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Carnet indien (octobre 2024) – 15/16

29 octobre

L’opération israélienne très ciblée contre l’Iran. Elle a notamment détruit des mélangeurs (utilisés pour la fabrication du carburant solide des missiles balistiques à longue portée), des mélangeurs industriels difficiles à fabriquer, difficilement remplaçables. Au cours de cette attaque, quatre systèmes de défense anti-aérienne S-300 ont également été détruits en avril dernier. L’Iran se retrouve donc bien plus vulnérable et pour un certain temps. Serait-ce le prélude à une attaque plus massive contre les infrastructures du pays, voire contre ces centres liés au programme nucléaire ?

La théorie des multivers, fascinante. Parmi les hypothèses sur les origines de la vie, la théorie des sources hydrothermales des fonds marins, des zones chaudes et riches en minéraux. L’hypothèse de la panspermie, soit des molécules organiques apportées sur terre par des météorites ou des comètes. Le Big Bang explique l’origine de l’Univers et la formation des éléments chimiques mais il n’explique pas vraiment l’origine de la vie, une question distincte. Et l’Univers avant le Big Bang ? Les hypothèses à ce sujet.

Les langues étrangères les plus parlées par les étrangers, ici, à Rishikesh, l’espagnol et, dans une moindre mesure, le russe et l’hébreu. C’est ce que je remarque en cette fin octobre 2024. Marche dans Rishikesh, une marche qui suppose un effort particulier, soit éviter les nombreuses bouses de vaches et se pousser sans cesse de côté afin de laisser passer les deux roues qui ne cessent de klaxonner. Je ne me lasse pas de ce pays mais j’en viens à espérer le silence et le vide de l’altiplano granadino, le blanc immaculé des façades de ce village d’Espagne qui est devenu l’une de mes patries, le bleu intense du ciel avec des nuages aux formes marquées. Le silence et le vide comme dans ces compositions de la Metafisica, Giorgio de Chirico en particulier et ses ombres nettes, si nettes.

Depuis deux semaines je me nourris de Sweet Lassy, de petits gâteaux de blé et de fruits. Je fuis depuis toujours la friture (un désastre pour la santé et sous toutes les latitudes), les sauces et les épices. L’air indien est si nourricier, tout au moins ici et en cette saison, que l’on peut s’alimenter légèrement. Et je pense une fois encore à mes conversations passionnées et passionnantes avec l’ami René Levy, à Saint-Gaudens, au pied des Pyrénées, dans sa fondation « Cuisine et Santé ». René Lévy et sa rencontre décisive avec Georges Oshawa en 1956, René Lévy dont les préceptes m’étaient depuis longtemps familiers, instinctivement dirais-je. René Lévy (1927-2010) le macrobiote et sa capacité (devenue si rare) à se moquer de lui-même, à faire un pied de nez à son savoir et à son enseignement. Il connaissait la valeur de la récréation. Je pense souvent à lui – tant de souvenirs – chez moi et en voyage. Je lui avais dit que son enseignement m’évoquait celui de Juan Luis Vives. A ce propos, je lui ai dédicacé l’un de mes articles consacrés à ce Valencien : En souvenir de René Lévy, ce grand disciple d’Oshawa qui enseignait le mieux-vivre en sa fondation « Cuisine et Santé » de Saint-Gaudens. Il fut à sa manière un digne compagnon de Maïmonide, d’Érasme et de Juan Luis Vives. Avec René Lévy nous parlions aussi d’alcool, des alcools issus de la fermentation et en aucun cas de la distillation. Je lui évoquais les seuls alcools amicaux, soit le vin rouge et venu du tonneau, sans aucun ajout, des vins consommés localement et que l’on peut boire à l’occasion en dépassant la mesure tout en restant gai et attentif, sans jamais avoir la gueule de bois ou le vin mauvais. Je me souviens de Ramón et de son bar sur la hauteur d’un village des environs de Guadix. Il me désignait des vignobles en contrebas : « Le vin que tu bois vient d’ici ». Et ci-joint un lien sur René Lévy :

https://www.cuisine-et-sante.com/CES/fr/Le-Fondateur.asp

« The sun rose at a quarter to seven and with it went the mysterious beauty of the early morning » note Eric Newby. Je la connais cette mystérieuse beauté du petit-matin, et chaque jour j’aimerais pouvoir arrêter ce temps. J’observe les fourmis qui vont en tous sens sur la table d’un bleu sale sur laquelle j’écris et bois un Sweet Lassy. En lisant le chapitre « A stay at Benaras », un passage m’a fait sourire car il m’a fait revenir, et avec précision, un souvenir de Cochin vieux d’une vingtaine d’années : « After dinner which was quite good, a large rat appeared in the bar. “Waiter!” said a strong-minded Englishwoman. “There’s a rat under my seat.” (By now everyone else was standing on chairs.) “Yes, it lives there,” he said, and went on his way. » Mon souvenir a pour cadre l’Indian Coffee House de Cochin, proche de l’embarcadère, où j’avais l’habitude de prendre le petit-déjeuner. Un rat s’y promenait, entre les tables. Je m’en suis d’abord inquiété sans rien en laisser paraître ; et le calme des serveurs, élégamment habillés mais crasseux, me rassurait. Je me suis contenté de ramener mes jambes et de les serrer l’une contre l’autre. Je me suis en quelque sorte statufié, ne bougeant qu’un bras pour porter ma tasse de thé et mes tartines à ma bouche.

