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Carnet indien (octobre 2024) – 7/16

Kasar Devi. Le petit temple octogonal et sa galerie extérieure que rythment huit colonnes elles aussi octogonales, le tout rose et rouge. Le kitsch indien est particulièrement sucré. Je m’y abandonne pour un temps car je m’y sens accueilli. Une fois encore j’ai déposé un vœu dans l’oreille d’une représentation de vache, des vœux divers dont certains pour Israël, pour la défaite de ses ennemis. Et tout en observant les espaces qui entourent Kasar Devi, des espaces bleutés et argentés dont émergent les silhouettes souples du relief, je repense à cette journée de 2024 à Jérusalem. J’apprendrai par un e-mail d’un fils d’André Chouraqui, Emmanuel, le décès de Bernard Chouraqui. Par recoupement je constaterai qu’il est décédé au moment où je me rendais sur le Kotel. Il a laissé de nombreux manuscrits m’a-t-on dit. Je me renseignerai à mon retour d’Inde car peut-être pourrai-je aider même très modestement à mieux faire connaître sa pensée. Bernard Chouraqui et Mitzpe Ramon dans le Néguev. Le souhait que ma femme et moi avions de nous y rendre.

Suite à l’annonce du décès de Bernard Chouraqui, j’ai envoyé à Emmanuel Chouraqui l’e-mail suivant : « J’ai appris le décès de votre cousin Bernard Chouraqui hier, par une amie qui tient un blog. Chose très étrange, il est décédé alors que je me rendais au Kotel, à Jérusalem que je n’avais pas visité depuis dix ans. Je séjourne actuellement à Ashdod. J’ai téléphoné plusieurs fois à Bernard Chouraqui alors qu’il était hospitalisé ; il ne me reconnaissait plus. Il est décédé mais son œuvre reste, une œuvre très singulière, très belle et qui m’a d’emblée captivé. J’ai écrit sur cette œuvre treize articles sur mon blog. Le site Tribune Juive en a publié plusieurs. Je serai toujours heureux (et honoré) de mieux faire connaître (même modestement) les écrits de votre cousin et je me mets à votre disposition si je puis vous y aider. Avoir rencontré Bernard Chouraqui reste pour moi une grande joie, une bénédiction et un honneur, soyez-en assuré. » L’œuvre de ce penseur devrait être plus diffusée, plus méditée. Quel pourrait être mon rôle ? Sur le Web son nom est associé au mien.  Mais je ne suis qu’un lecteur attentif qui prend des notes, stylographe en main.

Tout en me tenant sur l’esplanade qui entoure Kasar Devi, et après avoir pensé à cet ami et à Mitzpe Ramon, il me vient d’un coup – et pourquoi en cet instant précis ? – que par mon haplogroupe côté paternel (Y-DNA) je me retrouve en compagnie de Benyamin Netanyahu, ce qui ne me dérange en rien, bien au contraire. Le Netanyahu bashing me semble aussi suspect que le Sharon bashing. On offre aux masses des représentations contre lesquelles elles peuvent donner un exutoire à leurs frustrations et à leur paresse mentale, à leur besoin d’idées simples, de postures à adopter, de slogans à brailler. On a aussi le Trump bashing, intéressant à observer puisqu’il vient généralement d’individus qui ne connaissent rien aux États-Unis et qui se contentent d’idées véhiculées par les médias mainstream, soit du prêt-à-porter.

Sur l’esplanade de Kasar Devi. On m’invite à me joindre à un cercle et à prononcer cent huit fois Om Namah Shivaya (108 Times Chanting) en égrenant toutes les perles de mon collier mala. Ce collier est l’équivalent du chapelet et est utilisé depuis plus de trente siècles par les Hindous, les Bouddhistes, les yogis et les ascètes. On m’en a déjà offert quatre au cours de ce voyage en Inde. J’en porte un autour du cou depuis plusieurs années car sans m’appliquer à des pratiques spirituelles tant hindoues que bouddhistes j’ai le sentiment que ce collier me protège et me donne de l’énergie. Le collier que je porte est un véritable mala puisqu’il est constitué de graines de Rudraksha. Tandis que je récite comme on m’y a invité le Om Namah Shivaya, un autre refrain s’interpose entre lui et moi, Ham Israel Hai.

Des forces véritablement diaboliques s’efforcent d’étreindre Israël pour l’éliminer de la carte, ce que le monde ne voit pas d’un si mauvais œil… Les amis d’Israël ne sont pas si nombreux et pourtant… Les amis d’Israël sont simplement plus discrets que les ennemis d’Israël, beaucoup plus discrets que les ennemis d’Israël, et leur discrétion ne porte pas préjudice à leur efficacité, au contraire… Cette guerre – mais il me faudrait écrire ces guerres – conduite par Israël devrait être massivement soutenue par l’Europe. Mais les gouvernements de l’Europe sont veules, ils savent que la dénonciation d’Israël est électoralement autrement plus porteuse que le soutien à Israël.

14 octobre

Lorsque la fatigue me prend au cours de ce voyage, je pense à tout ce qu’ont enduré Eric Newby et sa femme Wanda au cours de leur voyage en 1963-64.

J’ai toujours observé avec intérêt les chantiers de construction en Inde et ailleurs, à la ville comme à la campagne, que la construction soit celle d’une maison ou d’un immeuble. Tout d’abord, en Inde, le chantier paraît extraordinairement désordonné. Chacun semble bricoler dans un coin, dans un recoin, et les matériaux sont éparpillés. Par ailleurs, le rythme de travail (tout au moins ce que j’ai pu en observer) est particulièrement lent et chaque geste semble calculé. Sur ces chantiers travaillent des hommes mais aussi des femmes qui ont le geste très gracieux, majestueusement lent. Il n’y a pas d’étais métalliques réglables comme en Europe, des étais destinés à soutenir les planchers des structures le temps que le ciment prenne. Comme étais les Indiens utilisent des pièces de bois à peine dégrossies et d’une longueur approximative. Ils sont placés diagonalement tout en s’efforçant de tendre vers une stricte verticalité. Les échafaudages sont eux aussi constitués de pièces de bois à peine dégrossies et maintenues les unes aux autres par des cordes en fibre végétale et, surtout, ces structures ne sont le plus souvent qu’à deux dimensions et non à trois comme chez nous, ce qui oblige les ouvriers à un exercice terrifiant pour quelqu’un qui comme moi souffre très vite d’un vertige paralysant. Et je surprends un geste que je n’ai surpris sur aucun autre chantier : tandis qu’un ouvrier enfonce sa pelle dans un tas de sable, un autre ouvrier accompagne son geste en tirant sur une corde placée à la base du manche de la pelle.

Nainital. En Inde mon goût pour l’observation est à chaque instant et en toute circonstance pleinement satisfait. Et tandis que j’écris ces lignes, je remarque qu’un couple de singes s’affaire sur la terrasse devant moi, un couple qui s’épouille mutuellement et très consciencieusement. L’observateur que je suis est captivé. Un singe se débat avec un emballage en papier dont il s’efforce d’extirper je ne sais quoi avant de manger partiellement cet emballage. Un couple de singes semble s’ennuyer, un autre couple regarde en tous sens et avec fébrilité. Le personnel de l’hôtel est en uniforme, un uniforme qui ne manquerait pas d’allure s’il était propre. Je détaille des chantiers à l’abandon – mais le sont-ils vraiment ? –, des tranchées pour canalisations envahies par les herbes, des vaches qui fouillent dans les ordures. Sur un toit en tôle ondulée un membre du personnel dispose des graines – pour les singes ? Probablement pas car plusieurs l’observent et loin de se précipiter ils poursuivent leurs occupations : épouillage, copulation, et l’un d’eux se gratte vigoureusement le cul. Hotel Krishna, Hotel Panorama. On canote sur le lac. Des canards à la queue leu-leu. Une musique éraillée venue de je ne sais où.

