Israël est cerné par un océan de violence. L’État islamique (EI) est généralement admiré dans le monde arabo-musulman, noyau historique de l’islam, noyau en phase d’effondrement. L’État islamique bénéficie de larges sympathies dans de nombreux pays, en Égypte notamment où les islamistes n’ont pas dit leur dernier mot ; ils attendent leur heure. Ce pays est une véritable bombe, notamment démographique. Il est porté à bout de bras par les États-Unis qui équipent sa puissante armée (un État dans l’État) et sans laquelle le pays aurait basculé dans l’escarcelle des Frères musulmans. Il suffit de consulter une carte pour comprendre que l’Égypte est un pays charnière dans le monde arabe, entre Maghreb et Machrek, un pays dont la population approche les quatre-vingt dix millions d’habitants.
L’État islamique bénéficie de larges sympathies dans l’ensemble du monde arabe, y compris dans les populations immigrées. Après l’effacement des grandes idéologies totalitaires nées chez nous, communisme, nazisme et fascisme, l’islam vient combler un vide. Il suscite nombre de conversions et personne n’ignore que les convertis sont particulièrement zélés… Ils veulent faire leurs preuves et en remontrer aux adeptes de longue date. La simplicité doctrinale de l’islam est son principal atout. Il est particulièrement approprié à l’ère des masses. Sa rusticité est par ailleurs garante de sa solidité, de sa pérennité.
Je souris un peu tristement lorsque j’entends des amis juifs et israéliens pointer du doigt l’Iran en désignant ce pays comme le plus grand danger. Je comprends leur peur et je ne prétends pas être plus clairvoyant qu’eux. Pourtant, je ne puis taire qu’une alliance même occasionnelle avec les Arabes, plus particulièrement les Saoudiens, ne pourra qu’être catastrophique pour Israël sur le moyen/long terme. Par ailleurs, la Turquie s’islamise. La laïcité imposée par Mustafa Kemal Atatürk (dont l’armée a été la garante pendant près d’un siècle) est à l’agonie. L’arrivée au pouvoir de Recep Erdogan, en 2003, sera considérée par les historiens comme une date clé dans l’histoire du Moyen-Orient. Ce dirigeant turc a non seulement islamisé l’armée, méthodiquement et discrètement, il a favorisé (activement et passivement, principalement pour cause de question kurde) la collaboration entre des groupes armés islamistes dans tout le Moyen-Orient, puis il a fermé les yeux sur leurs agissements. Et l’Arabie Saoudite, et ces émirats, que valent-ils ? Ils éprouvent une profonde sympathie pour le djihad en Irak et en Syrie qu’ils soutiennent financièrement. Les monstres engendrent des monstres pires qu’eux et ainsi de suite.
Des Druzes à l’enterrement de l’un des leurs, Ihad Khatib de l’IDF, poignardé le 10 février 2010 à un checkpoint.
Que reste-t-il à Israël ? La collaboration avec les Turcs est terminée : Recep Erdogan n’est pas un interlocuteur fiable mais un rusé au service de l’islamisation. Une collaboration sérieuse avec les Arabes est impossible même si elle semble éloigner sur le court terme la menace iranienne. L’Arabe est animé d’une haine latente d’Israël, je dis bien Israël. Le Juif soumis — le dhimmi — entre dans son économie mentale, dans son petit monde d’encagé. Le monde arabe est en phase de dévastation. II aimerait reprendre le leadership du monde musulman et une possibilité s’offre à lui : l’État islamique qui en peu de temps et avec une étonnante facilité a conquis de vastes territoires en Irak et en Syrie. Bien des Arabo-musulmans espèrent retrouver un peu de prestige par les voies de la guerre et de la conquête. Il y a tant de siècles qu’ils n’ont rien donné. Et dans le monde qui se dessine, l’avenir de l’Arabo-musulman est sombre, bien sombre. L’immense Chine assure sa domination économique et les Chinois n’aiment pas être dérangés dans leurs affaires par des éructations de propagande et des radotages de forcenés. Peut-on leur en vouloir ? Il y a l’Inde aussi, et sa religion majoritaire — l’hindouisme — non prosélyte, l’Inde qui considère Israël avec un intérêt grandissant, un intérêt qui ne me surprend nullement. La menace pakistanaise explique en partie cette attitude. Le Pakistan est un monstre, et un monstre nucléaire, un pays au sunnisme particulièrement dur, un pays sans lequel les Taliban ne seraient presque rien. Il n’est pas loin ce jour où le Pakistan sera désigné comme un pays plus dangereux que l’Iran. Et ce jour, je l’attends.
La Jordanie constitue encore un îlot de relative stabilité, mais pour combien de temps ? Seule la monarchie tient encore le pays. Le peuple jordanien, majoritairement arabe, ne peut qu’être hostile à Israël et espérer dans un avenir plus ou moins proche en découdre avec l’État hébreu et rejeter les Juifs à la mer. A moins que…
Les chrétiens arabes sont avant tout des Arabes, hostiles donc à Israël bien que d’une manière probablement moins aiguë. Dans la région, Israël n’a pour alliés effectifs ou potentiels que des non-Arabes. Il est vrai que je force la note : il existe chez les Arabes une minorité qui sert Israël et qui considère avec ferveur et loyauté l’État d’Israël. Sa religion la distingue pourtant du reste des Arabes. Elle a pris la forme que nous lui connaissons avec l’Iranien Hamza ibn Ali ibn Ahmad, avec le culte d’al-Hakim, sixième calife fatimide. Étrange ! Les Kurdes, alliés discrets d’Israël, sont sunnites mais cousins des Iraniens par les Mèdes. Les Druzes sont arabes mais iraniens par leur religion. Et je pourrais évoquer les Bahaïstes, un fidèle soutien d’Israël dont le fondateur est iranien.
