La question de l’antisémitisme est délicate, comme l’est celle du philosémitisme. Guy Mollet et Maurice Bourgès-Maunoury étaient-ils philosémites ? Je n’ai pas à en juger. Leurs sentiments profonds me restent (et me resteront) cachés — à moins qu’on ne découvre dans leurs archives des documents, par exemple des carnets ou des lettres, qui attestent d’un authentique philosémitisme. Ce qui est certain : ils ont aidé Israël à un moment crucial de son histoire et, de ce point de vue, j’éprouve (et Israël éprouve) à leur égard une profonde sympathie. Nous sommes en 1956, Nasser est une menace existentielle pour Israël, Nasser qui par ailleurs soutient très activement le F.L.N. algérien. Aider Israël revient donc pour la France à s’aider. « Élémentaire, mon cher Watson ».
Aujourd’hui, le contexte géopolitique n’étant plus ce qu’il était, les appareils d’État (bien trop puissants) s’affairent à créer un climat généralement défavorable à Israël. Le pétrole reste un produit hautement stratégique et les pétrodollars servent d’emplâtre à un pays dont la santé économique est bien fragile. Le Qatar s’est fourré dans la dette française. Il s’agit donc de soigner ses fournisseurs arabes qui sont aussi des clients. Par ailleurs, les persiflages et les grossièretés sur Israël n’empêcheront pas la France (pour ne citer qu’elle) de bénéficier des avancées israéliennes en nanosciences, nanotechnologies et tutti quanti.
Maurice Bourgès-Maunoury (1914-1993)
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L’hostilité envers Israël est la chose du monde la mieux partagée. Cette hostilité s’exprime d’une manière extraordinairement diverse. Je connais assez bien l’hostilité susurrée, l’hostilité des « beaux milieux »…
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Mais comment définir le philosémitisme, un mot que je n’aime guère car trop grec — les rapports entre culture juive et culture grecque étant volontiers conflictuels (mais aussi féconds, il est vrai) ? Le philosémitisme (et je ne parle qu’en mon nom) est la reconnaissance pleine et entière d’une formidable dette envers le peuple juif ; et non parce que je regarde les Juifs comme « nos pères dans la foi » ou « nos frères aînés ». Il faut se débarrasser de cette épuisante histoire de famille — de cette histoire chrétienne — et franchir un horizon théologique dans lequel on tourne en rond, l’air de rien. Quant à l’antisémitisme, il me pose une épuisante question : Dois-je le traiter au scalpel ou au marteau d’armes ? Me donnera-t-on quelques conseils ?
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A lire, « Des territoires perdus de la République aux territoires perdus de la nation » (en deux parties) de Georges Bensoussan :
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Réponse suite à l’article « Israël État-voyou », publié en 16 août 2015 sur le blog Boker Tov Yerushalayim :
https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2015/08/16/israel-etat-voyou/
Très belle défense. Gabriel Latner (dix-neuf ans) mérite de prendre place à côté de Douglass K. Murray (trente-six ans). Le point fort de son discours (la singularité d’Israël, État juif, etc.) me reconduit vers cette proposition de Jean Lartéguy, un non-Juif, qui écrivait : « Car pour un certain nombre d’hommes dont nous sommes, Israël ne peut pas disparaître, ou alors nous n’aurions plus jamais d’espoir et nous devrions nous résigner à vivre pour toujours dans un monde clos, déterminé par les facteurs les plus humiliants de l’Histoire, dont celui du nombre » ; et cette singularité est d’autant plus précieuse qu’elle ouvre à l’universalité. Israël ou la singularité de l’universalité.