Nainital. Les Kumaon Hills sont passées sous l’autorité britannique suite à la guerre anglo-népalaise de 1814-16. Nainital n’est fondée qu’en 1841 avec la construction de la première maison européenne (Pilgrim Lodge) par Peter Barron, un gros négociant. Les Britanniques tombent amoureux du lieu et s’y installent. La marque britannique est bien présente. Partout dans les couloirs de l’hôtel une odeur de camphre, pas vraiment agréable et pas vraiment désagréable, comme un certain nombre de choses, ici, en Inde. Un ami indien me conseille du chyawanprash, suite à quelques problèmes intestinaux. Il m’en vante l’efficacité et la saveur. J’en prends une cuillérée et d’un coup j’ai l’impression d’avoir avalé tout le contenu d’une armoire à pharmacie. Je réprime un haut-le-cœur car cet ami guette ma réaction.

Feuilleté le numéro du 9 octobre 2024 de The Times of India (India’s largest english newspaper). Gros titres : « Israel: Hezbollah’s likely newchief probably dead » et « Israel expands troops in Lebanon ». Dans le hall de l’hôtel, la photographie d’un gros personnage installé dans un pose qui m’irrite ; il s’agit de Neem Karoli Baba. Il est allongé en appui sur un coude, nu dans une couverture qui lui monte jusque sous les aisselles. D’une main il se touche un pied. Cette posture est répétée sur toutes les photographies que j’ai pu voir de ce Gourou. Je ne sais ce qu’elle cherche à transmettre mais je dois dire que ce gros bonhomme ainsi installé ne provoque en moi aucun élan sinon de l’irritation.

Nainital fut un health resort très apprécié des soldats britanniques ainsi que des officiers et leurs familles désireux d’échapper aux chaleurs le la plaine. A Nainital lake (Wikipedia), on peut lire : « Historical records confirm that in 1839, Mr. P. Barron, who is supposed to be the first one who visited Nainital. He was an English business man in sugar trade, on an expedition accidentally coming across the lake at Nainital was so captivated that he decided to build a European Colony on shores of the lake. » Précisons que ce lac d’origine tectonique était presque circulaire et que de fréquents glissements de terrain lui donneront sa forme actuelle, plus ou moins en croissant.

Grand Hotel since 1872 / Ladies & Gents Goodluck hair dressers & Beauty Parlour / Candle Bazaar. Une petite église de 1858 : 1er central methodist church Nainital. Nous nous y arrêtons pour la fraîcheur et le calme mais aussi parce que nous avons pris l’habitude de prier dans plusieurs religions. Tous les livres de prières sont en hindi. Au mur, dans un cadre en bois, les numéros des chants du dernier ou du prochain office. La mosquée, 1882. Au fronton, There is one God and Mohammad is his prophet. D’harmonieuses constructions coloniales, harmonieuses comme nombre de constructions coloniales, qu’elles soient britanniques, françaises, espagnoles, portugaises, hollandaises et j’en passe. Visite d’un temple sikh avec vue sur le lac dans le sens de sa longueur. Étant toujours en short, style colonial britannique (rien de plus confortable pour voyager dans les pays chauds), je suis régulièrement amené à me passer un tissu autour de la taille pour cacher mes jambes ainsi que je l’ai précisé. Mais cette fois, étant chez les Sikhs, je dois aussi me mettre aussi quelque chose sur la tête. On me tend une pièce de tissu rouge avec motifs dorés que l’on me noue sur la tête. Mon ego se déploie, je me sens irrésistible.

Sur un banc public installé devant le lac de Nainital, j’observe le va-et-vient durant plus d’une heure et sans jamais m’ennuyer. Je ne puis me lasser du spectacle que propose la rue indienne. Un porteur fait halte devant moi, de l’autre côté de la rue. Il est fluet et porte une charge considérable. Il se repose durant quelques minutes puis replace la charge sur son dos après s’être fortement penché en avant. Il passe sur son front une courroie qui entoure la charge et installe une cale en tissu entre ses reins et la charge ; enfin, il croise ses mains et applique leurs paumes dans le creux de son cou.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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