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Carnet indien (janvier-février 2003) – 5/8

 

En Header, le Consulat général de France à Pondichéry

 

5 février. Que de monde ! Et quel calme, malgré tout. Mer d’huile, foule d’huile.

Dans la nuit, les silhouettes courbées des balayeurs et un rat parfois. Les mouvements sont lents mais efficaces.

L’air est nourricier ; je mange à peine ; un tel climat prédit le Paradis. La patrie est partout où l’on se sent bien ; Cochin s’est donc converti en l’une de mes patries, assez nombreuses à présent.

 

6 février. Le Français pense 1934.

Je les écoute ; les sonorités de cette langue (le malayalam) répondent aux formes des lettres de son alphabet. C’est un écoulement régulier, une suite de roulements et d’enroulements où l’oreille étrangère cherche l’accentuation.

Chez le coiffeur. Il tourne autour de moi, avec peigne et ciseaux, comme un sculpteur autour de l’œuvre en cours. Il a le geste lent et élégant, et tout en l’observant dans la glace je pense à ces femmes du bâtiment observées il y a quelques jours, à leurs gestes pareillement lents et élégants.

Chez un avocat musulman, Abdul Majeed, numismate amateur. Il habite une petite maison verte aux proportions harmonieuses, à côté d’une petite mosquée pareillement verte. Sa femme se tient debout dans l’encadrement de la porte d’entrée, volumineuse et souriante. Elle ne cesse de me proposer café et rafraîchissements tandis que je détaille la collection de son mari.

 

7 février. Départ à 6h30 pour Pondichéry. Pondichéry, une certaine nostalgie française.

On s’arrête au bord de la route. Saint George pray for us. On se recueille devant une statue polychrome placée dans une chapelle tendue de satin bleu pâle.

Des paires de bœufs blancs aux cornes peintes ; des éléphants au travail, transport d’un tronc le plus souvent ; des camions peints à la main avec motifs floraux – on pense à de la broderie ; des autels à saint Georges ; des petites mosquées et des temples hindous – on pense à des jouets ; des écolières en uniformes avec couettes que retiennent des nœuds rouges – du plus bel effet dans le soleil levant.

Traversée du Nilgiri.

Sound horn. Sur le tableau de bord de notre chauffeur, le Sacré-Cœur de Jésus. Accroché au rétroviseur, un chapelet. Sur la route, les panneaux publicitaires affichent des langues vernaculaires et l’anglais comme langue véhiculaire.

I love you but do not kiss me, est-il peint sur le pare-chocs arrière d’un poids lourd.

Arrêt pour un thé. Pendus côte à côte, colliers de fleurs et régimes de bananes. Et à nouveau cette sensation : caves, greniers, placards, bref, tout ce que peut contenir une maison (sans oublier les poubelles) a été déversé dans les rues.

 

Un camion indien

 

Des bananes plus douces que des confiseries.

Des sentences à l’arrière de camions : Save rain water ; Follow road rules ; Save oil, save India ; One family, one child ; Save today for better future ; We two, ours one ; Safety first, speed next ; One family, one tree.

En sari et en amazone.

Les cornes peintes des bœufs s’ornent à présent d’embouts en bronze annelés, de grelots, de pompons, de rubans. Des tas de briques partout, belles comme du pain d’épice. Des chantiers de maçonnerie et leurs princesses. Les couleurs des saris sont plus soutenues, me semble-t-il, dans le Tamil Nadu que dans le Kerala ; mais peut-être n’est-ce qu’une impression due à ce que la végétation est à présent bien plus pauvre, avec ces d’étendues d’herbes jaunies et ces hauteurs caillouteuses.

Les petits temples sucrés et tarabiscotés qui attendent les gourmands.

Une publicité partout peinte : Sharon, strong to the core. Considérant l’actualité…

Ce bœuf blanc a une corne orange et une corne verte – les couleurs nationales. Ce bœuf a une corne bleue et l’autre rouge. Ce bœuf a une corne verte et l’autre jaune. Ce bœuf a une corne verte et l’autre rouge.

On se lustre. Le vert des rizières, des carrés ici et là. Assis dos à dos sur une mobylette. Les coquettes écolières. Des cimetières mais sans enceinte. Des tombes chrétiennes avec la croix latine. Une congrégation de saris safran. Pure for sure (Bharat Petroleum). Des ailes de nez ornées de rosettes en or et des boucles d’oreilles également en or qui leur répondent. Aux chevilles, des chaînettes d’argent.