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Il reste en Europe quelques femmes (non-Juives) et quelques hommes (non-Juifs) qui remercient Israël d’exister, simplement, sans faire appel à une quelconque eschatologie chrétienne, une eschatologie qui efface le vrai Israël. Car le vrai Israël n’est pas l’Israël des Chrétiens…
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Antoine Sfeir évoque « les quatre pôles du pouvoir iranien », au chapitre 13 de « L’islam contre l’islam » sous-titré « L’interminable guerre des sunnites et des chiites ». Cette belle synthèse s’arrête à Ahmadinejad, président contesté et faiblement soutenu par le Guide suprême, on l’oublie. Même sous Ahmadinejad le pouvoir restait divisé. Il est dommage que le public ne se donne pas la peine d’étudier les structures du pouvoir iranien, même succinctement, et se contente d’ingurgiter les informations — qui n’ont d’informations que le nom. Pourtant, afin de déterminer la dangerosité d’un régime que je ne soutiens en rien (mon iranophilie n’a pas fait de moi un bigot du régime de Téhéran), il faudrait tout de même se pencher non seulement sur l’histoire de l’Iran (qui ne commence pas en 1979) mais aussi sur la structure (complexe) du régime iranien et les tensions qui le parcourent. On voit à présent l’Iran comme le monstre absolu ; et au nom de ce danger on n’hésite pas à se mettre en ménage avec de « sympathiques » pays comme l’Arabie Saoudite, le Qatar ou le Pakistan, pour ne citer qu’eux. Il est vrai que le régime de Téhéran a des sympathisants qui pourraient suffire à me décourager. Lorsque je vois Dieudonné M’Balala remuer de la queue auprès du pouvoir parce qu’il jette dans son écuelle de la mangeaille antisémite, je suis tenté de tourner le dos à toute cette affaire. Mais ce serait faire la part trop belle à ce jean-foutre.
Antoine Sfeir (né en 1948)
Antoine Sfeir nomme les quatre pôles du pouvoir en Iran : le Guide, le président, le clergé et le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (les Pasdaran). Ci-joint un lien sur cet organe vital de l’actuel pouvoir iranien :
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-Corps-des-Gardiens-de-la.html
Afin de mieux comprendre les tensions qui animent la société et le pouvoir iraniens, il faudrait étudier ce qui s’est passé au sein de l’université Azad après les troubles de 2009, une université dont le rôle est central dans le pays. On peut se chamailler durement au sein de ce pouvoir, et au plus haut niveau, entre le guide suprême et le président par exemple. C’est aussi ce qui explique les tergiversations iraniennes au sujet de l’enrichissement de l’uranium. Les Iraniens sont de très fins négociateurs mais il me semble injuste de les accuser systématiquement de mauvaise foi, comme si la bonne foi était toute entière de notre côté. Des membres de l’appareil semblent prêts à négocier tandis que d’autres considèrent qu’Obama leur tend la main pour mieux les rouler dans la farine. On se souvient de l’attitude d’Ahmanidejad et de celle de Larijani, président du Parlement, fin 2009. On se souvient des tensions au sein de l’appareil religieux lui-même, avec ces grands ayatollahs qui allèrent jusqu’à critiquer le Guide suprême en personne. Les Pasdaran eux-mêmes considèrent volontiers les religieux avec suspicion : ils jugent que ces derniers les ont utilisés comme chair à canon au cours de la guerre Irak-Iran (1980-1988). Bref, l’étude même succincte des tensions et des antagonismes qui parcourent les structures du pouvoir en Iran permettra de mieux comprendre la politique extérieure du pays. Il faut se plonger dans cette complexité interne au pouvoir, dans la complexité de la société iranienne et de l’histoire iranienne pour espérer sortir du tunnel mental dans lequel on pousse les foules. Je ne suis en rien un spécialiste de l’Iran. J’observe, j’écoute, je lis, je prends des notes, je voyage à l’occasion. Et, surtout, je m’efforce de porter mon regard au-delà de cet horizon de breaking news qui ne proposent que passage à tabac et supplice de la baignoire.
