J’ai travaillé à cet article à partir du livre de Josué da Silva, « Legião Portuguesa, força repressiva do fascismo » (Diabril Editora, première édition, mai 1975, collection Universidade do Povo, documentos 5). Je l’ai allégé de ses passages dénonciateurs, assez redondants voire ampoulés et qui n’apportent rien à la recherche historique, pour n’en conserver que les éléments précis et susceptibles d’appuyer et conduire une recherche. Il est certain que cet écrit manque de recul puisqu’il n’a été publié qu’un an après la Révolution des Œillets (25 avril 1974). Il n’en est pas moins intéressant, d’autant plus que je n’ai presque rien trouvé à ce sujet, hormis les nombreuses publications de propagande de l’époque. Le livre de Luís Nuno Rodrigues, « A Legião Portuguesa. A Milícia do Estado Novo », publié par Universidade de Coimbra en 1996 est excellent mais ne couvre que la période 1936-1944, la plus intéressante de ce point de vue il est vrai.
La Legião Portuguesa fut un élément important du régime né le « 28 de Maio » (de 1926) et disparu le « 25 de Abril » (de 1974), avec cette date importante entre ces deux dates, le 19 mars 1933 qui voit d’adoption d’une nouvelle constitution et la fondation de l’Estado Novo.
Bannière de la Legião Portuguesa, avec croix de l’Ordre d’Avis.
Les différents organes de la Legião Portuguesa et les organisations qui l’annoncent ou qui lui sont diversement rattachées sont les suivants, brièvement :
Corpo de milícias. Entre 1936 et 1939, ses effectifs dépassent les cent vingt mille hommes appuyés par des batalhões (à Lisbonne et Porto), des terços et des quinas. Les quinas sont formées de groupes de cinq hommes qui agissent dans des zones où la formation de terços est difficile.
Força Automóvel de Choque (F.A.C.), appelée de préférence par les membres de la Legião Portuguesa : Força Anti-Comunista (même sigle).
Comandos, devenus Grupo de Intervenção Imediata (G.I.I.).
Brigada Naval (B.A.), une milice intégrée à la marine de guerre et qui finira par devenir un corps de fonctionnaires administratifs.
Mocidade Portuguesa, inspirée des Hitlerjugend et du Opera Nazionale Balilla (O.N.B.), ce dernier ouvertement inspiré des Pionniers de l’U.R.S.S. Mocidade Portuguesa est toutefois plutôt caricaturale en regard de son homologue italien et plus encore allemand. Salazar y plaça de très grands espoirs qui seront vite déçus.
Viriatos, un térço de légionnaires envoyé en 1937 par Salazar pour combattre aux côtés de Franco la République espagnole.
Vanguardas de Salazar. Parmi les premières organisations universitaires d’inspiration fasciste, nées après le « 28 de Maio ». Leur existence fut de courte durée.
Frente de Estudantes Nacionalistas (F.E.N.). Son existence fut elle aussi de courte durée.
Ajoutons, en périphérie, Defesa Civil do Território et Serviços Sociais.
Par le Decreto-Lei n.° 27 058 du 30 septembre 1936 est institutionnalisée la Legião Portuguesa.
Mocidade Portuguesa n’attire guère la jeunesse du pays. Et pendant ce temps, la situation en Espagne inquiète toujours plus l’Estado Novo. La Guerre Civile d’Espagne éclate. Salazar observe. La situation est confuse et la victoire de Franco est encore incertaine. Salazar estime (et probablement à raison) que la défaite de Franco entraînerait la fin du régime issu du coup d’État du « 28 de Maio » (de 1926), la fin de l’Estado Novo. Il décide donc d’en fortifier l’assise. A cet effet, le Dr. João Pinto da Costa Leite suggère à Salazar la création d’un équivalent pour adultes de Modidade Portuguesa : ce sera la Legião Portuguesa.
La Legião Portuguesa naît donc en 1936. Avec Mocidade Portuguesa, il s’agissait d’encadrer la jeunesse du pays ; à présent, avec la Legião Portuguesa, il s’agit d’encadrer toute la population du pays. La Legião Portuguesa est volontiers présentée à ses débuts et par les exaltés (peu nombreux) comme un rempart destiné à stopper les « hordes sauvages du marxisme international » venues d’Espagne. Mais cette force milicienne paramilitaire ne parviendra jamais à constituer une arrière-garde de l’armée – « retaguarda do Exército » – ainsi qu’on voulut le faire croire. La plupart de ses membres, y compris ses cadres, ne sont pas des militaires. Son efficacité est ailleurs, dans son Serviço de Informações.