A mesure que l’on approche du golfe du Bengale, rizières (avec silhouettes courbées) et champs de canne à sucre se multiplient. Des chariots à ridelles chargés de canne à sucre et tirés par des paires de bœufs ou, plus rarement, par des tracteurs. Canne à sucre aussi sur le porte-bagages de bicyclettes et sur cette mobylette ; c’est à grand-peine que son conducteur parvient à en saisir le guidon.

16h45, arrivée à Pondichéry. Nous passerons deux nuits à l’hôtel Surguru. Ma chambre, la 412. Elle est propre et spacieuse.

Premier clin d’œil de la France, La Vache qui rit et le képi d’un agent de police, lui aussi rouge.

18h, en terrasse. Le vent qui souffle du golfe du Bengale me fait croire un instant à l’Atlantique. Je me souviens alors de vacances estivales à l’île d’Yeu. Puis la Méditerranée s’impose, le paseo marítimo à Garrucha. Et ces retours spatio-temporels me prennent dans une suite d’enroulements amoureux. Le temps ne m’apparaît plus comme un corridor le long duquel je suis poussé comme un condamné.

Rue Mahé de La Bourdonnais et rue Suffren avec, en bout de promenade, la statue de Dupleix. En relief, sur une façade à l’abandon : Dispensaire pour lépreux. Arrêt en la cathédrale de l’Immaculée Conception dont l’entrée est flanquée par saint Roch et saint Vincent de Paul. En façade, un renfoncement abrite la Vierge Marie qui se tient sur la Lune comme s’il s’agissait d’une embarcation. Le Consulat Général de France, un palais sur le front de mer.

Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, utilisateur de la sea power (de 1735 à 1746) à l’imitation des Anglais, fera des Mascareignes la grande base de l’océan Indien d’où partiront des expéditions destinées à soutenir l’œuvre de Dupleix. Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, l’homme qui rêva aux bois du Bengale et de Birmanie pour une marine française qui souffrait d’un manque de bois en France. Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais et Dupleix, rappelés et désavoués par leur propre gouvernement et sa Compagnie des Indes orientales.

 

8 février. Pondicherry (Pondichéry pour les Français), un urbanisme en damier. La partie française ne s’étend guère au-delà des premières rues parallèles à la mer ; derrière, les quartiers indiens, musulmans et hindous.

La grand-place arborée avec le “Cercle de Pondichéry”. Ce bel édifice semble attendre l’œil d’une caméra qui saura suggérer une certaine nostalgie.

Be brisk to avoid risk ; les recommandations dans ce genre sont nombreuses dans le paysage indien.

Dans le quartier de la nostalgie, des petits bidonvilles aménagés sur les trottoirs, devant les ex-bâtiments de l’administration coloniale. Il est 9 heures. Accroupi, on se brosse les dents, on allume un petit feu pour le thé, on balaye, on plie les draps. Au-dessus d’une parole extraite de l’Évangile de saint Jean et peinte sur un mur (“Que votre cœur ne se trouble point. Croyez en Dieu, et croyez en moi.”), un petit singe en laisse s’épouille. A l’angle de la rue Surcouf et de la rue Victor Simonel, le Lycée français arbore le drapeau tricolore. Des chants viennent de l’église adventiste (Seventh-day adventist church), un charmant petit édifice gris-bleu. Attenante, une école secondaire (rue de l’Évêché) dont la devise est : Educate for eternity. On y chante aussi. A l’entrée, des sentences écrites à la craie sur un tableau noir :  Thought for today : Therefore, whether you eat or drink, or whatever you do, do all to the Glory of God, extrait de l’Épître aux Corinthiens. Des panneaux dans la rue : Notre ville est la beauté. Notre devoir est de la maintenir ou bien : Pondichéry est une ville bien construite. Maintenons-la en gardant proprement (sic). Je relève quelques noms de villa : Villa Marie Edouard Goubert, L’Avenir, Villa Louise, des villas qui disent encore la quiétude bourgeoise. L’Alliance française de Pondichéry, 58 rue de Suffren. A côté, une petite librairie française. Les livres sont sales et jaunis, on pense à une bibliothèque de prêt sans aucun moyen. Je me souviens avec nostalgie de la librairie de Cochin, à côté de la synagogue.

Le Grand Hôtel d’Europe, un petit hôtel aujourd’hui fermé et dont j’aimerais ausculter la mémoire. J’y vois des élégantes en chapeau cloche et des hommes en panama. De l’autre côté de la rue, la belle Villa Carlos tenue par les sœurs de Saint-Joseph de Cluny.