Dans le jardin du café où je bois un Sweet Lassy, un employé pousse un cri tout en agitant une tige de bambou. Que se passe-t-il ? Un singe s’est laissé tomber du toit et s’est placé à côté d’une touriste en menaçant de lui chaparder ses toasts. L’employé se dirige vers le singe qu’il menace ; le singe s’enfuit ; l’employé adresse au singe un geste amical.

Au bord du Gange. Un courant discret mais puissant oblige les navettes à partir très en amont et la proue presque face au courant afin d’atteindre le débarcadère situé juste en face. L’extrême saleté de tout ce qui m’entoure me devient d’un coup pénible ; mais je me reprends ; les gens sont propres et une jolie jeune femme se fait photographier en prenant des poses gracieuses. Des adolescents plongent dans le Gange en se tenant à des cordes attachées à la berge. On se trempe autant qu’on le peut dans ces eaux auxquelles les Hindous (et il me semble qu’ils ne sont pas les seuls) prêtent de multiples qualités. Sri Swami Sivananda écrit (un extrait qu’Eric Newby a placé en exergue au chapitre « A Stay at Banaras ») : « A well-known French physician, Dr. Félix d’Hérelle… observed some of the floating corpses of men dead of dysentery and cholera, and was surprised to find that only a few feet below the bodies where one would expect to find millions of these dysentery and cholera germs, there were no germs at all. He the grew germs from patients having the disease, and to these cultures added water from the Ganges. When he incubated the mixture for a period, much to his surprise, the germs were completely destroyed. » Dans l’introduction à son livre, Eric Newby note que « to ejaculate “Ganga, Ganga”, at the distance of 100 leagues from the river may atone for the sins committed during three previous lives. » En haut des marches, face au Gange, on vend des bidons en plastique de diverses contenances. Ils sont généralement d’un orange vif, de la couleur de la bande supérieure du drapeau national. Ils sont destinés à recueillir de l’eau du Gange, probablement pour des rituels, pour prévenir et guérir, comme l’eau de Lourdes chez nous.

Le soir, écouté des entretiens Antoine Mercier avec le Rav Raphaël Sadin, « Théorie du genre ou la défaite de l’altérité » sur Torah-Box. Liberté totale de la femme et de l’homme qui ne peuvent être assignés à leur biologie et ainsi peuvent se créer des identités, transférer leur identité. De ce point de vue la Torah ne contredit pas le Gender studies. Le problème se pose lorsqu’il y a intervention chirurgicale pour faire de la femme un homme ou inversement. La biologie est alors réduite à rien, niée philosophiquement et métaphysiquement. La Torah accepte pleinement cette notion fondamentale de séparation du biologique et du spirituel et du culturel ; elle n’accepte pas le déni par la femme ou par l’homme de ce qui leur a été donné, soit un corps qui est aussi un message spirituel qui doit être écouté. Il y a dans cette attitude un non-respect du monde – voir la notion centrale de résonnance dans la Torah. Elle n’accepte pas le déni du biologique (le don) au profit du culturel construit par l’histoire et le social, soit un déni du monde. L’homme se doit de faire apparaître en lui le féminin et la femme se doit de faire apparaître en elle le masculin. La théorie du genre est une destruction de l’humanité. La féminité est l’éternité, la masculinité est le dépassement, soit respectivement le cercle et la flèche qui sont en chacun de nous. Réduire l’altérité à un choix biologique revient à détruire l’humain en soi.

Sur Mabatim.Info, une très pertinente pétition qui demande à Emmanuel Macron d’expliquer ses incohérences envers Israël à l’aide d’une suite de questions qui toutes commencent par « Expliquez-moi pourquoi… »

Avant dernier jour indien. Au programme : en taxi Rishikesh – Haridwar pour la fête des lumières (Diwali) dans la famille de Sanjeev puis, le lendemain, Haridwar – New Delhi pour notre vol de retour destination Lisbonne, avec transits à Abou Dabi et Madrid, un long retour avec une longue attente à Madrid.

