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Carnet indien (octobre 2024) – 13/16

A lire de Philippe Sola « Le Juif et le nazi. Métaphysique de l’antisémitisme ». Les islamistes et les Nations s’emploient à poursuivre l’œuvre d’extermination initiée par les nazis, ils la poursuivent au nom de la « légitime défense », les Juifs et Israël représentant une menace existentielle pour les nazis, les islamistes et nombre de membres des Nations qui jugent que les Juifs d’Israël représentent un danger pour la tranquillité du monde, pour leur propre tranquillité. Ainsi que le souligne Philippe Sola dans un article publié sur Tribune Juive, « Ils ne nous pardonneront jamais le mal qu’ils nous ont fait. » Israël inquiète les Nations car Israël s’envisage comme une nation particulière, élue, ce qui est reproché à Israël, un reproche qui ne cesse de revenir, génération après génération, car cette élection – le peuple élu – est mal interprétée, volontairement ou involontairement, par des esprits grognons ou a priori mal disposés envers les Juifs et Israël. Il faudrait à ce propos faire œuvre de pédagogie mais c’est peine perdue me semble-t-il. Il faut avoir l’esprit gangrené pour penser que les Juifs se considèrent au-dessus des autres. Qu’ils se sentent à part pour protéger une identité doit être accepté positivement ; ils protègent cette identité pour s’ouvrir à partir d’elle à l’universel et ainsi enrichir l’universel. Et la très singulière histoire d’Israël – du peuple juif – est bien une histoire universelle et non l’histoire d’une coterie qui s’est auto-sacrée et consacrée. L’intensité de l’universalité d’Israël est d’autant plus forte qu’elle n’est pas conquérante, prosélyte. Israël invite à sa table qui le veut pour un dialogue. Israël écoute et n’impose ni doctrine ou idéologie car il ne cherche pas à amplifier le nombre de ses adeptes mais à réparer l’homme et la vie par la réflexion. C’est la profondeur des racines d’Israël ainsi que leur densité qui permettent à cet arbre de résister à toutes les tempêtes et de continuer à inviter à la réflexion. La singularité d’Israël (ce pays qui ne cesse de revenir sur son histoire, notamment par le rituel des fêtes) maintient un héritage, un héritage qui en retour maintient cette singularité. Est-ce pour cette raison que l’on crie haro sur ce pays, sur ce peuple ? Je le crois. Il y a d’autres raisons à l’animosité des Nations, mais cette raison est centrale me semble-t-il. Que vaudrait une singularité si elle n’était que le duplicata de l’universalité ? Elle ne serait qu’un pléonasme, une inutilité à retrancher. Le peuple juif n’est pas infatué de lui-même, et ceux qui le perçoivent ainsi et qui perçoivent ainsi le message d’Israël ne peuvent comprendre qu’il les invite : « Assieds-toi à ma table, qui que tu sois ». Le Chemaʿ Yisrā’ël (שמע ישראל), « Écoute, Israël », invite Israël à écouter l’Éternel mais on peut le comprendre, tout au moins dans la traduction française, comme une invitation à écouter Israël, son enseignement, à écouter Israël et à l’interroger.

Je dis volontiers que le peuple juif est un peuple romantique, et il est probablement le dernier peuple romantique au monde. Je le redis en précisant qu’il faut comprendre ce mot dans son acception la plus consistante, la plus pure. Le peuple juif est romantique car il est prophétique. Le peuple juif est à contre-courant ainsi que l’a exprimé Alain Finkielkraut dans un petit essai, « Au nom de l’Autre – Essai sur l’antisémitisme qui vient » : le Juif a été accusé de cosmopolitisme à l’heure des nationalismes puis de nationalisme à l’heure de la mondialisation (heureuse comme il se doit). Cette singularité et ce mouvement à contre-courant invitent à l’ouverture, ils invitent non seulement les Juifs qui n’ont pas oublié qu’ils sont juifs mais aussi les non-Juifs qui ont compris autant par l’intelligence que par la sensibilité, autant par l’intuition que par l’étude qu’un message leur est adressé et que des clés leur sont tendues, des clés qu’ils sont libres d’accepter ou de refuser. Je dois le dire, c’est dans la pensée juive et ses histoires singulières que je trouve le plus bel équilibre entre raison et déraison. Le prophétisme est à sa manière déraison, déraisonnable – le vecteur romantique. Ces clés peuvent permettre à ceux qui les acceptent d’amplifier leur espace et de comprendre que le message d’Israël n’a pas été formulé par les membres d’une secte soucieuse de dominer le monde.