Petit-déjeuner au Café Lune (rue de Suffren) où, sur l’enseigne, le drapeau indien et le drapeau français croisent leur hampe de chaque côté d’un croissant de lune.

Rue Romain Rolland, un coq en bas-relief avec, au-dessus, Pathé-Ciné-Familial et, à côté, Salle Jeanne d’Arc 1934. Interroger la mémoire de ces lieux.

La forte présence de l’ordre de Saint-Joseph de Cluny.

L’École élémentaire (Lycée français) et, contigu, l’Hôtel de l’Orient.

Rue Dumas, au 19, l’École française d’Extrême-Orient.

Les belles maisons de plain-pied ou à étage, avec renfoncement qui ménage un balcon ombragé où s’alignent des portes-fenêtres en plein cintre et des colonnes doriques. Les balustrades.

En l’église Notre-Dame des Anges. Tous les jours sauf le jeudi, messe en français. Le dimanche à 6h00, messe chantée en tamoul ; à 7h30 et 17h15, messes chantées en français ; à 8h30, messe chantée en anglais. Cette église qui propose un agréable répertoire néoclassique a été construite par l’ingénieur Louis Guerre (1800-1865) au milieu du XIXe siècle. L’extérieur a été restauré avec couleurs vanille fraise et j’en ai l’eau à la bouche. Devant, un petit square avec une statue de Jeanne d’Arc.

L’Hôtel de Ville et le Police Headquarters sont gardés par des képis rouges.

Au dos du Monument aux Morts (Aux combattants des Indes françaises morts pour la Patrie 1914-1918), un bas-relief en bronze : l’arrivée de Dupleix à Pondichéry, le 15 janvier 1742. Un chien brun dort au pied du Poilu qui, pensif, a les mains en appui sur le canon de son fusil.

Arrêt dans un bar sur la grand-place arborée. Bien que de mauvaise qualité, le rhum suffit à agiter le souvenir. Les garçons ont le teint aussi sombre que le bois des tables et des chaises. Ils ne cessent de m’appeler sir.

Cocktail au Cercle de Pondichéry avec des amis indiens, numismates à Cochin. Nous trinquons sous un péristyle aux colonnes jumelées, dans la nuit tiède que parcourent des caresses tantôt furtives tantôt prononcées venues de la mer. Combien de belles Françaises ont-elles dansé ici, aidées par des alcools élaborés à des milliers et des milliers de kilomètres ?

 

9 février. Chercher des documents sur Sankara, originaire du Kerala (VIIIe siècle), ainsi que sur le Çivaïsme tamil et son influence du IIIe siècle au VIIe siècle.

De la “disparition” du bouddhisme en Inde, une disparition virtuelle que des historiens expliquent par le fait qu’il était devenu impossible de distinguer bouddhisme et hindouisme.

Dimanche 9 février. Je n’aime pas les dimanches ; les dimanches me dépriment, de Dublin à Athènes, de Cordoue à Pondichéry, de Montréal à Santiago du Chili, de Cochin à Göteborg, de… Ce que dit Arthur Schopenhauer du dimanche est très juste, tout au moins je l’éprouve pleinement.

Le ciel était gris et bas lorsque je me suis levé dans la chambre 412, après une nuit difficile, attaqué par la plus abominable des créatures, le moustique. Combien en ai-je écrasés contre les murs de la chambre ? Ils étaient repus de mon sang. Sous ce ciel gris et bas, une zone indéterminée de terre rouge, d’ordure et d’eau stagnante.

Où vivre ?

15h. Lumière transversale et splendeur des feuillages. La rue de la Compagnie, la bibliothèque Romain Rolland. Cet homme serait-il considéré ici comme le Gandhi français ?

Les Français et le Sri Aurobindo Ashram se disputent le front de mer avec Propriété privée – Défense d’entrer.

Devant les latrines publiques, deux employées dorment en chien de fusil à leur ombre. Mais que signifie Payeuse latrine ? Est-ce à dire que l’on me payera si j’y satisfais un besoin ?

Écrire un livre (une sorte de saga) qui suggère un peu de cette vie française à Pondichéry. Ces coins d’Europe dispersés sur d’autres continents ne cessent d’exercer une fascination légère et néanmoins tenace. J’ai toujours en projet un texte sur Melilla, l’Espagne en Afrique.

Et cette question encore et toujours : où vivre ? A Pondichéry, rue de Suffren par exemple ? Au Chili, j’avais pensé à Vicuña, au pied de la Cordillère des Andes, une certaine lumière. Où vivre ? Derrière quel mur trouver le sommeil ? Mais ne vaudrait-il pas mieux n’être qu’un passant afin de préserver notre capacité à percevoir, à nous émouvoir ?

Hindous, adorateurs d’images et plus encore que les catholiques ou que les orthodoxes. Au fronton de ce temple, un arrangement de créatures avec, au centre, le sympathique Ganesh et sa bedaine. Des seins – des globes –, des hanches qui s’évasent sous une taille étroite (comme si elle avait subi la pression d’un corset) et des ventres satisfaits. Les vaches (sacrées) se fichent parfaitement de cette religion, ce qui les rend encore plus sympathiques. Les vaches ! Je pense à la pampa, à Jules Supervielle.

Mangé quelques douceurs sous un poster du Taj Mahal. L’envie de douceurs me prend à présent quotidiennement.

Où vivre ? Mais, imbécile, quand cesseras-tu de (te) poser cette question ? Le présent n’est-il pas tout ? Laisse le futur aux assureurs.

L’Inde et l’hindouisme, c’est comme si l’on revenait dans la Grèce des dieux et des déesses, la Grèce d’avant Byzance.

On prie, on se lave ; on se lave, on prie.

Jésus, Marie, les anges, les saints, tous sont hindouisés. Au Chili, je les ai vus indianisés.

Devant la mosquée Jamia Masjid (1928), charmante, baroque avec ses arcs polylobés, ses balustrades florales, ses minarets (trop petits pour qu’un imam puisse y monter) que termine un croissant de lune couché, ce croissant sur lequel Marie se tient. Elle ressemble à un jeu de Lego cette petite mosquée blanche que des filets verts rehaussent.

Des enfants et leurs parents passent, des musulmans. “Ça va ?”, me disent-ils. “Ça va ?”, je pense au Maroc, un salut sous forme de question qui se répète à longueur de journée. Jusqu’à présent, en Inde, je n’avais eu droit qu’à : “Hello !”

Les plus belles demeures de Pondichéry sont rue Cazy, à côté de cette mosquée. Il faut s’arrêter devant les numéros 79, 75 et 59. Le numéro 75 retiendra particulièrement le passant, avec ses lambrequins délicats, ses pilastres à chapiteaux ioniques et son vaste balcon. Dans cette même rue, une autre belle maison, lambrequins rouge grenat et balustres verts. Sur la façade, une plaque : Prof. M. Mouhamad. Chevalier de la Légion d’honneur. Officier de l’Instruction publique. Sb. Director French College. On repasse dans la rue avec des fers à repasser remplis de charbons ardents. Le numéro 19, sa banquette maçonnée au dos joliment et agréablement incurvé contre la façade, et sa varangue sous laquelle contempler les pluies de la mousson.

Rue du Bazar Saint Laurent, au 28, la Société Mutuelle des Créoles (fondée le 3 juillet 1883). Un brouhaha s’en échappe et je crois à une vente aux enchères. J’entre. L’assemblée est agenouillée, les femmes devant, têtes couvertes. Il doit s’agir d’une célébration religieuse, encore une !

Au-dessus d’une porte, une plaque ovale en marbre : Villa Marie-Béatrice. Qui fut cette femme ? Sur une façade, un petit bas-relief en marbre des Pyrénées. Souvenir de Lourdes ainsi qu’il est précisé. La ferronnerie du balcon est peinte en bleu, blanc, rouge. Un marteau et une faucille tracés à la craie sur un mur.

Sur Mahatma Gandhi Road, une petite tour à horloge donnée à la ville de Pondichéry par Monsieur L. (j’épargne au lecteur un nom de plus de vingt lettres !) en 1892. Elle se dresse à l’angle d’un marché que l’on ne manquera pas de visiter. L’une de ses entrées conduit au marché aux poissons. Des femmes se tiennent accroupies ou en tailleur devant de modestes étalages qu’elles arrosent régulièrement ; ainsi la marchandise luit-elle, argentée.

Ces deux femmes juchées dans la benne à ordures (des préposées au nettoyage de la voirie) ont de beaux saris qu’elles ne cessent de secouer afin d’en faire tomber la poussière.

Une mosquée, arcs polylobés encore et minarets cannelés dont le diamètre n’excède pas celui d’une colonne de temple grec.

Une façade Art déco avec des agencements autour de svastikas.

Des souffles frais venus des rues adjacentes au golfe du Bengale. J’aime Pondi.

Ne pas essayer de dater un certain style de construction ; le style années 1930 s’est décliné jusque dans les années 1960 et 1970, ainsi que j’ai pu le vérifier.

