en rien. S’adresser aux enfants d’Abraham afin que cesse toute violence entre eux est certes louable, mais ce n’est pas en faisant appel à une origine commune que l’on peut espérer aplanir les différends, et déjà parce que les chrétiens et les musulmans ont des comptes à régler avec le judaïsme qu’ils prétendent corriger et enfin remplacer, ce qui explique leur prosélytisme respectif.

Les Juifs aiment la paix mais ils aiment aussi la justice et probablement plus que tout autre peuple, ils placent la justice au-dessus de l’Amour, l’Amour qui chez les chrétiens réclame souvent et impétueusement la première place en bousculant tout ce qui se trouve sur son passage. L’Amour chez les chrétiens est trop souvent un impérialisme, un instrument d’expansion de la foi chrétienne, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a été un instrument d’expansion de la France révolutionnaire. Je ne porte aucun jugement de valeur sur ces phénomènes, je me contente d’en prendre note et j’évite d’y adhérer dans un élan irréfléchi, préférant prendre au moins un peu de recul pour mieux observer et analyser. L’Amour chrétien est une force à la fois immanente et transcendante supposée écraser tout questionnement à son sujet. « Puisque je t’aime, tu dois subir mon étreinte sans mot dire ». L’amour chrétien est un fanatisme ; et les Juifs sont accusés « de tout compliquer » (combien de fois ai-je entendu cette remarque à leur propos, remarque formulée par des chrétiens !) parce qu’ils avancent que la justice passe avant l’Amour. Le chrétien et le musulman sont membres de religions universelles et impérialistes. Le judaïsme quant à lui est universel mais dénué de toute tension impérialiste. Il invite à réfléchir mais sans chercher à s’imposer. C’est aussi pourquoi j’hésite de plus en plus à faire usage du mot « religion » à son sujet et préfère le présenter comme une « école de pensée », alors que le christianisme et l’islam sont des religions, par les dogmes pour le christianisme et le prosélytisme pour ces deux religions. L’islam est plus proche du judaïsme, d’un certain point de vue, mais d’un judaïsme terriblement simplifié, appauvri et ossifié. L’invitation d’Abdennour Bidar publiée dans Le Monde (ce n’est pas un hasard) ne cherche qu’à emporter l’adhésion en s’épargnant toute réflexion. On la lit, on la juge plutôt sympathique puis franchement creuse. Abdennour Bidar s’agite comme un prédicateur en chaire ; on l’écoute puis, une fois qu’il s’est tu, on se gratte la tête en se répétant : « Que d’agitation ! Et après ? » 

Olivier Ypsilantis

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