Les préposés à l’antiracisme vont me traiter de raciste, eux qui s’efforcent d’apparaître comme les détenteurs de valeurs essentielles, alors qu’ils ne cherchent qu’à se donner de l’importance en distribuant bons et mauvais points pour assurer leur confort. Je ne suis pas anti-arabe puisque je soutiens les Druzes, des Arabes mais dont le socle culturel est iranien. Je ne suis pas même islamophobe, pour reprendre la terminologie de cette chiourme, puisque je ne cesse de défendre le peuple kurde et de faire part de mon espoir d’un Grand Kurdistan. Les Kurdes sont musulmans, et sunnites, mais ils sont kurdes avant tout.
L’Iran ! C’est de ce côté qu’il faut soulever le voile de la nuit musulmane, une nuit de plus en plus profonde. Mes conversations avec de nombreux Iraniens, en Iran, m’ont confirmé dans ce qui n’était qu’une intuition : les Iraniens ne sont pas antisémites même si le pouvoir aboie à l’occasion et appelle à la destruction d’Israël. Je ne me permettrai en aucun cas de remettre en question l’angoisse existentielle d’Israël ; des paroles d’une extrême gravité ont été prononcées ; elles ne peuvent être oubliées. Je souhaite de toutes mes forces un Israël fort, capable d’en imposer à tous ses ennemis, je n’ai jamais varié sur cette question. Mais je ne suis pas certain que l’Iran — que le pouvoir iranien — s’intéresse tant à Israël. L’Iran cherche sa place dans une région du monde à feu à sang où l’islam dévore ses propres entrailles, où les clans affrontent les clans, où les tribus affrontent les tribus, où les ethnies affrontent les ethnies, où… L’Iran cherche sa place et il suffit d’étudier l’histoire récente de ce pays pour mieux comprendre les axes de sa politique. L’Iran souffre d’un sentiment d’encerclement et d’isolement qui ne relève en rien de la paranoïa. Chiite dans un monde essentiellement sunnite, non-arabe dans un monde essentiellement arabe, avec une population multi-ethnique, avec des poussées centrifuges (pensons notamment au Baluchistan), l’Iran a de quoi être sur ses gardes. Par ailleurs, n’oublions jamais que l’Iran attire des convoitises avec ses réserves de gaz et de pétrole parmi les plus importantes du monde. L’Iran est bien décidé à défendre son indépendance et son intégrité, à ce pas sombrer à son tour dans le chaos où se trouvent nombre de pays arabes. Pour comprendre l’Iran d’aujourd’hui, son extrême méfiance et son jeu complexe sur l’échiquier international, il ne faut pas s’arrêter à l’ayatollah Khomeini et à la Révolution islamique de 1979, il faut étudier la figure d’un grand Iranien, Mohammad Mossadegh (1882-1967), Premier ministre du shah de 1951 à 1953 :
http://www.herodote.net/19_aout_1953-evenement-19530819.php
http://www.mohammadmossadegh.com/biography/
Mohammad Mossadegh, alors Premier ministre du shah, au New York City hospital.
J’exprime une fois encore ma conviction selon laquelle c’est de l’Iran que poindra la lumière dans la nuit musulmane. J’en suis arrivé à me répéter que ce vaste pays héritier d’un immense passé pré-islamique, producteur d’une variété considérable de concepts religieux et philosophiques, tracera d’authentiques perspectives.
N’oubliez jamais que si les Arabes peuvent admettre des Juifs chez eux, en tant que dhimmis, ils ne peuvent en aucun cas tolérer un État juif sur un territoire qu’ils considèrent comme soustrait au Dar al-Islam, territoire qu’il leur faut reconquérir d’une manière ou d’une autre, un territoire Dar al-Harb donc. Par ailleurs, les Juifs leur ont fait subir de formidables défaites, dont celle de 1967. Le ressentiment est inlassablement cultivé dans les sociétés arabes, même chez les Jordaniens qui montrent patte blanche, mais jusqu’à quand ? Que des dhimmis puissent constituer un État souverain et les tenir en respect ne peut entrer dans leur petite mécanique mentale.
Les Iraniens (les Perses) qui n’ont jamais été en guerre contre les Juifs, qui n’ont jamais massacré les Juifs et qui ont écrit quelques pages lumineuses dans l’histoire millénaire du peuple juif, les Iraniens ne trimbalent aucun ressentiment envers les Juifs. Il est vrai (et je me répète) qu’ils pourraient avoir la tentation d’instrumentaliser les Arabes contre Israël, pour faire diversion et augmenter leur prestige auprès des masses arabes…
Olivier Ypsilantis