(L’image ci-dessus, en header, montre l’état-major de la IIe Arméee, fin 1943, avec au centre son chef, Henning von Tresckow. La plupart des officiers présents sur ce document sont des opposants à Hitler. Il me semble reconnaître Rudolph-Christoph von Gersdorff, à gauche, un coude sur la carte. L’officier à lunettes, à droite, est Fabian von Schlabrendorff. Il survivra à l’effroyable répression qui fit suite à l’attentat du 20 juillet 1944, grâce à un bombardement allié au cours de son procès, bombardement qui tua Roland Freisler, président du Volksgerichtshof.)
« Abraham dit : « Que le Seigneur ne s’irrite pas et je ne parlerai plus cette fois. Peut-être s’y trouvera-t-il dix Justes. » L’Éternel dit : « Je ne la détruirai pas à cause de ces dix Justes. » L’Éternel s’en alla lorsqu’il eut fini de parler à Abraham, et Abraham retourna chez lui. »
Extrait de l’intercession d’Abraham en faveur de Sodome (Genèse 18.16-33), un passage de la Bible d’une importance particulière pour Henning von Tresckow, passage qui activa sa résistance au nazisme, Henning von Tresckow auquel je dédie ces modestes notes prises à la hâte dans un carnet. Que sa mémoire soit honorée !
Henning von Tresckow (1901-1944)
Parmi les membres de la Résistance militaire allemande, le Generalmajor Henning von Tresckow. J’ai une sympathie particulière pour cet officier ; non parce que je le juge aux dessus des autres dans l’échelle de l’honneur et du courage mais simplement parce que des photographies et des écrits m’ont rendu sensible un regard particulier. Henning von Tresckow est bien moins connu que la figure de proue de la Résistance militaire allemande, le colonel Klaus Schenck von Stauffenberg derrière lequel se profile la silhouette de Hennnig von Tresckow. Ce brillant officier avait prêté serment à Hitler, comme chaque membre des forces armées allemandes. Il le servira dans ses conquêtes, Tchécoslovaquie, Pologne, France. Pourtant, la méfiance puis la répugnance envers le régime nazi le prirent tôt, en 1938, au cours de la Krystallnacht, et l’année suivante, au cours de l’invasion de la Pologne, avec les atrocités des SS (atrocités contre lesquelles s’éleva le Generaloberst Johannes Blaskowitz, provoquant le mépris de Hitler. Ci-joint, un lien de Jewish Virtual Library sur cet officier général de la Wehrmacht) :
http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/biography/Blaskowtiz.html
En 1941, Henning von Tresckow assiste à l’exécution de soldats de l’Armée rouge prisonniers de guerre. Sa détermination à lutter par tous les moyens contre le régime nazi ne cesse de s’affermir. Il va utiliser son prestige gagné en tant qu’officier d’état-major au cours de l’invasion de la Pologne puis de France pour placer des hommes de confiance à des postes clés, des hommes susceptibles de participer à un complot contre Hitler. L’attentat du 20 juillet 1944 a été précédé d’autres tentatives d’en finir avec le Führer, notamment en mars 1943, à Smolensk, une tentative organisée par Henning von Tresckow et Fabian von Schlabrendorff. Ci-joint, un lien détaillé (en allemand) sur cet attentat manqué :
http://www.mythoselser.de/schlabrendorff.htm
C’est Henning von Tresckow qui va recruter le colonel Claus von Stauffenberg. Peu après l’attentat du 20 juillet, Henning von Tresckow est nommé chef d’état-major de la IIe Armée sur le front Est, ce qui va l’empêcher d’avoir un rôle plus actif dans la préparation de cet attentat.
Henning von Tresckow avait en tête non seulement de tuer Hitler mais aussi de montrer au monde et aux générations futures qu’il y avait eu en Allemagne, sous le IIIe Reich, des hommes opposés à Hitler, que des hommes du Nazizeit (de l’ère nazie) avaient été des hommes d’honneur, de justice et de courage, capables de s’élever contre Hitler au prix de leur vie.
Alors qu’il apprend l’échec de l’attentat du 20 juillet, il décide de mettre fin à ses jours afin de ne pas livrer de noms sous la torture. Il rappelle à son aide-de-camp que Dieu avait promis à Abraham d’épargner Sodome s’il y trouvait dix Justes. Fort de ce passage de la Bible, il espérait que Dieu épargnerait l’Allemagne.
Le Lieutenant Werner von Haeften (1908-1944) :
http://www.seconde-guerre.com/biographies/biographie-n-haeften.html
Henning von Tresckow s’enfonça dans les bois, non loin de Bialystok ; il tira plusieurs coups de pistolets en l’air et coinça une grenade sous son menton et la dégoupilla. Il voulait faire croire à une mort au combat, non pour se faire passer pour un héros mais pour éloigner tout soupçon. Son corps fut respectueusement rendu à sa famille… jusqu’à ce que la Gestapo comprit son rôle. Ses restes furent exhumés, envoyés au camp de Sachsenhausen pour y être incinérés. Je manque d’informations vérifiables pour rapporter ce qu’ont subi sa femme et ses enfants. Ont-ils subi la même colère que la famille de Claus von Stauffenberg ? Aujourd’hui, le nom de Henning von Tresckow est honoré et une caserne de la Bundeswehr, à Postdam, porte son nom. Ci-joint, une cérémonie en hommage à cet officier dans cette caserne :
https://www.youtube.com/watch?v=Vzh-siH4Y5s
Ci-joint, un lien du National Geographic expose les tentatives de Henning von Tresckow visant à tuer Hitler :
https://www.youtube.com/watch?v=PiMzaa9xUGs
Je manque décidément d’informations pour évoquer la femme et les enfants de Henning von Tresckow. Je rappelle qu’il eut un frère aîné, l’Oberstleutnant Gerd von Tresckow. Arrêté quelques jours après le 20 juillet 1944 et transféré à la Zellengefängnis Lehrter Straße, à Berlin, il tenta de se suicider le 6 septembre 1944. Hospitalisé à la Staatskrankenhaus der Polizei, il y décéda d’une crise cardiaque.
Ce qui suit est un quasi copié-collé d’un compte-rendu de l’ouvrage de Philipp Freiherr von Boeselager, « Nous voulions tuer Hitler » : « Issu d’une longue lignée d’officiers prussiens, Henning von Tresckow fut l’âme de la résistance militaire allemande. Engagé en 1917, il avait rejoint le front de France en juin 1918 où il avait été décoré de la Croix de Fer de 1re classe pour sa bravoure au cours la seconde bataille de la Marne. La paix revenue, Henning von Tresckow avait participé à la répression du soulèvement spartakiste avant de démissionner de la Reichswehr, en 1920, pour se consacrer à des études de droit et d’économie qu’il ne termina jamais. Après une expérience dans la banque, à la Bourse, et quelques voyages, il avait réintégré l’armée en 1926 où il avait rapidement pris du galon. D’abord séduit par l’arrivée au pouvoir d’un homme qui dénonçait le traité de Versailles, ce fervent protestant et lecteur assidu de la Bible prit très vite conscience de la nature de Hitler, lors de la Nuit des Longs Couteaux, de l’Affaire Blomberg-Fritsch et de la crise des Sudètes. Entré en 1936 à l’état-major général, il ne devait pas cacher son hostilité croissante à ce régime criminel. « Son âme vigoureuse, se souviendra Philipp Freiherr von Boeselager, d’une rectitude morale sans défaut, rayonnait d’une paix intérieure qui imprégnait sa manière d’être. La force de cette personnalité, trempée dans une piété authentique et sans ostentation, se communiquait naturellement à son entourage (…). C’était un homme de cœur. Sa présence dans un groupe exerçait une force d’attraction, un magnétisme naturel. Il n’entraînait jamais par la force : on venait spontanément à lui. Il était de ces individus rares qui concilient bonté, intelligence et efficacité ». Et l’aide de camp du Generalfeldmarschall von Kluge d’expliquer : « Depuis le début de l’été 1941, en sa qualité d’officier d’état-major du groupe d’armées du Centre, il avait vu s’empiler sur son bureau les preuves d’inconcevables exactions. Trop d’indices concordants avaient transformé en inébranlable résolution le projet flou qu’il avait envisagé dès 1938 : tuer Hitler. D’abord fugitive, puis lancinante, l’idée s’était faite conviction que l’initiative lui appartenait. »
Il est impossible d’évoquer la Résistance militaire allemande sans citer le nom de Rudolph-Christoph von Gersdorff (1905-1980), auteur d’un livre que je conseille : « Tuer Hitler – Confession d’un officier allemand antinazi » :
http://www.a-lire.info/gersdorff.html
Ci-joint, une notice biographique mise en ligne par Jewish Virtual Library :
http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/biography/Gersdorff.html
Rudolf-Christoph von Gersdorff (1905-1980). Issu de l’une des plus vieilles familles d’Allemagne, il avait eu le projet de commettre un attentat suicide dans le but de débarrasser son pays de Hitler. Ci-joint, un lien rend compte de son livre :
http://www.a-lire.info/gersdorff.html
Je suis plongé dans la passionnante biographie de Jacob Kaplan par David Shapira. J’y ai découvert une fois encore un mal bien français, une posture idéologique qui divise le monde en deux : la gauche – la droite (ou les réactionnaires — les progressistes, ou le Mal — le Bien, et autres variantes), comme si le monde était aussi simple ! Les membres des Croix-de-feu ont été et sont encore traités de fascistes, d’antisémites et j’en passe. Certes, des Croix-de-feu ont été antisémites (mais des antisémites il y en avait aussi à gauche, à la SFIO notamment, qui verseront pour certains dans la Collaboration la plus extrême). Mais rien dans l’idéologie de ce mouvement et de son chef, le colonel de La Rocque, ne peut être qualifié d’antisémite. La ligne du colonel de La Rocque était à ce sujet particulièrement claire : l’antisémitisme est une atteinte à l’« Union sacrée », à la fraternité des tranchées, d’où ces commémorations tout au long de l’entre-deux-guerres, avec présence massive des Croix-de-feu dans les églises, dans les temples mais aussi dans les synagogues, dont celle de la rue de la Victoire. Jacob Kaplan et le colonel de La Rocque étaient liés par une profonde amitié, au point que le grand rabbin de France dût préciser qu’il n’avait jamais été membre des Croix-de-feu. Bernard Lecache, fondateur de la LICA (future LICRA), ne pouvait quant à lui supporter la présence des membres de cette ligue dans les synagogues et il ira jusqu’à accuser Jacob Kaplan d’être un suppôt de Hitler (!?). Face à la menace nazie, à la veille de la guerre, Bernard Lecache se reprendra et tendra la main à Jacob Kaplan. Précisons que les Juifs ont été nombreux chez les Croix-de-feu, comme ils avaient été nombreux — et en première ligne — dans l’armée française, au cours de la Grande Guerre. Pour le colonel de La Rocque, l’antisémitisme affaiblissait la France en la divisant. Il était même convaincu qu’il était une importation allemande destinée à affaiblir le pays ! On pourra juger que le colonel de La Rocque était naïf et que des spécificités de l’antisémitisme français lui échappaient. On pourra juger qu’il manquait d’esprit d’analyse mais il n’était pas un salaud.
Certaines guerres ont été des facteurs de cohésion nationale, la Première Guerre mondiale dans le cas de la France, une guerre qui en quelque sorte a favorisé un processus de sédimentation. Ce constat occupe le premier chapitre de ‟Jacob Kaplan. Un rabbin témoin du XXe siècle” de David Shapira ; et il apparaît clairement dans une lettre que le neveu d’Alfred Dreyfus adresse à sa mère au début de cette guerre : ‟J’ai fait hier la connaissance du baron d’Harcourt. C’est un vieux patriote, lorrain, ami intime de Déroulède (…). Eh bien, lorsque je lui ai été présenté hier et qu’il a su qui j’étais, il est venu me serrer la main, me faisant asseoir à côté de lui, et disant que, quoique nous ayons été de partis absolument opposés, il était heureux de voir que je n’avais pas craint, avec le nom que je porte, de devenir officier, que devant le danger menaçant la France, les partis politiques n’existaient plus, et que c’était une joie pour lui, ancien ami personnel de Déroulède, de serrer la main à un Dreyfus”. Il est vrai que les sous-entendus en direction des Juifs allaient reprendre dès le début des années 1920, tant contre les Juifs immigrés que contre les Juifs français.
Comment appréhender ce qui a vraiment été ? Ce qui a été est généralement rapporté d’une manière le plus souvent (presque toujours) parcellaire : comme si une caméra ne cessait de tourner et puis qu’au montage, des équipes diverses s’employaient à faire du coupé-collé sur les bobines, à cacher ou à détruire les séquences qui risqueraient de détoner dans le scénario. Un exemple parmi tant d’autres. J’ai été élevé dans le culte du général Leclerc et de la 2e Division Blindée. De nombreux parents et amis de la famille y ont occupé des postes divers. Le général Leclerc était dans une partie de ma famille auréolé de sainteté. Or, lorsque j’ai découvert le « fait divers » suivant, diversement rapporté mais établi, l’image du soldat auréolé de sainteté m’a semblé quelque peu sommaire :
https://www.youtube.com/watch?v=E9GMXndOo9c
Des néo-nazis et des nostalgiques du IIIe Reich se sont emparé de ce « fait divers », comme vous pourrez le constater dans le lien suivant :
http://la-flamme.fr/2014/05/8-mai-1945-rendez-vous-tragique-a-bad-reichenhall-par-eric-lefevre/
Il ne s’agit pas là de juger, de « salir » une mémoire, mais de s’efforcer d’appréhender l’histoire — la vie — dans son extraordinaire complexité, dans sa vérité.
Autre dossier (toujours relatif à la 2e Division Blindée) : Robert Galley, un tankiste exceptionnel, plusieurs fois ministre, un homme qu’un oncle, ancien du 501e Régiment de Chars de Combat, évoquait volontiers avec une sympathie inconditionnelle. Lorsque j’ai appris ce qui suit (le site est tendancieux mais ce qu’il rapporte est au moins partiellement vrai), l’image que j’avais de Robert Galley s’est elle aussi chargée de nuances :
http://www.contre-info.com/mort-de-robert-galley-un-heros-au-passe-douteux
Une fois encore, il ne s’agit pas de « salir » des mémoires mais d’avancer dans la complexité humaine, une complexité qui s’accorde décidément mal avec les images saintes, des images simples. Cette complexité m’amène à me poser la question : Ne me serais-je pas révélé encore plus violent que lui dans de telles circonstances ? Je n’ai pas de réponse et n’en aurai probablement jamais. Des lecteurs jugeront qu’une telle question suppose une personnalité inquiétante. Pour ma part, je juge que ceux qui ne se la sont jamais posée sont inquiétants.
Le général Leclerc, à Paris, en août 1944, une photographie dédicacée par le général que mon père avait punaisée dans sa chambre de jeune homme.
J’ai lu le « Le rêveur casqué » de Christian de La Mazière à l’instigation de mon père. J’avais quinze-seize ans et ce livre m’a impressionné. Le titre en est fort beau, comme l’est celui qui lui fait suite, « Le rêveur blessé », publié peu avant la mort de l’auteur. Ce livre a eu une profonde influence sur moi ; je sortais à peine de l’enfance et il m’a rendu sensible (d’une manière implacable dirais-je) la complexité de l’homme et l’extrême difficulté à porter un jugement qui prenne en compte l’intégralité de cette complexité, un jugement qui ne prenne pas ses aises dans le dualisme, le manichéisme et autres conforts. Et comment percer l’épaisseur historique ? Le temps fait son œuvre, il érode les continents, transforme le granit en sable. Que saisissons-nous vraiment de ce qui a été ? Mon père dont la famille avait payé cher son engagement contre l’Allemagne nazie n’a pas jugé cet homme, un homme qui s’était engagé alors que le IIIe Reich était à l’agonie, il est bon de le rappeler — Christian de La Mazière a intégré la Division Charlemagne, sur le front Est, en février 1945 ! Mon père avait plus d’estime pour cet homme que pour ces Résistants de la dernière heure (il serrait les poings en en parlant) qui firent du « zèle » (euphémisme) une fois l’Allemand disparu. La personnalité de Christian de La Mazière est en elle-même passionnante, comme l’est celle de Dioniso Ridruejo. Ce sont des personnalités complexes, riches de leurs contradictions, de leurs passions, de leurs errements, de leur courage aussi. Ils se détachent de l’homme-masse. Ci-joint deux liens, respectivement sur l’Espagnol Dionisio Ridruejo (1912-1975) et sur Christian de La Mazière (1922-2006). Le reportage suivant (en espagnol, durée environ 54mn) retrace l’itinéraire de l’une des personnalités espagnoles les plus riches de cette période :
https://www.youtube.com/watch?v=eLMqFNJjk4Q
Le deuxième lien, intitulé « Des dangers de la fascination », est composé d’extraits choisis du documentaire franco-suisse « Le Chagrin et la Pitié » de Marcel Ophüls, tourné en 1969. Ce documentaire d’une durée de plus de quatre heures va dans le sens de la complexité de la vérité, une complexité qui dérange le mythe défendu par la République incarnée par le général de Gaulle, mythe simplificateur et simpliste d’une France majoritairement résistante, mythe destiné à consolider l’unité nationale :
http://www.dailymotion.com/video/x9qyuh_des-dangers-de-la-fascination_webcam
Quatrième de couverture du livre de Christian de La Mazière, « Le rêveur casqué »
Olivier Ypsilantis