De ce point de vue, la Legião Portuguesa fut bien un pilier du régime, comme le fut la très efficace P.I.D.E/D.G.S. Le Serviço de Informações de la Legião Portuguesa maille étroitement tout le territoire portugais y compris les Ilhas Adjacentes (c’est ainsi que sont alors désignés des archipels des Açores et de Madère). Le Serviço de Informações a également de nombreux contacts avec la D.G.S. (Dirección General de Seguridad) espagnole. Dans le pays même, la Legião Portuguesa travaille non seulement la P.I.D.E./D.G.S. mais aussi avec la Guarda Nacional Republicana (G.N.R.) et la Polícia de Segurança Pública (P.S.P.). Elle n’hésite pas à maintenir l’ordre et à réprimer les manifestations à leurs côtés.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Serviço de Informações se fait volontiers agent double voir agent triple, principalement avec l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et les Alliés anglo-américains. Des membres de ce service vendent à l’occasion des informations et à bon prix, y compris des informations touchant à la sécurité nationale et, bien sûr, à l’insu de Salazar. Il y a bien des « sincères », ceux qui partagent le credo de la Legião Portuguesa, mais aussi, et probablement surtout, nombre d’opportunistes, sans oublier les pêcheurs en eaux troubles.
La Legião Portuguesa ne suscite pas un grand enthousiasme (contrairement aux déclarations du régime), pas plus que n’en a suscité Mocidade Portuguesa. Le recrutement se fait souvent en désespoir de cause, dans un pays où la pauvreté (pour ne pas dire la misère) est grande, où le chômage est considérable, où les familles avec nombreuses bouches à nourrir ne manquent pas. Intégrer la Legião Portuguesa est la garantie d’avoir un peu plus dans son assiette et celles de sa famille, et même un espoir de promotion sociale, même modeste. Parmi les cadres de la Legião Portuguesa l’opportunisme est fréquent. Ils peuvent espérer par cette organisation accéder à la haute administration d’entreprises privées ou de ministères.
La Legião Portuguesa eut ses idéalistes, ses « sincères », et leur idéal fut particulièrement sensible dans les années 1930. Il y a ceux qui vibrèrent au cours de la manifestation d’août 1936 à Campo Pequeno, en particulier Júlio Botelho Moniz, un anti-communiste radical qui se plaça à la tête du terço de legionários envoyé en Espagne se battre aux côtés de Franco, un appui peu significatif mais très largement relayé par la propagande de l’Estado Novo. Mais, redisons-le, le principal « mérite » de la Legião Portuguesa revient à son Serviço de Informações.
Avec le Dr. Carlos Cecílio Nunes Goís Mota à sa tête, et à partir des années 1950, la Legião Portuguesa devient peu à peu un État dans l’État, comme la P.I.D.E./D.G.S. Les militaires qui se trouvent à la tête de sa Junta Central sont souvent dépassés par les civils, et le Comando Militar ne parvient pas à partager les secrets du Dr. Carlos Cecílio Nunes Goís Mota et ses collègues. La Legião Portuguesa n’hésite bientôt plus à marcher sur les plates-bandes de la P.I.D.E./D.G.S.
Un mot au sujet de cette composante de la Legião Portuguesa, la Força Automóvel de Choque (F.A.C.), un groupe d’élite non en tant que force d’intervention de choc mais parce que constituée d’individus appartenant à la haute société portugaise ou liés à elle d’une manière ou d’une autre. Ce groupe veille à sa cohésion sociale. Il est relativement indépendant de la Legião Portuguesa. Lorsqu’il s’agit de passer à l’action, ces messieurs qui circulent généralement à bord de leur voiture personnelle font appel à des membres de la Legião Portuguesa de condition bien plus modeste et qui se mettent au service de ces senhores. On a supposé que des membres de la F.A.C. auraient utilisé le Serviço de Informações de la Legião Portuguesa non pas vraiment pour exercer un contrôle politique ou idéologique sur les Portugais mais pour recueillir des informations tant au niveau national qu’international afin d’orienter leurs investissements : marché des changes, évolution des valeurs cotées en Bourse et du prix des matières premières, etc.
Autre organe de la Legião Portuguesa dont on parlait volontiers à mi-voix, le Grupo de Intervenção Imediata (G.I.I.), appelé aussi Lenços Vermelhos, un groupe constitué d’anciens des guerres coloniales d’Afrique, commandos, parachutistes, etc., soit environ un millier d’individus.
Ci-joint, une suite de courts documentaires années 1930/1940 qui rendent compte d’une époque, d’une ambiance, d’un Portugal dont il ne reste que ces architectures Estado Novo :
https://www.youtube.com/watch?v=2Zz8RIhsNsk
Olivier Ypsilantis