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Carnet d’Extrême-Orient (février-mars 2009) – 7/13

 

En Header, le Musée des Beaux-Arts d’Hanoï qui fut un lycée de jeunes filles, l’internat Jeanne-d’Arc.  

 

26 février. Ðiện Biên Ph, ville qui ne cesse de croître et englobe à présent l’essentiel de ce qui fut le champ de bataille. C’est le Far-West du Vietnam, une ville construite à la hâte et sans profondeur sur les côtés. Les automobiles sont rares, les bicyclettes et les motocyclettes sont très nombreuses. Les femmes sont belles, beaucoup plus belles qu’au Laos. Les gestes d’affection envers l’enfant David sont plus spontanés. On le montre volontiers du doigt en souriant, tandis qu’au Laos on évite plutôt ce geste. On s’approche pour lui caresser les cheveux et même le serrer dans les bras. On devine une belle énergie chez ce peuple jeune et très ancien. Hier, une femme s’est mise à faire couler entre ses doigts, très délicatement, les cheveux de l’enfant. D’une manière générale le comportement des individus est plus énergique qu’au Laos. Les gestes des serveurs sont rapides et précis, comme en Espagne. Il y a au Laos une indolence (je ne sais si le mot est exact en la circonstance) comme chez les Indiens de la cordillère des Andes. De la fenêtre de ma chambre, j’observe un petit immeuble à façade verte et soignée ; il semble dépourvu de sa troisième dimension, une impression qui me prend, ici, devant nombre de constructions. Pourquoi ? Je pense à des décors de cinéma comme j’en ai vu dans le désert de Tabernas. Le caractère industrieux du Vietnamien ne manquera pas de frapper tout voyageur venu du Laos. Pullulement de commerces, vastes chantiers de travaux publics un peu partout. On bétonne et on bétonne. Le dépaysement est moins marqué qu’au Laos et en partie parce que l’alphabet vietnamien ne diffère pas de notre alphabet, à l’exception des discrets diacritiques. Des chapeaux coniques un peu partout ; le nón lá. Un homme manie une raquette de tennis ; non, c’est une raquette anti-moustiques ; dès qu’un insecte touche la résille métallique on entend un bref grésillement. Dans une perspective, une antenne-relais d’une hauteur assez considérable affecte des allures de tour Eiffel. Partout des bicyclettes astucieusement aménagées qui peuvent constituer de véritables commerces à deux roues avec étalages joliment présentés. 13 h 30, à pied vers l’aéroport. Lumière peu amicale, poussiéreuse. Décollage pour Hanoï (Hà Nội) à 15 h, à bord d’un ATR 72. Je n’aurai parcouru qu’une petite partie des vestiges du champ de bataille de 1954 et des points d’appui français qui tous avaient des prénoms de femmes.    

 

27 février. Trouvé une chambre au “Queen of Heart Hotel”, dans le vieil Hanoï, chambre 301, à quelques pas du lac Hoàn Kiếm. La belle réceptionniste nous propose une réduction si nous restons plusieurs nuits, ainsi que des facilités plutôt séduisantes pour les voyageurs venus du Laos. Elle s’exprime dans un bel anglais et avec un sourire des plus charmants. Ici, l’efficacité n’a pas encore eu raison de la grâce. Le peuple vietnamien est un grand peuple, je le sais, et ce voyage me le confirmera.

Sur l’île de Jade, si riche en légendes. Le lac Hoàn Kiếm, le lac de “l’Épée restituée”, l’épée magique dont Lê Li se servit pour chasser les Chinois du pays. Voir la légende avec la tortue pour protagoniste. Étudier la stratégie et la tactique du général Trn Hưng Đo qui, en 1288, vainquit les envahisseurs mongols.

Température des plus agréables, un plaisir après la moiteur de Ðiện Biên Ph. D’amples souffles frais. Le temps était couvert, hier, à l’atterrissage, et une pluie très douce et très légère nous accueillit au sortir de l’avion, avec une température de 25°. Je n’oublierai pas cette arrivée dans la capitale du Vietnam.

Les constructions du temps des Français, dans le vieil Hanoï. Elles sont volontiers ocre jaune clair avec huisseries vert foncé. Des rues me disent avec précision certaines œuvres d’Alexis de K., avec ces façades étroites et hautes en rupture les unes avec les autres, provoquant ainsi une constante dislocation des lignes de fuite. Lecture d’un article sur l’art (chinois) du papier découpé. Retenu des places pour un spectacle de marionnettes sur l’eau. La rapidité des Vietnamiens en tout, surtout lorsqu’ils voient en vous un client. Marche dans le quartier des “trente-six rues et corporations”, la cité marchande. La rue Hàng Ðào, la principale rue commerçante du Vieux Quartier. Dans cette rue, au 38, la Maison du Patrimoine dont la restauration a été réalisée avec l’appui financier de la Ville de Toulouse, une restauration qui devrait marquer le coup d’envoi du Plan de Préservation et de Restauration du Vieux Quartier d’Hanoï. La maison communale et sa triple fonction : administrative, religieuse et culturelle. Les maisons communales d’Hanoï aident à comprendre le processus de formation de la ville à partir des villages où ces maisons étaient les constructions les plus importantes. Tandis que je déambule dans le Vieux Quartier, je ne cesse de penser à l’œuvre d’Alexis de K. Je l’imagine dans une minuscule pièce – son atelier – avec vue sur rue, prenant note de tout ce qu’il voit de sa fenêtre. Une telle densité l’aurait enivré et il l’aurait restituée afin qu’à notre tour nous nous enivrions – mais, d’abord, elle l’aurait fait revenir dans son enfance, à Singapour, fin années 1950 – début années 1960. Une féérie rouge, un magasin de lanternes et de cerfs-volants, de papiers et de rubans. Du rouge intense mais aussi toute une palette entre le safran et le doré. Des cœurs de tailles variées, à deux ou trois dimensions. A côté d’une estampe de Bouddha, en méditation sur une fleur de lotus, un portrait de H Chí Minh. Une société de pousses-pousses a pour nom “Sans Souci”. Des gazouillis d’oiseaux… mécaniques. Une pluie très fine, très douce.

Hanoï, capitale du pays depuis 1010. De spectaculaires célébrations sont prévues pour l’année prochaine, le millénaire. En 1802, le fondateur de la dynastie Nguyễn, l’empereur Gia Long, transféra à Huế le siège du pouvoir et Hanoï se vit relégué au rang de capitale régionale. De 1902 à 1953 Hanoï fut capitale de l’Indochine française.

Retour à l’hôtel. Fatigue après sept heures passées à déambuler dans la vieille ville. The pulsating, bubbling, buzzing Old Quarter. Les tunnel houses, des maisons si étroites qu’elles évoquent des jouets, étroites et très étirées, ce qu’explique un système de taxation basé sur la largeur des façades – on pense à Amsterdam.

 

28 février. Ici, pas de tuk-tuk mais des cyclo-pousses. Beaucoup de marchandises sont transportées à l’épaule, dans des paniers suspendus à des balanciers, ce qui est très rare au Laos où le panier se transporte presque toujours sur le dos. Un petit autel votif dans un coin de magasin : on a offert à Bouddha cinq canettes de Coca-Cola. La marée des deux roues : bicyclettes, petites cylindrées ; les automobiles sont plutôt rares. Le pont pourpre. Des souffles frais, encore. Je feuillette un guide laissé par un voyageur à la réception de l’hôtel. J’y retrouve les sigles suivants et leur signification : DMZ pour Demilitarized Zone, MIA pour Missing in Action, UXO pour Unexploded ordnance, POW pour Prisoners of war.

Deux souvenirs. J’étais à l’armée lorsque la Chine attaqua le Vietnam, au début de l’année 1979. Cette guerre m’inquiéta au point que j’imaginai le début d’une guerre mondiale. Et l’enfermement dans une caserne contribua grandement à cette inquiétude. Chez mon oncle, l’année du baccalauréat. Je suis en direct l’arrivée des Nord-Vietnamiens dans Saigon. La grille du Palais Présidentiel est enfoncée par un T-54, le 30 avril 1975.

Le pays ne tardera pas à compter cent millions d’habitants. Et il y a peu de cheveux blancs ici. Ils sont (très) nombreux à ne pas avoir connu la guerre. Je m’efforce de rassembler des souvenirs. J’avais douze ans lors de l’Offensive du Tết et des combats dans la DMZ, à Khe Sanh en particulier. Nous n’avions pas la télévision, que ma mère refusait catégoriquement, et l’essentiel de l’information me venait de “Paris-Match” ainsi que je l’ai écrit.

Ciel gris et souffles frais. Le voyageur remercie le ciel. Visite du mémorial H Chí Minh, situé derrière le mausolée (aujourd’hui fermé), une imposante construction plutôt disgracieuse mais entourée d’un beau jardin aujourd’hui tout humide. J’hésite à y entrer ; mais il est instructif d’étudier la manière dont un pays met ses héros en scène. Les voyages formateurs du président. Le mémorial s’organise selon trois sections ; la première est de loin la plus intéressante.

Il est bien sûr inutile et pédant de refaire l’histoire, mais on peut tout de même avancer que les Français auraient beaucoup gagné à s’entendre avec H Chí Minh, comme l’espérait le général Leclerc ; et d’immenses souffrances auraient été évitées pour les uns comme pour les autres. A ce propos, je pourrais en revenir à d’autres entêtements français, dont celui de Napoléon envers Toussaint Louverture.

Alors que je suis occupé à prendre des notes, penché sur une vitrine, un jeune homme s’approche de moi et se propose d’être mon guide. Il me parle avec respect de H Chí Minh et me demande tout de go ce que je pense de son pays. Je commence par lui lire ce que je viens d’écrire sur mon carnet : une entente qui aurait évité les accords de Genève, la partition du pays et tout ce qui s’en suivit ; et je poursuis en lui déclarant que le peuple vietnamien mérite le respect et pour bien des raisons. N’est-ce pas lui qui mit fin au régime des Khmers rouges, en janvier 1979, puis qui repoussa les Chinois désireux de lui donner une leçon ?

 

1er mars. Spectacle de marionnettes sur l’eau. Description de la vie paysanne dans une suite de petits tableaux. On pense bien sûr à “Pierre et le Loup” de Prokofiev, une musique illustrative comme l’est volontiers la musique russe. Les mécanismes qui actionnent les marionnettes sont immergés. Mais l’eau n’est pas seulement écran, elle est aussi actrice. Les créatures malicieuses, voire agressives, qui surgissent de l’eau.

Marche dans la partie coloniale d’Hanoï, aujourd’hui quartier des ambassades, riche en bâtiments harmonieux. Puis retour dans la ville chinoise où nous logeons. Temps couvert, température des plus agréables, à peine 20°. Le Long Biên Bridge, anciennement pont Paul Doumer. On ne cesse de vouloir cirer mes sandales en cuir couvertes de la poussière du Laos. Mais je l’aime cette poussière ! Le très beau Goethe-Institut, digne d’Otto Wagner. Nombreuses belles demeures coloniales, certaines restaurées avec un goût parfait, d’autres dans un état de décrépitude plus ou moins avancé. Devant tant de témoignages architecturaux on peut dire que les Français étaient des bourgeois (terme nullement injurieux en la circonstance) et des administrateurs passionnés.

Musée des Beaux-Arts, installé dans ce qui fut un lycée de jeunes filles, l’internat Jeanne-d’Arc. Le département ethnographique. Les armoires incrustées de nacre et les objets de culte en papier coloré de l’ethnie des Kinh. Les faucilles pour la récolte du riz de l’ethnie des Khmer, une seule courbe en forme de S étiré. Les carrés brodés noir et blanc, avec swastika, de l’ethnie des Dao. Les gravures sur bois avec animaux placés dans des situations bien humaines : un rat se marie, un crapaud dispense un cours, etc. De la Hàng Trng painting, des gravures sur bois peintes dont certaines montrent des parades de soldats français. Magnifique suite de céramiques monochromes de la dynastie Lỳ (XIème et XIIème siècles) ; et cette suite qui a ma préférence : des céramiques de la dynastie Trần (XIIIème et XIVème siècles), avec ces lys qui m’évoquent l’art minoen, motifs bruns sur fond blanc cassé. Le Bouddha jeûneur est strié. Les danseuses du Champa en bas-relief. L’infinie puissance décorative du dragon. De nombreux dessins et peintures exaltent la lutte du peuple vietnamien pour son indépendance. La plupart de ces œuvres ne manquent pas de style et certaines m’évoquent Alexandre Deineka, le Soviétique. Les belles images en laque gravée (lacquer etching). L’une d’elles, de grandes dimensions (120 cm × 180 cm), a pour titre “L’Oncle Hồ en campagne militaire”. Au dernier étage, de nombreuses gravures sur bois célèbrent la vie paysanne et la lutte du peuple vietnamien, une lutte où prévalent les sourires et les couleurs printanières. Une fois encore, les qualités picturales sont fortes et certaines de ces œuvres sont dignes des plus grands noms de l’art européen d’alors.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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