En compagnie d’Eric Newby. La force descriptive qui se déploie au chapitre « A Stay at Banaras ». A un moment, la beauté de Bénarès au lever du soleil se ramasse dans cette remarque splendide et répugnante : « There were so many temples that they were like some monstruous growth of fungi. » Observateur scrupuleux et, dirais-je, infatigable, Eric Newby sait reprendre son souffle dans un mouvement de distanciation. Par exemple, il écrit : « However well-intentioned he might be, and however anxious to participate, for a European to bathe in the Ganges at Banaras was simply for him to have a bath. It was as if a Hindu, having attended a Mass out of curiosity, decided to take Communion. » Il fallait le dire. La pénétrante auto-dérision britannique. Il s’efforce d’entrer en mystique afin de mieux comprendre l’hindouisme et il écrit : « Nor was it enough to read the books. So I had found for myself in the last cold winter of the war, inspired by a low diet and rash doses of Boehm and Eckart, thinking myself on the way to becoming a mystic. It had been like trying to enter a theatre by the exit. » Lorsqu’il décrit la seule nature il est émerveillé comme l’étaient les peintres anglais. Lorsque les hommes entrent en scène, ses sentiments sont mitigés et il effectue volontiers un mouvement plus ou moins marqué de distanciation.

Réservation d’un taxi Rishikesh – Haridwar, soit environ cinq heures de route. J’insiste sur la quantité de bagages qu’il nous faudra placer dans la voiture. Le réceptionniste me signale qu’une voiture plus spacieuse nous coûtera un peu plus cher mais que si nous le voulons nous pourrions entrer dans une voiture plus petite en nous serrant les uns contre les autres et en prenant des bagages sur nos genoux. Amusé, je lui signale que le chauffeur risquerait lui aussi d’être un peu serré et donc gêné dans sa conduite. Le réceptionniste a un grand geste vague et commande une voiture plus spacieuse en nous signalant que nous aurions pu nous contenter d’une voiture plus petite, étant entendu qu’en Inde on a l’habitude d’être serré les uns contre les autres.

Eric Newby : « It was a day of spring rather than winter in which everything seemed to be burgeoning, all except the man-made objects, villages, tanks, and shrines – which were mostly crumbling into dust. » Cette remarque m’a retenu car je me la suis souvent faite au cours de ce voyage en Inde, mais aussi au cours d’autres voyages. L’homme et ses productions, comme des salissures dans les espaces naturels.

30 octobre

Hier soir, au Rotary Club de Haridwar pour y célébrer Diwali, la fête des lumières, en compagnie de ses membres dont l’ami Sanjeev. Les motifs à entrelacs de la moquette du vaste salon, des motifs si complexes et colorés que j’ai durant une seconde la sensation d’avoir absorbé du LSD. Les serveurs timides et d’une politesse exquise, légèrement empotés. Je n’en éprouve aucune irritation, juste une sorte de tendresse amusée. Ce qui chez nous m’irriterais m’est ici sympathique. Au fond, je suis en Inde d’une perpétuelle bonne humeur et, surtout, d’une grande patience car ma perception du temps y change. J’allais oublier : ma bonne humeur aura été légèrement mise à mal par des problèmes de digestion, des problèmes réglés par le jeun et une diète entre Sweet Lassy et fruits.

J’aurais aimé travailler à une « Tentative d’épuisement d’un lieu indien », dans une ville ou un village, ou même au bord d’une route, car il (se) passe tant de choses dans une ville, un village ou sur une route, ici, en Inde. Y observer le mouvement (car ce pays d’immobilité est aussi un pays de mouvement incessant) et en prendre note c’est travailler à un livre infini, plus passionnant qu’un roman, c’est accepter de se laisser emporter, de n’être plus qu’une goutte d’eau dans un océan, ce qui peut paraître effrayant pour un Occidental mais ce qui ne l’est pas car se laisser emporter de la sorte est reposant. Il se passe mille fois plus de choses, et plus encore, dans un lieu indien que dans un lieu européen, parisien en l’occurrence – et je repense à l’exercice mené par Georges Perec, place Saint-Sulpice, en octobre 1974.

Hier, dans le salon de réception du Rotary Club, l’éclairage animé avec balayage rose tendre et mauve pareillement tendre, avec bouquets de fleurs artificielles. Un riche buffet mais je prends garde aux nourritures proposées d’autant plus que cinq bonnes heures de taxi nous attendent avant les heures de vol. Je me contente d’une copieuse dose de Banana Milkshake.

L’Inde, qu’en dire ? Une fois encore et au risque de me répéter, l’Inde est la terre de tous les contrastes, je l’ai aussitôt compris en y posant le pied, il y a une vingtaine d’années, à Bombay. Il suffit de porter un jugement sur ce pays pour que son contraire s’impose à vous et sans crier garde. Une fois encore, on peut s’en effrayer ; pour ma part je m’en amuse ou, plus exactement je considère cette donnée comme une richesse.

Dans le taxi entre Haridwar et New Delhi. Une fois encore j’observe la route indienne et sans rien en perdre. Elle offre un spectacle qui vaut tous les films. La route et la rue indiennes !

New Delhi International Airport, Terminal 3. En attendant l’avion pour Madrid via Abou Dabi, je me perds une fois encore dans les détails d’une moquette, une moquette aux compositions de style psychédélique. Je quitte l’Inde à bord d’un Boeing 777-300 de la compagnie Etihad Airways, je le quitte non sans tristesse mais j’y reviendrai par le souvenir – et ne voyage-t-on pas aussi pour se souvenir et peut-être même d’abord pour se souvenir ?

(à  suivre)

Olivier Ypsilantis

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