17 octobre
Il arrive que l’Inde me fatigue mais au sein même de cette fatigue je sais que je resterai nostalgique de ce pays. Mais au fait, la fonction cachée du voyage ne serait-elle pas d’augmenter l’aire de la nostalgie ?
Un article dans The Times of India du 16 octobre 2024 : « Israel assures us it won’t hit oil or N-sites in Iran. » L’administration Biden espère être écoutée, d’autant plus qu’elle vient d’envoyer à Israël une batterie Terminal High Altitude Area Defence (THAAD). Autre article dans ce même numéro : « India inks mega deal with US “hunter-killer” MQ-9B “predator” drones » ; et l’article se termine sur ces mots : « “The birds” will provide a quantum jump in the IRS (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) capabilities of our armed forces” an official told. »
Au petit-matin, à l’entrée du Taj Mahal, j’observe un groupe d’Indiennes en sari et reste fasciné par leurs couleurs considérées isolément mais plus encore par les rapports de ces couleurs entre elles. La Taj Mahal est un vaste ensemble, avec des constructions importantes qui entourent la construction principale, des constructions dignes du plus grand intérêt. Une brume légère s’étire sur les pelouses du Taj Mahal, le Taj Mahal qui semble être une floraison de cette brume. Les éléments du répertoire, tant dans la structure que dans les éléments décoratifs, et l’influence iranienne et donc chinoise. Le Taj Mahal, un emboîtement de deux octogones (voir le plan de l’octogone intérieur et celui de l’octogone extérieur). L’ingéniosité de cet emboîtement permet de ménager un solide support aux quatre coupoles d’angles qui entourent la grande coupole centrale. Mon regard va de la structure d’ensemble qu’il s’efforce de lire aux détails ornementaux, un va-et-vient stimulant. Parmi ces détails, les bas-reliefs sur supports en marbre blanc et grès rouge dans les parties basses dont la thématique (des bouquets de fleurs) est celle que j’ai développée dans des séries de linogravures. Je les observe donc avec une attention redoublée, j’en suis les délicats reliefs de la pointe des doigts. Je n’ai jamais contemplé une telle délicatesse, ou si rarement ! Cette délicatesse dans les trois dimensions, notamment avec ces jeux entre les pétales et les tiges. Depuis le début de ce voyage en Inde, je n’ai jamais éprouvé une telle fascination, une fascination qui me reporte vers la civilisation crétoise et la Fresque du printemps d’Akrotiri en Crète, une fresque qui m’accompagne depuis l’enfance et que j’ai interprétée à l’acrylique sur les murs de notre premier appartement parisien. Dans le répertoire décoratif, je note la présence de la ligne en bâton rompu, un motif très présent dans bien des cultures et depuis des millénaires. Et tandis que je contemple ces lignes s’impose à moi l’art roman qui en a fait grand usage.
Tout en détaillant les structures du Taj Mahal bien des souvenirs iraniens me reviennent, des souvenirs des années d’études, de lectures et d’un grand voyage. Tout en les détaillant une lecture me revient, un article, « Les arc brisés persans : remarques sur leurs particularités géométriques et techniques » de Haeedeh Laleh. Dans la masse structurelle de cette architecture, l’iwan, cette salle voûtée fermée sur trois côtés et ouverte sur le quatrième, avec arc en tiers-point (arc persan). L’architecture moghole et les chhatris (des kiosques coiffés d’une coupole), emblématiques de cette architecture : ils se découpent dans le ciel, de l’aurore au crépuscule et par les nuits de pleine lune. L’architecture moghole, une architecture de synthèse avec une puissante base iranienne. L’arc polylobé que coiffe une élégante accolade – ce signe à double courbure. Le puissant effet décoratif (mais aussi structurel) que donne le rapport matériaux foncés et matériaux clairs comme dans certaines architectures de la Renaissance italienne, un effet puissamment contrasté comme la cathédrale de Sienne. J’observe les architectures mais mon regard finit par se laisser distraire par les couleurs des saris.
Le Taj Mahal, une thématique exclusivement géométrique et végétale, pas un animal et un être humain, ce qui me convient. Sans être un adepte de l’islam (un euphémisme) j’apprécie le repos que suggère l’absence de figures humaines. J’ai vécu à Cordoue d’Espagne et j’ai passé des heures à observer les structures et les répertoires décoratifs de la Mezquita-Catedral. Les angelots de la cathédrale m’ont franchement déprimé, et je ne suis ni un suppôt de l’islam ni un iconoclaste.