La pensée juive n’est pas dogmatique, autrement dit elle ne mutile pas, elle brasse et embrasse. Elle nous dit notamment (et il est vrai qu’elle n’est pas la seule, la pensée chrétienne la rejoint sur ce point, et sur d’autres) que la mondialisation n’est pas nécessairement heureuse, qu’elle cache un projet consumériste destiné à faire de l’humanité une pâte malléable, que dans le « Global Village » (on se souvient de l’expression de Bill Gates) Israël est le village des irréductibles gaulois, un village qui résiste à Rome, à l’Empire romain, soit à la mondialisation. René Goscinny nous délivre un message l’air de rien et sur un air amusé : si ce petit village résiste c’est que malgré toutes ses chamailleries – et on se chamaille chez les Juifs ! – les habitants de ce village forment un peuple, un peuple porteur d’un message, d’une prophétie. C’est le secret de la potion magique concoctée par le barde à longue barbe banche qui peut être envisagé comme une représentation amusée et sérieuse de Moïse. Les aventures d’Astérix le Gaulois sont à leur manière des aventures bibliques, des aventures qui ont enchanté et enchantent encore des générations dans de nombreux pays.

« Le monde ne se divise pas entre Juifs et antisémites mais entre ceux qui croient au discours, aux paroles, à la Parole, et ceux qui n’y croient pas », écrit Philippe Sola, une remarque particulièrement intéressante car même si le poids de l’antisémitisme est considérable et ne peut être nié, n’oublions pas que celui de l’antisionisme ne l’est pas moins (et ces deux tendances s’unissent volontiers), l’antisionisme qui fait fi de la mémoire juive et qui de ce point de vue rejoint les partisans de la mondialisation – qui voient volontiers Israël comme un empêcheur de danser en rond. Or, le peuple juif n’a jamais oublié « l’an prochain à Jérusalem », jamais ! Ce phénomène est probablement unique dans l’histoire de l’humanité et de ce fait il devrait plus interroger les Nations. Non, nous ne sommes pas dans un monde sans passé ! Non, nous ne sommes pas pris dans le présent comme des insectes dans un bloc de résine ! Nous ne sommes pas interchangeables comme des produits alignés sur les rayonnages d’un supermarché. « Les Nations ont peur qu’Israël ait raison, peur que la vision d’Israël soit la bonne, qu’effectivement Israël soit en alliance avec Dieu » écrit Philippe Sola qui poursuit en affirmant que ce sentiment de « légitime » défense porté par les nazis, les islamistes et de nombreuses Nations tient à cette crainte : qu’Israël ait raison. Cette affirmation rejoint en quelque sorte celle de Vladimir Jankélévitch lorsqu’il écrit que le crime (nazi) contre les Juifs doit être envisagé comme un crime métaphysique. La volonté exterminatrice exercée contre le peuple juif n’est pas dictée par le mépris mais par le sentiment que ce peuple constitue un danger par son existence même. Certes, le mépris active ce sentiment mais il ne le précède pas. Le Juif, le peuple juif et l’État juif, l’État des Juifs, les visages d’un même danger… Le Juif est celui qui tape à notre porte, en pleine nuit parfois alors que la tempête souffle, et qui nous entraîne dans un questionnement ; et dans ce questionnement se lit en filigrane le refus d’une totalité appliquée à l’humanité, la totalité nazie ou coranique. Et je pourrais en revenir au village gaulois et ses irréductibles. Israël tape à la porte des Nations et son questionnement n’est pas exclusivement d’ordre politique, il est aussi d’ordre métaphysique. « La politique, c’est l’acceptation de l’impossibilité de mettre en œuvre un absolu » écrit Philippe Sola. Il faut sauter hors de l’aire du politique et entrer fermement dans celle de la métaphysique et de l’identitaire afin de mieux s’opposer à la métaphysique musulmane (pour ne citer qu’elle) qui active les mécanismes mentaux de la substitution. L’islam est ce qu’il est, il lui faut simplement accepter ce qui l’a précédé. Le christianisme a fait cet effort, tardivement et bien imparfaitement. Par un renversement qui s’affranchit de la chronologie et qui fait du benjamin l’aîné, l’islam prétend être l’original, le judaïsme et le christianisme ayant trahi le message coranique. Et s’il accepte sa condition de benjamin, c’est pour déclarer qu’il est venu parfaire le judaïsme et le christianisme et ainsi fermer le cycle – l’islam se présente ainsi comme indépassable. La loi coranique manquerait-elle de confiance en elle-même ? On peut se poser la question en observant son entêtement violent à vouloir remplacer la loi de la Torah par celle du Coran. Le Verus Israel est tout simplement Israël et non le christianisme ou l’islam. Le christianisme et l’islam sont ce qu’ils sont, je ne suis pas ici pour organiser un hit-parade des religions, avec le judaïsme sur la plus haute marche du podium. Le 7 octobre (et je rejoins l’analyse de Philippe Sola) n’est pas un acte de résistance, avec le Hamas comme fer de lance d’un mouvement de libération, mais une volonté d’effacement radical d’Israël, effacement radical et métaphysique, étant entendu que le retour des Juifs sur leur terre et la refondation d’un État juif perturbent des métaphysiques ; en effet, comment accepter que ce qui était effacé ou en voie d’effacement se réaffirme et fasse douter le christianisme et l’islam de leur bien-fondé absolu ? Aucune paix ne sera vraiment possible aussi longtemps que l’islam ne se sera pas apaisé comme s’est apaisé le monde chrétien (bien qu’imparfaitement, je le redis) vis-à-vis du monde juif. Il ne s’agit pas de s’adonner à un simple dialogue œcuménique, une entreprise louable, certes, mais qui n’est qu’un pan d’un dialogue interreligieux dans la mesure où les différences doivent être exposées et soulignées afin d’élargir l’horizon des uns et des autres, de composer un tableau où les similitudes se trouvent rehaussées par effets de contrastes. Le dialogue œcuménique laissé à lui-même tourne vite à la fadeur.

