Une photographie d’Elli Sougioultzoglou-Seraidari (Έλλη Σουγιουλτζόγλου-Σεραϊδάρη), plus connue sous le nom de « Nelly’s » (1899-1998), prise dans le Parthénon.
Parmi les nombreux livres que j’ai lus sur Athènes, l’un d’eux m’est particulièrement cher : « Athènes au fil du temps » de Jean Travlos, un atlas historique d’urbanisme et d’architecture (chez Joël Cuenot, éditeur). L’une de ses caractéristiques : une succession de cartes d’échelle constante qui donne à suivre l’évolution de la ville tout au long de son histoire. Sur chacune de ces cartes figurent les édifices ou aménagements relatifs à une époque donnée. Les noms des édifices sont imprimés en rouge lorsqu’ils subsistent, en noir lorsqu’ils ont disparu. C’est probablement le livre qui me permet de revenir avec le plus d’assurance dans cette ville où j’ai tant marché, de jour comme de nuit, une ville réputée plutôt laide mais que j’ai appris à aimer et qui s’est faite l’une de mes villes.
Avant la publication du livre en question, Jean Travlos avait publié, en 1960 et en grec, un livre intitulé : « L’évolution de l’urbanisme d’Athènes de l’époque préhistorique au début du XIXe siècle », une évolution décrite en douze chapitres, chacun agrémenté de plans montrant la ville à l’époque correspondante. Rappelons que l’histoire de cette ville a plus de cinq mille ans.
Une vue prise de l’Agora romaine, avec la Tour des Vents (Αέρηδες), à gauche. J’ai vécu dans la maison juste derrière, entre cette construction et les cyprès.
Athènes a connu nombre de bouleversements et de destructions. Mais c’est une ville sur laquelle nous disposons d’un grand nombre d’informations et depuis l’Antiquité. La description qu’en fait Pausanias (vers le milieu du IIe siècle ap. J.-C.) est particulièrement précise et détaillée. Les témoignages à notre disposition sont très peu nombreux suite à la destruction de la ville par les Hérules (en 267 ap. J.-C.). On peut toutefois en suivre l’évolution d’après les monuments des époques byzantine, franque, turque et jusqu’au début de la Guerre d’indépendance (1821-1829). On sait par ailleurs que jusqu’au XIIe siècle, Athènes fut entourée par l’enceinte de Thémistocle (relevée et agrandie sous Valérien, empereur de 253 à 260 ap. J.-C.). Après une période de relatif silence, les renseignements sur Athènes sont plus nombreux. La première description d’ensemble de la ville est due à Niccolò da Martoni qui visite la ville en 1395. Des renseignements plus exacts sont transmis par Cyriaque l’Ancien (il visite la ville en 1436-1437), complétés par l’Anonyme de la Bibliothèque Ambrosienne (probablement à Athènes entre 1464 et 1471). A partir du milieu du XVIe siècle ces renseignements sont surtout le fait de Français (voir les consuls Jean Giraud et François Châtaignier). Mais le simple compte-rendu des travaux de ces voyageurs français nécessiterait plusieurs articles. Il faut savoir que jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les monuments d’Athènes (particulièrement ceux de l’Acropole) étaient fort bien conservés et que leur destruction commença juste avant la prise de l’Acropole par le Vénitien Francesco Morosini. Le 26 septembre 1687, une bombe vénitienne tombe sur le Parthénon (transformé en magasin de poudre) alors tenu par les Ottomans et elle dévaste une construction restée quasiment intacte depuis Phidias. Le milieu du XVIIIe siècle voit se multiplier les études systématiques. Parmi les chercheurs les plus intéressants d’alors, le consul de France, Louis-François-Sébastien Fauvel. Ci-joint, un lien intitulé « La cartographie de l’Attique par Fauvel » donnera un aperçu de ses travaux :
http://www.lecfc.fr/new/articles/220-article-3.pdf
Mais je ne vais pas fatiguer le lecteur en multipliant les références ; et j’en reviens au livre de Jean Travlos. La présentation de l’évolution de l’urbanisme d’Athènes s’y fait en vingt plans de base (sur la page de gauche) qui correspondent à autant de périodes caractéristiques de l’histoire de la ville. En regard, des photographies se rapportent aux numéros inscrits sur les plans. Bref, c’est un livre passionnant non seulement pour son contenu mais aussi pour sa présentation. Le lecteur est invité à un belle promenade dans le temps et dans l’espace.
Je le feuillette et je me souviens… Je me souviens de mon plaisir au cours de promenades à déceler dans le tissu urbain, à Athènes, au Pirée, entre Athènes et Le Pirée, des segments des fortifications de Thémistocle mais aussi de Cimon et Périclès qui poursuivirent l’entreprise. Mais ces segments n’étaient-ils pas ceux de Conon qui fit reconstruire en 394 les murs détruits par les Lacédémoniens ? Et il ne faudrait pas oublier les remaniements aux époques hellénistique et romaine. Je me souviens tout particulièrement de segments des Longs Murs entre Athènes et Le Pirée que je me suis efforcé de suivre pas à pas. Le Long Mur Nord fut construit par Cimon en 470 av. J.-C. ainsi que le mur de Phalère, un ensemble complété sur les conseils de Périclès par le Long Mur Sud. Ainsi fut ménagé un corridor long de six kilomètres et large de cent quatre-vingt-trois mètres. Détruits par Sylla en 86 av. J.-C., ces murs ne furent jamais reconstruits.
Les structures compactes des églises grecques que j’aime tant.