A l’intérieur même du mausolée du Taj Mahal une sensation à la fois étrange et familière me prend avec tout ce marbre, cette chaleur humide et ces coups de sifflets des gardiens destinés à faire circuler les visiteurs. Je me revois d’un coup dans une piscine municipale avec les coups de sifflets des maîtres-nageurs. Durant une fraction de seconde (et comme une éternité), je me vois transporté ailleurs et hors du temps. J’éprouve soudainement une immense fatigue et un immense apport d’énergie. Je ne sais plus où je suis car je suis partout, dispersé dans l’espace et le temps, une sensation exaltante et éprouvante. Je revois le grès rouge du fort d’Agra qui m’évoque la pierre rouge de la forteresse de La Calahorra dans la province de Grenade et sa pierre rojiza, une forteresse qui m’a conduit vers celle du désert des Tartares de Dino Buzzati, une ambiance qui ne cesse de me poursuivre comme me poursuit celle du « Journal de Čarnojević » de Miloš Crnjanski, un homme engagé dans la guerre, la boue et le sang mais qui observe le monde derrière une vitre embuée.
A l’entrée du Taj Mahal, très sécurisée, la police me retire mon carnet le temps de la visite, le carnet dans lequel je prends note de ce voyage indien, des notes qui seront retranscrites voire recomposées entre le clavier et l’écran à mon retour. Je m’étonne car tout le monde est libre d’entrer avec son téléphone portable et prendre des photographies (sauf à l’intérieur du bâtiment central, soit le mausolée). Je m’étonne, l’ami indien intervient mais la police se montre inflexible : je dois leur laisser mon carnet que je récupèrerai à la sortie. Étrange tout de même. Il est vrai que prendre des notes manuscritement est devenu si rare que cet acte ne peut qu’attirer l’attention et susciter de la suspicion – pourquoi ne fait-il pas comme tout le monde ?
Sur la route entre Agra et New Delhi puis entre New Delhi et Rishikesh. Les rickshaws verts à capote jaune. Au bord de la route, un alignement de statues dorées de la taille d’un homme, un même modèle qui montre diverses positions de yoga. Je retrouve les hautes cheminées très coniques des briqueteries. En Inde il suffit d’émettre un jugement pour que son contraire s’impose avec une même force. C’est la terre de tous les contrastes et dans tous les domaines. On commence par être découragé puis on lâche prise, ce qui est reposant. Et toujours Blow Horn décliné de mille manières et parfois très joliment. Après plus de neuf heures d’autocar (un terrible embouteillage à la sortie de new Delhi) nous arrivons à Rishikesh vers deux heures du matin. La fatigue me quitte d’un coup lorsque j’apprends l’élimination de Yahya Sinwar par Tsahal.
18 octobre
Rishikesh. Où je retrouve les premières hauteurs de l’Himalaya. Le réceptionniste, aimable et souriant ; mais je ne sais s’il comprend ce que je lui dis. Il remue la tête à l’indienne, latéralement, un geste contagieux ainsi que j’ai pu en faire l’expérience.
Il serait instructif de calculer – calcul impossible – tout ce que le peuple indien transporte tout au long d’une seule journée. Le résultat serait stupéfiant.
Hier, dans les embouteillages à New Delhi, je me suis cru par moments en Europe, avec toutes ces voitures derniers modèles. Mais des véhicules m’ont rappelé que j’étais bien en Inde, comme ce rickshaw pétaradant et surchargé de passagers et de marchandises, comme cet homme qui sur le bas-côté poussait sur une petite charrette un formidable empilement d’herbe sèche, comme ces camions colorés et décorés et cet empilement de ballots sur un triporteur, empilement qui penchait dangereusement. Tout est un peu déglingue ici mais on se débrouille ; il y a un ordre dans ce désordre. Et, une fois encore, sitôt que je formule plus ou moins explicitement un jugement sur ce pays, son contraire paraît sans tarder ; et c’est bien ainsi. Ces contraires s’équilibrent, se neutralisent et on s’en trouve reposé. Des Anglaises, femmes aux cheveux grisonnants, teint de cachet d’aspirine avec des rougeurs parfois. Style vaguement ou partiellement baba cool. Pratiquent plus ou moins assidument le yoga et le nombrilisme me semble-t-il – parlent de leur digestion, de leur sommeil, de leurs humeurs, etc. Un homme présente un panneau aux passants ; il y est écrit ear cleaner. Plus loin la Vedic Academy of Sound Healing.