Dans le quartier français, quelques Indochinoises ; probablement des témoins de la grande aventure coloniale française.

Contrôle routier à la sortie de Pondichéry. Deux képis rouges. L’un d’eux s’exprime dans un français hésitant mais correct. Je lui fais un compliment sur son képi, une marque de la France. Il renchérit et déclare l’index levé que je ne trouverai pas un tel couvre-chef dans toute l’Inde. Il me quitte par un “Salut p’tit gars !”

Des visages peu avenants, des pensionnaires de l’Ashram, parmi lesquels de nombreux Allemands, toujours prêts à s’aplatir aux pieds d’une divinité et à subir sa discipline, en la circonstance aux pieds de la Mère, une Parisienne, compagne de Sri Aurobindo de 1920 à sa mort en 1950.

Auroville, navrant, à l’usage des bourgeois dans le sens franchement négatif du mot. Je n’aurai pas le temps de visiter le port d’Arikamedu, à quelques kilomètres au sud de Pondichéry. Le territoire de Pondichéry et ses trois autres enclaves, entre Tamil Nadu, Andhra Pradesh et Kerala.

 

10 février. Dîner à deux heures du matin, au bord de la route, dans la nuit tiède, la nuit indienne, la plus belle des nuits, accueillante, bien-aimée. Une omelette présentée sur un morceau de feuille de bananier, à la lumière d’ampoules hésitantes, alimentées par un générateur (le teufteuf du générateur me dira les campagnes indiennes et leurs villages), des scènes propres à décourager les maîtres du chiaroscuro. L’omelette est épaisse, irrégulière comme une monnaie antique. Les belles tonalités que lui donne la cuisson (le feu est alimenté par des coques de noix de coco), les herbes et les épices. Pour le dessert, des petites bananes non moins savoureuses que les douceurs ottomanes.

Au bord de la route, des néons verticaux, blancs ou verts, autant d’arrêts pour se restaurer et se désaltérer.

9h30. Fort Cochin, la rue aux épices ; mes éternuements sont comme autant de remerciements. Que j’écrive ne cesse de les intriguer et je me vois contraint à des explications. Beaucoup se contentent d’une réponse évasive mais certains veulent des précisions ; par exemple, un compte-rendu de tout ce que j’ai écrit jusqu’à présent.

Chez Albert. Le parfum de l’encens venu d’un bouquet de bâtonnets disposé devant l’image du Sacré-Cœur de Jésus.

Longue marche sans but dans Fort Cochin. Les croassements des corbeaux autour des cloaques.

Quartier musulman : des hommes à barbes et à calottes, des femmes têtes couvertes, des sentences coraniques, des chèvres devant les habitations, des mosquées et leurs haut-parleurs. Une petite chapelle à un croisement, The Little Flower of Jesus (1935).

Inde, fourbis de religions, fourbis à religions.

Le communisme, l’islam, le capitalisme, l’ère des masses : masse des militants, masse des croyants, masse des consommateurs.

A un carrefour ombragé, St. Paul’s Public School ; et une église, St. Peter’s & St. Paul’s orthodox syrian church.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

3 thoughts on “Carnet indien (janvier-février 2003) – 5/8”

  1. C’est bien beau tout ça. Mais moi je lis sporadiquement ce blog dans lequel il y a parfois des choses intéressantes. Là, ça fait quelques mois que je regarde de temps en temps ce qu’Ypsilantis va nous dire du sujet numéro un, le plus important de l’époque: la guerre en Ukraine. Un sujet, soit dit en passant, central du point de vue de la mémoire juive, Zakhor, compte tenu de tout ce qui s’est passé en Ukraine au cours de l’histoire. Rien, pas un mot. On nous promène dans le monde entier, dans toutes sortes de pays exotiques et on évite LE sujet. Ce n’est pas sérieux.

    1. La question ukrainienne suscite une cacophonie et je préfère ne pas en rajouter. Je prends des notes, beaucoup de notes sur cette question ; je les étudierai avec du recul, un luxe que je puis encore me permettre et je tiens à en profiter. Pour l’heure, je viens de relire un long carnet tenu en Extrême-Orient (que je publierai sur ce blog) et je travaille à dix articles sur la Cabbale et Adin Steinsaltz. Comme vous pouvez le constater, je ne suis pas dans LE sujet. Mais j’y viendrai… avec du recul.

  2. Parfait, dans ce cas j’attendrai…

    Votre dernier article sur les Juifs du royaume de Murcie a l’air bien intéressant.

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