« L’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémites au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux ». Vladimir Jankélévtich
On a longtemps pensé que l’antisémitisme en terres musulmanes et plus spécifiquement arabes était soft en comparaison de l’antisémitisme en terres chrétiennes. Il l’a été d’un certain point de vue mais il ne faudrait pas s’adonner à une idéalisation (le parfum de jasmin et une certaine douceur orientale), par ignorance ou pour des raisons idéologiques. Georges Bensoussan a été l’un de ceux qui ont entamé cette croyance dans une somme monumentale intitulée « Juifs en pays arabes. Le grand déracinement. 1950-1975 ». Et je reste convaincu que c’est la raison pour laquelle on l’attendait en embuscade. Mais là n’est pas le sujet de cet article.
Les relations entre Juifs et musulmans ont été variables d’une époque à une autre, d’un pays à un autre, une remarque qui s’applique pareillement aux relations entre Juifs et chrétiens. Prenons le cas de l’Espagne musulmane où la situation des Juifs a été grosso modo meilleure que partout ailleurs dans le reste du monde musulman. Ce fait a été célébré et reste célébré par les gauches espagnoles qui en profitent pour nous chanter la tolérance de l’islam et le vivre-ensemble (la convivencia) et dénoncent l’intolérance chrétienne. Ces gauches dénoncent par ailleurs le sionisme assimilé à une politique impérialiste, d’apartheid voire génocidaire. Cette propagande qui nous chante la tolérance de l’islam et l’agressivité des sionistes s’affirme toujours plus à mesure que le curseur se déplace vers la gauche de l’éventail politique. Cette propagande s’adonne par ailleurs, comme toute propagande, à des simplifications outrancières. L’histoire de al-Andalous couvre près de huit siècles d’histoire, un territoire qui n’a cessé d’expérimenter d’importants changements dynastiques, comme celui des Almoravides (1062-1150) aux Almohades (1150-1269). Au cours de ces huit siècles d’histoire, les Juifs ont tantôt trouvé refuge chez les chrétiens et tantôt chez les musulmans car fuyant tantôt l’intolérance des uns et tantôt celle des autres.
La judéophobie en pays musulman, et principalement arabe, n’est pas une conséquence de la refondation de l’État d’Israël et des guerres israélo-arabes qui s’en sont suivies. Elle a certes été activée par ces événements mais elle n’est pas née d’eux. Et si des dirigeants l’ont instrumentalisée (avec le succès que l’on connaît) pour conforter leur pouvoir, c’est aussi et d’abord parce qu’ils savaient qu’ils bénéficiaient d’un terreau favorable, la judéophobie étant bien présente en terre d’islam et depuis sa naissance.
De fait, toutes les animosités envers les Juifs ont une origine religieuse, tant chez les musulmans que chez les chrétiens. Cette origine n’est pas toujours bien lisible, il n’empêche, elle est présente dans le substrat de ces animosités.
A la judéophobie (une phobie d’origine religieuse) s’est ajouté dans le monde musulman, et plus spécifiquement arabo-musulman, de l’antisémitisme, une maladie que nous leur avons refilée, nous Occidentaux, comme on se refile la syphilis. Et qu’on ne vienne pas me bassiner en me disant que les Arabes ne peuvent être antisémites puisqu’ils sont sémites. Comme le rappelle Robert S. Wistrich, le terme « sémite » renvoie à une classification linguistique et non raciale ou nationale. Dans son acception la plus précise, ce terme s’applique à une famille de langues qui comprend l’hébreu, l’arabe et l’araméen. Par ailleurs, le terme « antisémite » (concocté en 1879 par l’Allemand Wilhelm Marr) n’a concerné que les Juifs, avec prétention scientifique destinée à relayer en la modernisant l’antijudaïsme traditionnel. Parmi les outils de cette contagion, « Les Protocoles des Sages de Sion », un outil façonné en Europe mais qui a connu un formidable succès dans le monde arabe, un succès sans cesse confirmé. Dans le monde arabo-musulman, la fragile barrière entre antisionisme et antisémitisme a été emportée. De fait, l’État juif, le judaïsme et le peuple juif sont pareillement jetés dans les flammes ou aux ordures. L’antisémitisme s’est pleinement installé dans la culture arabo-musulmane où le politique et le religieux mêlent indistinctement leurs eaux. La contagion antijuive venue d’Occident est également particulièrement sensible dans la calomnie de crime rituel, une calomnie d’origine médiévale et chrétienne introduite au XIXème siècle par les chrétiens d’Orient, et de diverses obédiences, qui seront par ailleurs parmi les principaux idéologues du nationalisme arabe laïque au début du XXème siècle.
Cette théorie du complot juif contre l’islam (et dont le sionisme ne serait qu’un outil) a mêlé ses eaux (usées) à celles de l’antisémitisme raciste d’inspiration politique et concocté chez nous, en Europe, un racisme à l’idéologie très structurée et à l’origine d’une immense littérature. Dans cette littérature, le document le plus édité et le plus répandu dans le monde musulman, « Les Protocoles des Sages de Sion ». Ainsi que le signale Robert Wistrich, cet écrit gagne en force auprès des masses arabes après chaque défaite arabe face à Israël.
La charte palestinienne adoptée par le Hamas (en 1988) s’en inspire (voir l’article 32). La dangerosité du Hamas (soit la version palestinienne des Frères musulmans, nés en Égypte) tient à ce qu’il associe la judéophobie islamique à l’antisémitisme occidental, ce qui donne un mélange hautement létal, un mélange dans lequel le Juif et le sioniste ont tendance à ne faire qu’un. Or, en Europe, nous ne percevons qu’à grand peine cet antisémitisme musulman ; est-ce un parti pris ou préférons-nous tout simplement nous en détourner par peur, peur d’être traité d’islamophobe ? Nous sommes prompts (à commencer par nos responsables politiques) à éviter ce sujet.
La rhétorique musulmane va puiser dans l’antijudaïsme chrétien et l’antisémitisme le plus ordurier dans le genre « Der Stürmer » de Julius Streicher. Cette production infecte bien des mentalités. La troisième Conférence de l’ONU contre le racisme qui s’est tenue à Durban a permis à des ONG de concocter un document éminemment antisémite accusant Israël de génocide contre le peuple palestinien, de purification ethnique et d’être un État d’apartheid. La nakba est assimilée à un holocauste et, pirouette aussi grotesque que sinistre, le sionisme est accusé de racisme envers le sémitisme. Bref, ce venin concocté dans les salles de conférences a gagné sans tarder la rue via les ONG.
L’immigration musulmane apporte en Europe sa cargaison de judéophobie, d’antijudaïsme, d’antisémitisme et d’antisionisme, une tendance très obligeamment relayée par les médias diversement de gauche, y compris de centre-gauche.
La France Insoumise (LFI) peut être aujourd’hui déclarée comme ouvertement antisémite comme l’ont été les nazis. C’est comme si nous avions Roger Garaudy, auteur des « Mythes fondateurs de la politique israélienne », et Julius Streicher, directeur de « Der Stürmer », à l’Assemblée nationale. Rima Hassan a twitté le 24 juin 2024 : « Israël a des chiens entraînés pour violer des Palestiniens dans les centres de détention ». Je pourrais multiplier les considérations dans ce genre twittées par Rima Hassan, comme : « Un Palestinien qui a été libéré avec une perte de la vue ; selon le diagnostic médical, une partie de son foie et de ses reins a été prélevée ». Israël accusé de vol d’organes, un classique comme Israël accusé de meurtre rituel. Nous sommes dans l’ignominie médiévale de la judéophobie et l’antisémitisme ordurier du nazisme.
Thomas Portes tire la conclusion suivante de l’attaque du 7 octobre : « Le renseignement israélien était au courant d’un plan d’attaque du Hamas qui visait à capturer des otages. Netanyahou et ses complices ont laissé faire pour mettre en place le génocide du peuple palestinien. Ce sont des criminels de guerre ». Dans tous les cas Israël est coupable, comme le Juif l’est ainsi que le laisse entendre ce faux, « Les Protocoles des Sages de Sion ». Et celles et ceux qui soutiennent Israël sont accusés d’être des « soutiens du génocide ».
LFI a des obsessions judéophobes qui vont de la violence la plus ouverte au sous-entendu le plus sournois. Jean-Luc Mélenchon (notamment sur son blog et son compte X) recycle volontiers des stéréotypes antisémites. Il y a du Édouard Drumont chez le responsable de la LFI. Et nous assistons à des copulations idéologiques entre Alain Soral et Mathilde Panot, pour ne citer qu’eux.
Quelle que soit la violence que subissent les Juifs, cette violence sera toujours perçue comme justifiée par les antisémites. Toutes les violences commises à leur encontre s’expliquent, autrement dit aucune n’est vraiment condamnable. Les violences envers les Juifs ne sont pour les antisémites qu’une conséquence de leur malfaisance. La boucle est ainsi bouclée. Ainsi le 7 octobre est un acte de résistance…
« L’antisémitisme est, en démocratie, imparfaitement débusqué par la loi. Peu d’imbéciles hurlent grossièrement “Mort aux Juifs !” Nous sommes imparfaitement protégés de la bête immonde par une loi qui la punit pourtant… L’antisémitisme est aussi sournois que suspicieux. Il se loge dans des attitudes, des réflexes ou des amalgames qu’aucune loi ne réprouve dans un pays libre. Et c’est là que les Insoumis sont champions du monde. Raison pour laquelle c’est sur le terrain de l’opinion, plus que devant les tribunaux, qu’il faut les traquer et les combattre ». Raphaël Enthoven
Olivier Ypsilantis