19 octobre
Les intéressantes interventions de Pierre Lellouche sur CNews. Visionné les derniers instants de Yahya Sinwar filmés par un drone. Il est assis dans le fauteuil d’un salon dévasté, dans un bâtiment éventré. Il est masqué par un turban et observe le drone qu’il finit par vouloir atteindre en lançant un long bâton. Il semble gravement blessé au bras droit. Retour en arrière. Un soldat du 450ème bataillon de la Brigade Bislamach remarque une silhouette qui entre et sort d’un bâtiment dans le quartier Tel Sultan de Rafah. Il en informe le commandant du bataillon qui ordonne à ses forces d’ouvrir le feu sur le bâtiment. Quelques heures plus tard, un drone décèle trois personnes qui sortent du bâtiment et s’efforcent de passer d’un édifice à un autre, deux d’entre elles servant d’éclaireurs à la troisième. Les Israéliens ouvrent à nouveau le feu, blessant les suspects. Deux d’entre eux entrent dans un bâtiment et le troisième – qui s’avèrera être Yahya Sinwar – entre seul dans un autre bâtiment. Les Israéliens tirent sur les deux bâtiments, notamment à l’aide de chars. Yahya Sinwar est monté au deuxième étage. Un char tire un autre obus sur le bâtiment et des fantassins s’avancent pour ratisser les lieux. Yahya Sinwar lance deux grenades, l’une d’elles explose. Les fantassins se retirent. Un drone est envoyé pour inspecter la pièce, on connaît la suite. Yahya Sinwar lance son bâton contre le drone, un obus de char le tue juste après. Contrairement à d’autres éliminations de responsables du Hamas, celle de Yahya Sinwar semble être le fait du hasard.
Ainsi que je l’espère depuis bien des années, l’UNRWA doit être déclarée complice du terrorisme ainsi que l’ONU dans la foulée, l’ONU et ce misérable pleurnichard d’António Guterres. L’UNRWA doit être dissoute, ses employés licenciés et plus un dollar d’aide ne doit être accordé aux Palestiniens, une aide pour l’essentiel siphonnée par les dirigeants palestiniens (ils détiennent des fortunes qui se comptent en milliards de dollars), l’appareil des fonctionnaires (des dizaines de milliers d’individus), une aide qui pour le reste aura servi à financer une formidable organisation destinée à frapper Israël. Le 7 octobre n’aurait été possible sans cette aide. On demande par ailleurs à Israël de respecter la Finul (Force intérimaire des Nations-Unies au Liban). Israël n’a rien contre la Finul mais il arrive que sa passivité confine à la complicité – notamment avec le Hezbollah.
Les Houtis sont très affaiblis après les récentes frappes. Ils lèvent les bras. On ne les anéantit pas probablement pour qu’ils restent une épine dans le pied de l’Arabie Saoudite et de l’Égypte. Le Hamas est au bord de l’anéantissement en tant que force organisée. Il est vrai que son esprit reste vivant dans une bonne partie du monde arabo-musulman. Bachar al-Assad aimerait quitter l’axe iranien, ce qu’il ne peut faire aisément étant donné les sommes considérables qu’il doit à l’Iran. Il est par ailleurs de plus en plus isolé avec un pouvoir alaouite toujours plus menacé par la masse sunnite. Au Liban le Hezbollah est sans cesse frappé à la tête et nombreuses sont les communautés du pays qui espèrent se libérer de lui. Les succès d’Israël au Liban ne s’expliquent pas exclusivement par l’excellence de son armée et de ses services de renseignements. Israël est aidé au sol par de nombreux acteurs (y compris dans les communautés musulmanes) qui veulent en finir avec ce cancer dans la vie du Liban. Israël attaque par ailleurs très efficacement les lignes d’approvisionnement du Hezbollah qui passent par la Syrie (et l’Irak) ; et l’Iran, inquiet, prend ses distances envers le Hezbollah. La force de l’Iran sont ses proxys. L’Iran en tant que tel ne dispose guère de moyens de défense et son armée est relativement faible. Un soulèvement populaire contre le régime iranien pourrait survenir dans un avenir pas si lointain. Un risque de guerre civile en Iran même n’est pas à exclure, avec luttes inter-ethniques, l’Iran étant un pays multi-ethnique.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis