L’effondrement de l’islam est en cours. Tout est en place pour une guerre titanesque, tantôt ouverte tantôt larvée. Chiites contre sunnites, nations contre nations, pauvres contre riches, ethnies contres ethnies, tribus et clans contre tribus et clans… La Syrie se dirige-t-elle vers une partition, comme la Yougoslavie ou le Soudan ? En Égypte, les Frères musulmans et les salafistes sont malmenés. On leur demande des comptes. L’armée est sur le qui-vive. Les Arabes pris dans un maelström en viennent presque à oublier Israël — mais pour combien de temps ?
Le chiisme minoritaire au sein de l’islam va-t-il sauter à la gorge d’un sunnisme inquiet malgré son poids démographique ? La tension entre ces deux grands courants est séculaire. Elle a pris une nouvelle dimension suite à la Révolution islamique iranienne (1979) et à la Troisième guerre du Golfe (2003) au cours de laquelle les chiites irakiens (près de 70 % de la population) mais aussi les Kurdes ont vu voler en éclats l’État de Saddam Hussein. Les guerres menées en Irak par les États-Unis et ses alliés ont favorisé l’Iran. L’Angleterre s’était appuyée sur la minorité sunnite pour contrôler l’Irak. Les États-Unis ont choisi de favoriser la majorité chiite. Le pays est à présent plongé dans une guerre qui n’ose dire son nom. Aujourd’hui 2 juillet 2013, plus de trente chiites ont été tués au cours de deux attaques menées au nord de Bagdad. Et il en va ainsi jour après jour. Mais c’est au Pakistan que les chiites (environ 15 % de la population du pays) souffrent le plus, victimes d’assassinats méthodiquement menés par des milices sunnites entraînées par les taliban d’Afghanistan.
Gamal Abdel Nasser (1918-1970)
Le panarabisme prôné par Nasser reste un échec. Et il semble que le panislamisme qu’ont favorisé les ‟Printemps arabes” en soit également un. Ce qui se passe en Égypte, pays central dans le monde arabe, est passionnant. Les Frères musulmans et leurs acolytes salafistes commencent à compter leurs abattis tandis que leurs barbes prennent feu. La Syrie s’est convertie en un maelström dans lequel l’ensemble du monde musulman pourrait être entraîné. L’Arabie saoudite — cœur d’un monstre qui doit être frappé à mort mais avec lequel l’Occident est en ménage — et l’Iran se battent par ennemis interposés. C’est un nouveau contexte de guerre froide avec l’islam comme principal protagoniste et antagoniste, comme prétexte aussi. L’islam se déchire lui-même, comme un possédé qui attend l’exorciste ; mais aucun exorciste ne paraîtra ; la guérison viendra de mortelles blessures…
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L’Égypte est victime de sa démographie. Deux chiffres, simplement : en 1985, la population du pays comptait environ cinquante millions d’individus ; en 2013, ils sont plus de quatre-vingt cinq millions. L’Égypte si pauvre en ressources risque de succomber sous le poids de sa population comme un corps gagné par les escarres. Où l’expression bombe démographique prend tout son sens.
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J’ai récemment relu ‟Les Arabes, l’islam et nous”, une entrevue Jean Sur / Jacques Berque, enregistrée le 7 février 1995 et diffusée sur ARTE le 5 avril 1995. Cette entrevue qui m’avait plutôt séduit il y a une quinzaine d’années m’agace à présent. Certes, Jacques Berque évoque les sociétés arabes en connaisseur mais, à l’occasion, il n’hésite pas à nous proposer du tout-venant, tel que : ‟L’islam (…) c’est le cousin méconnu, c’est le frère rejeté, et qui se sent tel, c’est vraiment l’éternel dénié, l’éternel proscrit, l’éternel accusé, l’éternel suspect”. Ah bon ! Autrement dit, s’ils sont ce qu’ils sont, ce n’est pas de leur faute ! J’ai d’abord cru à de l’immaturité avant de comprendre qu’il y avait un calcul sous ces pleurnicheries que colporte Jacques Berque qui, en la circonstance, ne me semble pas être au meilleur de sa forme. L’islam sait mieux que personne faire aller main dans la main l’agressivité et la victimisation. Il s’agit d’intimider et d’apitoyer, alternativement, suivant une dialectique rustique et efficace. Lorsque l’une des parties s’essouffle, l’autre prend la relève. L’islam a compris que cette position de victime trouve chez nous des oreilles très attentives.
Jacques Berque tient sur le monde arabe nombre de propos d’une parfaite pertinence. Il nous sert cependant à l’occasion des propos passe-partout ou faussés, comme celui que je viens de rapporter. Quant à ses jugements sur Israël et le sionisme, ils révèlent une faible connaissance du sujet. Il est vrai que l’on ne peut exceller en tout… Jacques Berque prône l’expansion de l’arabe dans les lycées et collèges de France. Il ne fait que défendre son fonds de commerce. Pour ma part, je prônerais plutôt l’étude de l’hébreu ou du persan. Mais des goûts et des couleurs, on ne discute pas…
Olivier Ypsilantis