Le Juif qui tape à notre porte nous dérange d’autant plus que « l’identité juive est une question, non une réponse » ainsi que l’écrit Philippe Sola, une identité qui échappe à la définition sitôt qu’on cherche à lui en appliquer une. Et de ce point de vue, la dernière partie du texte de Philippe Sola m’a placé en creux la silhouette de Franz Kafka et ses triturations au sujet de sa propre identité (juive).

Le Juif qui tape à notre porte nous dérange d’autant plus qu’il ne décline pas son identité tout de go, et commence par égrener des questions. Les Juifs s’éprouvent comme des locataires dans cette vie et en aucun cas comme des propriétaires même s’il arrive que certains en adoptent les manières. Et dans le meilleur des cas – qui peut être le pire des cas – le locataire (locataire de l’être) finit par inquiéter (sans jamais le vouloir) le propriétaire qui se dit que lui aussi pourrait devenir locataire (locataire de l’être) ; et ainsi finit-il par s’interroger sur sa condition – son identité – de propriétaire.

Jean Grenier dans « L’Inde imaginaire » : « L’humanisme est une invention hellénique, fait remarquer Sylvain Levi. Entre la cité et la caste pas de commune mesure. La cité est régie par une loi qui exprime une volonté générale et humaine ; la caste par une loi religieuse venue d’en haut, et qui varie à l’infini suivant les castes. Le Grec divinise l’homme dans ses limites et ainsi ne perd pas contact avec l’absolu ; allant plus loin, l’Européen actuel divinise l’homme dans ce qu’il a de commun avec tous les hommes et passe de l’humanisme à l’humanitarisme. Mais l’un et l’autre sont incompréhensibles à l’Hindou claustré dans sa caste et qui ne se soucie d’atteindre autre chose que par l’approfondissement et non par l’extension de son être. De là la marque distinctive de l’Inde. Elle s’est toujours dérobée à toute influence, bien qu’elle fût conquise. Elle a eu une ambition et une seule : s’exclure du monde. Absorbée dans son rêve (insensé pour un Occidental et stérile) elle demeure immobile, dédaignant la vie humaine qui, pour elle, n’est qu’un vol de moucherons balayés par le vent. »

Le Juif n’est pas même propriétaire de sa soukka, cette cabane de fortune installée dans le désert – personne n’est propriétaire du désert. Et lorsque nous aurons compris que nous partageons cette condition avec les Juifs, que nous passons en l’être, que nous ne faisons que passer en l’être, nous deviendrons juifs d’une certaine manière, étant entendu qu’il y a autant de manières d’être juif qu’il y a de Juifs, qu’il y a même plus de manières d’être juif qu’il n’y a de Juifs.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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