Je me souviens de marches dans ce qui fut l’Agora, avec, en main, les merveilleux petits guides de l’American School of Classical Studies at Athens. Je me souviens surtout des tracés qui désignaient la prison de Socrate et du n° 17 de l’« Agora Picture Book » particulièrement émouvant, « Socrates in the Agora » :
http://www.ascsa.edu.gr/index.php/publications/book/?i=9780876616178
Ci-joint, la liste de ces petites publications si soignées et au prix modique. « The primary purpose of the Agora Picture Book series is to enliven the experience of a visitor to the Athenian Agora, excavated by the American School since 1931 » :
http://www.ascsa.edu.gr/index.php/publications/browse-by-series/agora-picture-books
C’est l’American School of Classical Studies at Athens qui a restauré à l’identique dans les années 1950 la Stoa d’Attale qui abrite aujourd’hui le Musée de l’Agora antique (Μουσείο της Αρχαίας Αγοράς).
Je me souviens du monument à Lysicrate, de ses petits chapiteaux corinthiens délicats entre tous. Quant à la Tour des Vents, j’ai pu observer longuement de la fenêtre de mon bureau cette clepsydre (ou horloge à eau). C’est une tour octogonale dont chaque face s’orne en bas-relief (voire en haut-relief) d’un des huit vents de l’Attique. Sur le lien suivant, le curieux pourra détailler chacun de ces vents personnifiés et accéder à leur histoire en cliquant sur les images :
http://www.mediterranees.net/art_antique/monuments/tour_vents/vents.html
Une vieille carte postale dans mon bureau d’Athènes, la porte d’Hadrien (131-132 ap. J.-C.) qui séparait l’ancienne ville de Thésée de la nouvelle ville construite par Hadrien. Ce vestige somme toute modeste est l’un des emblèmes de la capitale grecque.
Le monument de Philopappos vers lequel j’allais volontiers me promener lorsque le soleil tendait vers l’horizon fut l’un de mes amers, avec l’observatoire de Theodor Hansen (1842-1846), au sommet de la colline des Nymphes. Combien de fois ai-je contemplé de ces petites hauteurs le crépuscule au-dessus d’Éleusis ?
Les très nombreuses destructions d’édifices opérées à Athènes (notamment au sud de l’Acropole pour réutiliser leurs éléments comme matériaux de construction) par l’empereur Valérien afin de mener des travaux défensifs, travaux qui ne purent cependant arrêter l’assaut des Hérules, en 267 ap. J.-C., probablement le plus terrible assaut qu’avait connu et que connaîtra la ville.
L’église byzantine d’Athènes que je préfère, Panagia Gorgoepikoos (fin XIIe siècle), je la préfère probablement pour ses éléments antiques et byzantins (provenant de constructions détruites). L’envie de me livrer à des travaux d’estampage sur ces éléments rapportés (des bas-reliefs) et insérés dans les murs extérieurs de ce petit édifice aux belles proportions. Souvenir de mon plaisir à me livrer au brass rubbing dans des églises du Norfolk.
Les gravures montrant Athènes parmi les plus reproduites : le Parthénon peu avant la catastrophe de 1687, transformé en mosquée avec minaret. D’autres gravures non moins reproduites montrent sur ses ruines (suite à l’explosion) la petite moquée à l’intérieur du Parthénon qui sera détruite en 1842 par la Grèce libérée. Ces gravures sont le plus souvent réalisées d’après les dessins de James Stuart et Nicholas Revett qui se trouvaient à Athènes entre 1751 et 1753 et à qui on doit la première étude à caractère scientifique des monuments antiques de la ville.
Un dessin extrait de « The Antiquities of Athens Measured and Delineated by James Suart FRS and FSA and Nicholas Revett Painters and Architects » qui montre le Parthénon investi par une mosquée.
Je me souviens de visites au Ier Cimetière de certains tombeaux, œuvres des meilleurs sculpteurs grecs du XIXe siècle. Outre le tombeau de Heinrich Schliemann, le découvreur de Troie et de Mycènes (une réalisation de Ernst Ziller, un architecte particulièrement fécond en Grèce qui réalisa notamment l’hôtel particulier de Heinrich Schliemann), je me souviens tout particulièrement de « L’Endormie » (1876) de Yannoulis Halepas (Γιαννούλης Χαλεπάς) pour le tombeau de Sofia Afentakis. J’ai souvent admiré cette sculpture sans rien savoir de son auteur, jusqu’à ce qu’une promenade Internet me livre quelques éléments et la vidéo suivante qui rend compte de ses travaux :
https://www.youtube.com/watch?v=atycba3sAd4
J’y ai appris ce qui suit, et c’est d’une tristesse à pleurer. En 1878, l’artiste souffre d’une dépression nerveuse et commence à détruire certaines de ses sculptures avant de faire plusieurs tentatives de suicide. Son état empirant, il est interné (à Corfou) de juillet 1888 à juin 1902. Après le décès son père, en 1901, sa mère décide de le ramener à Tinos, son île natale. L’artiste vit alors sous le strict contrôle de sa mère qui juge que la sculpture est responsable de la maladie de son fils. Aussi l’empêche-t-elle de se livrer à son art et détruit-elle tout ce qu’il parvient néanmoins à produire.
Dans ce même cimetière, un tombeau avec réplique (à quelques détails près) du monument de Lysicrate.
Sur de nombreuses photographies d’Athènes, on peut voir la tour franque de l’Acropole (appelée ainsi car sa construction est attribuée aux ducs d’Athènes), construite au milieu du XIIIe siècle à côté des Propylées et détruite en 1875. On ne regrette pas ce bloc de près de trente mètres de hauteur dénué de toute ornementation. Sa destruction fit pourtant l’objet de vives controverses.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis