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Carnet chilien (juillet 1998) – 4/4

20 juillet

Quelques belles filles dans les rues d’Arica. Enfin ! Et des sourires ! Et une vivacité dans les réponses ! Des visages expressifs, des silhouettes élancées, des regards qui ne fuient pas, des cafés où s’attarder et prendre des notes. Ces villes qui ne sont que des annexes de mines sont probablement parmi les plus déprimantes au monde. Arica, je sais déjà que je resterai nostalgique de cette ville.

Ferretería la Chilenita.

La cathédrale (inaugurée en 1876) est l’œuvre d’un compatriote, Gustave Eiffel. Sur la place, un beau buste de Cristóbal Colón offert par la colonie italienne d’Arica à l’occasion du premier centenaire de l’indépendance de la République chilienne.

Au fronton de la Aduana, devenue Casa de la Cultura, une horloge qui a voyagé (E. Beignet Paris). Mais c’est la quasi-totalité de l’édifice (encore une œuvre de Gustave Eiffel) qui a voyagé. Les briques sont marquées du sceau G. Eiffel et Cie Paris.

Un shampoing, Plus Belle.

L’adorable intonation du tr (otro, atras, tres, etc.).

Une épicerie au numéro 707 calle Colón, Comercial James Bond.

“Si usted quiere echar una miradita…” Bon sang, je vais tomber amoureux de ce pays pour ses diminutifs !

Ferrocarril Arica – La Paz (Secc. Chilena). Feliz Viaje. La droga destruyé al hombre / Ferrocarril Arica – La Paz (Secc. Chilena). Bienvenido a Arica. La droga destruyé al hombre.

Certains magasins ont une double activité. Ainsi ai-je vu une zapatería – perfumería, une perfumería – librería, une librería – articulos eléctricos, une ferreteríamercería, etc. La combinaison perfumería – librería est assez fréquente.

J’entends partout al tiro (au Pérou c’est al toque).

Très peu d’hommes sont affectés par la calvitie ; leurs cheveux ont une vitalité qui doit venir du métissage.

 

21 juillet

Les géoglyphes correspondent à la période du Desarollo Regional (entre 1 000 et 1 400 après J.-C.). Ils peuvent se diviser en trois familles : ils sont géométriques, zoomorphes ou anthropomorphes.

Marche dans la camanchaca.

Los perritos (les petits chiens) : les pinces à linge.

Au bord de la route, une grande croix couverte de plaques minéralogiques. Je suppose le pire.

Ces étranges impressions auxquelles me conduit la contemplation de la yareta (Azorella compacta ou Azorella yareta)

Lac Chungará. En sortant de l’autocar, je m’effondre par manque d’oxygène (altitude 4 500 m). On m’avait prévenu mais je m’étais contenté de hausser les épaules. Là-bas, le volcan Parinacota (6 342 m), la Bolivie.

La belle église de Parinacota. Chemin de croix peint à la fresque. Ses contreforts, des amoncellements de pierres brutes. Son toit, le faîte de l’enceinte et les corniches du campanile sont recouverts de paja brava.

Visite du Tambo inca de Zapahuíra, des magasins destinés à recevoir la mita locale et une halte pour les voyageurs.

 

22 juillet

Aéroport d’Arica. A l’entrée des salles d’embarquement, un tronc sur lequel il est écrit : “Viajero, tu que al volar estas mas cerca de Dios recuerda que en la Tierra necessitan de tu amor.” Et, sur la base du tronc : “Ayuda al hogar de ancianos.”

A bord de l’avion qui assure la liaison Arica-Santiago de Chile, lu un article sur les astéroïdes. L’un d’eux baptisé 1997 XF 11 pourrait dans un avenir proche (2028) menacer la Terre. Cette menace est prise très au sérieux depuis que le prix Nobel de Physique, Luís Walter Álvarez, et son fils, un géologue, ont émis une proposition aujourd’hui largement admise dans le monde scientifique selon laquelle la disparition des dinosaures serait due à l’impact d’un astéroïde de quelque dix kilomètres de diamètre lancé à une vitesse de quinze km/s environ. L’inquiétude humaine se porte en tous sens et ne cesse de se chercher des raisons précises. Cette inquiétude va de l’infiniment petit à l’infiniment grand, de la cellule maligne au cosmos et ses astéroïdes. A ce propos, le cataclysme cosmique nous fait oublier la cellule maligne, la mort collective et soudaine nous soustrait à la mort individuelle (solitaire) et lente. Les plus hautes inquiétudes devraient être d’ordre moral.

Il n’y a pas de plus beaux travaux que ceux de l’érosion (en contemplant la terre chilienne d’un Boeing 737/200 d’Avant Airlines).

La vitalité de la nostalgie.

Autant de droits, autant de devoirs, il ne peut en être autrement dans la vie sociale sous peine de dégénérescence de toute la société.

Arrivée à Valparaiso. Hotel Prat, chambre 413, confortable, avec salle de bain privée. D’interminables couloirs crépis vert anis avec de hauts plafonds vert mousse.

 

23 juillet

Valparaíso. J’admire la courbe d’un nez. Hier, j’admirais les travaux de l’érosion. Qu’admirerai-je demain ?

Les carabineras, leur petit chignon en bord de casquette. Adorable.

Ce n’est pas à Punta Arenas ou à Porvenir qu’il me faudrait vivre mais plus au sud encore, à Puerto Williams.

Coca Cola dans le paysage chilien. Il y aurait un bel album à constituer sur ce thème. Dans la rue, des fresques délicieusement vintage.

Valparaíso cerné par des collines et une quinzaine d’ascenseurs inaugurés entre 1883 et 1915. Cerro Mariposa, Cerro Florida, Cerro Bellavista, Cerro Alegre, Cerro Playa Ancha, etc. Un graffiti en haut de l’ascenseur El Peral : “De tu cuerpo, ese cuerpo que no me atreví a disfrutar, hasta el mas profundo de sus rincones, quisiera ahora llegar.”

Promenade sur les cerros. Des maisons aux influences anglaises ou allemandes. Et des impressions diverses : Europe centrale, Balkans, peintures d’Edward Hopper. La tôle ondulée, élément dominant dans ce paysage, peut être aussi minable qu’élégante.

Plaza Anibal Pinto, un beau Neptune en bronze. Une maison recouverte de tôle ondulée mordorée, Brighton B&B, domine agréablement cette place. Pris un thé au Café Riquet qui laisse transparaître ses belles heures.

 

24 juillet

Valparaíso. Cementerio de Disidentes entretenu par des Anglais. De l’autre côté du mur, un haut-parleur appelle des prisonniers au parloir. Une femme quitte la prison avec une belle maquette de voilier, un trois mâts, probablement fabriquée par un père pour ses enfants. Sur la tombe de William Lean (mort le 13 juillet 1859 à l’âge de 26 ans), il est écrit : “Come view this tomb as you pass by. As you are now so once was I. As I am now so you must be therefore prepare to follow me”. Sur la tombe de Henry Osbond Burdon (mort le 1er novembre 1848), il est précisé qu’il fut blessé à la bataille de Waterloo.

La Panaméricaine se prolonge à partir de Puerto Montt en Route Australe.

Me renseigner sur ce gentilhomme français, Orélie Antoine de Tounens, dernier roi des Indiens araucans (ou Mapuches), de 1860 à 1873, et qui lutta pour l’indépendance de l’Araucanie.

Une enseigne : Novedades para señoras. Casa Peña. Existe para servir y servir es vivir. 

 Les marques discrètes d’une présence anglaise (la marine). Mais les lampions de la fête se sont éteints. Valparaíso est tombé dans la décrépitude et les commerces proposent des articles de médiocre qualité. Valparaíso, ce nom prête aujourd’hui à sourire. J’aurais aimé connaître le Valparaíso d’antan – mais aurais-je su en apprécier toute la saveur et la dire ?

Monument à Arturo Prat. Dans la crypte reposent les restes de membres des équipages de la Covadonga et de l’Esmeralda. Au centre, Arturo Prat entre Carlos Condell et Ignacio Serrano.

Le Chili carte postale :  les glaces autant que les sables, sans oublier les moaï (île de Pâques).

 Port de Valparaíso. Quelques noms de bateaux : Pilar del Carmen, Premio Nobel, Tiberiades, La Niña, La Pinta (je revois ma mère me faisant réciter les noms des trois caravelles de Christophe Colomb).

Sur le bâtiment des douanes, une plaque en hommage à Rubén Dario. Il débarqua dans cette baie le 24 juin 1886 et sera employé des douanes.

Que d’enseignes dans les villes chiliennes ! Je ne vois parfois qu’elles. Elles sont particulièrement nombreuses à Arica. Dans le désert et dans les villes entourées par le désert, la moindre enseigne prend une importance considérable. C’est le mot qui s’oppose au vide, ce qu’a admirablement montré Wim Wenders dans ses photographies.

Un bel arc de triomphe offert par la colonie britannique à la ville de Valparaíso, à l’occasion du 150ème anniversaire de l’indépendance du Chili et du 425ème anniversaire de la découverte de cette ville.

Valparaíso où les symboles maçonniques sont bien présents. Salvador Allende, un enfant de cette ville, était franc-maçon.

Arrivée à Viña del Mar. Je me suis endormi dans les bruissements de l’océan Pacifique.

Ici, au bord du Pacifique, on attend les tsunamis – et ils viendront, tôt ou tard.

 

25 juillet

Viña del Mar. L’océan Pacifique sous la baie vitrée.

Ému par l’intérêt que je porte à la Guerre du Pacifique et au sacrifice de l’Esmeralda, un Chilien me conte le déroulement de cette guerre comme si elle était en cours.

J’aime ces musées chiliens pas trop arrangés ; le visiteur peut y éprouver ce mystère proche de celui des caves et des greniers.

Monument aux morts de la bataille de Concón, 21 août 1891, dernier épisode avec la bataille de Placilla de la guerre civile.

Cimetière d’Olmue (Limache). Certaines croix reposent sur un de leurs bras ; pourquoi ? La verticalité de la Croix est si affirmée que ces croix basculées provoquent un certain désagrément : on pense à du vandalisme.

L’air parfumé de Limache, le meilleur du monde me dit-on.

Déjeuné à Olmue, Hostería El Copihue (El Copihue, la fleur de l’Araucanie).

 

26 juillet

Viña del Mar. Un rêve interrompu. A la lisière d’un bois, deux acteurs. Leurs gestes lents se veulent tragiques. Entracte. Je m’approche de l’un d’eux pour une entrevue (je suis employé par un journal local). Il a un geste las. L’autre s’apprête à répondre à sa place. Gestes d’agacement. Il leur faut traverser la plaine. Ils me promettent de répondre à mes questions dans un proche avenir. Ils s’éloignent bras dessus, bras dessous ; l’un d’eux claudique, ce qui n’entre pas nécessairement dans son rôle.

Promenade sur la côte. Le cochayuyo à la vente, des liasses brunes bien ficelées.

Dans le supplément Artes y Letras du Mercurio, une entrevue avec Julien Green, auteur du plus long journal de la littérature française, précise-t-on. Ce monsieur m’a toujours un peu ennuyé. Combien je préfère à son “Journal” celui d’Ernst Jünger, tellement plus œil. Par ailleurs, les rapports d’Ernst Jünger à l’Histoire donnent à ses écrits une densité magique qui innerve toutes ses considérations d’ordre général, considérations qui chez Julien Green flottent souvent en elles-mêmes. Le meilleur de Julien Green, ses essais.

Décollage à 17 heures à bord d’un Boeing 767/300 de la compagnie LanChile. Des noms de parfums au duty free : Fleur d’interdit (by Givenchy), Pleasures (by Estée Lauder), Tentations (by Parfums Paloma Picasso), Tendre Poison (by Christian Dior).

Le Sacré-Cœur de Jésus, une imagerie bien présente au Chili.

Grandeur de Winston Churchill, le plus grand des grands, le plus ample dans ses pressentiments, le plus clairvoyant dans sa lutte tant contre le nazisme que contre le communisme. Si je m’écoutais, j’écrirais un livre à la manière d’Albert Cohen.

Chili, un mot aymara : là où se termine la terre.

 

27 juillet

Le décalage horaire est plaisant, il désorbite le temps, ce que confirme la fatigue. On se voit déjà enjamber le temps, échapper à la mort… J’avance ma montre de six heures.

J’ai dormi dans l’axe de l’empennage d’un avion de 54,2 mètres de longueur et de 47,6 mètres d’envergure, au centre d’une croix presque grecque. 14 heures, l’avion s’apprête à survoler la péninsule ibérique. Nous nous poserons à Madrid à 15 heures, si Dios quiere.

 En DC 9, Madrid-Alicante. Émerveillé et effrayé par la petitesse des réacteurs (deux réacteurs placés à l’arrière de l’appareil) ; comment peuvent-ils arracher un tel poids du sol ?

Vivre dans un royaume, quel bonheur et quel honneur !

Le présent et rien que le présent. Lire “Quatrains” d’Omar Khayyam.

Olivier Ypsilantis

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