L’Iran souffre d’un isolement religieux et ethnique. Essentiellement chiite dans un monde sunnite et perse dans un monde arabe, mais aussi pachtoune, tadjik et ouzbek. Les Iraniens chiites ont peur, ils sont minoritaires. Depuis 1979 (et pour la première fois depuis le califat fatimide du Caire, au Xe siècle), les Perses ont pénétré les frontières dans le monde arabe, notamment après la seconde guerre du Golfe (2003). C’est le fameux arc chiite ou, plutôt, arc perse ayant instrumentalisé le chiisme, arc qui touche aux frontières d’Israël, notamment avec le Hezbollah. Je persiste à croire que la volonté qu’a l’Iran de se doter de l’arme nucléaire est en grande partie dictée par cette guerre particulièrement longue entre l’Irak et l’Iran, une guerre sciemment provoquée par le régime de Saddam Hussein avec le soutien plus ou moins actif des puissances occidentales. Cette guerre a marqué la société iranienne comme celle de 1914-1918 a marqué la société française. Il faut voyager en Iran pour en prendre la mesure. Les Iraniens redoutent d’être engagés dans un autre conflit d’une telle ampleur ; et l’arme nucléaire leur semble être le meilleur moyen de s’en préserver. N’oublions pas que le Pakistan, pays sunnite particulièrement inquiétant, en est équipé. Et que l’Inde et le Pakistan flirtent avec l’apocalypse nucléaire pour cause de Cachemire. Les Taliban tant afghans que pakistanais inquiètent les Iraniens et à raison. L’Occidental se donne rarement la peine d’étudier ce qui se tient à l’est de l’Iran.
Manifestation en juin 2009, à Téhéran.
Il est dommage que la France n’ait pas une politique étrangère plus originale. Elle pinaille lorsqu’il est question de l’Iran et fourre son nez dans les histoires palestiniennes, guidée par une hostilité plus ou moins sourde envers Israël qu’expliquent ses relations avec le pire du monde arabe ; bref, la France ne cesse de rater les trains. Antoine Sfeir ne se contente pas de jouer avec les mots lorsqu’il écrit à propos de ce pays : « Tous les ministres des Affaires étrangères qui se sont succédés depuis 2004 ont plutôt été des ministres étrangers aux affaires, qui n’ont tenu aucun compte de ce que les Iraniens étaient les inventeurs du jeu d’échecs ». Et que dire de l’actuel ministre des Affaires étrangères ? C’est un homme usé depuis longtemps.
Un mot à propos de la diabolisation de l’Iran. Lisez et méditez ces mots d’Antoine Sfeir (que je fais miens) : « La diabolisation de l’Iran touche le peuple, mais ne gêne pas le régime. Il est vrai que ce régime théocratique dérange les Occidentaux, alors que les régimes théocratiques saoudien ou qatari ne leur posent aucun problème, alors même que le Qatar est en train d’acheter nos banlieues et de s’implanter durablement en France en y important un islam rigoriste. Ce sont d’ailleurs des alliés. Deux poids, deux mesures. Ce que les Iraniens dénoncent et ont du mal à accepter. »
J’ose affirmer que dans un avenir pas si lointain Israël et l’Iran seront des partenaires économiques résolus, que l’avenir de ces deux pays si différents est riche en promesses, contrairement à celui des pays arabes. Je suis sioniste et iranophile (ce qui ne signifie pas que je sois un ami de l’actuel régime iranien). Mon iranophilie ne cesse de m’interroger et je m’efforce de lui apporter des réponses par une étude constante et inquiète. Je la congédierais ou l’écraserais si j’étais convaincu qu’elle pouvait porter le moindre préjudice à Israël. J’espère avoir été clair.
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Ce passage, en lisant « Les murailles d’Israël » de Jean Lartéguy (un écrit qui date de 1968, qui n’est donc plus vraiment d’actualité mais…) : « Encerclés par les Arabes, les différents services secrets israéliens jouent à la périphérie du monde arabe et parmi les minorités qui se trouvent dans ce monde arabe, un jeu passionnant, dangereux et efficace. Ce n’est plus un secret pour personne que les Kurdes sont aidés par les Israéliens. Ils reçoivent d’eux non seulement des armes, du matériel, mais aussi des instructeurs. On m’a affirmé qu’un certain nombre d’officiers parachutistes du Tsahal vivent dans l’entourage du vieux mollah Mostapha Barzani. Ce serait eux en particulier qui lui auraient monté son réseau de communications, qui entraîneraient ses commandos aux sabotages et à la destruction. Certains Kurdes auraient même fait des stages en Israël. Les Iraniens de leur côté n’ont guère de tendresse pour les Arabes qui poussèrent un jour la maladresse jusqu’à vouloir débaptiser le golfe Persique pour en faire le golfe Arabique. Les Kurdes sont de race et de langue iranienne. Depuis déjà une dizaine d’années, depuis que les Kurdes ne sont plus soutenus par les Soviétiques qui les ont lâchés pour épouser la cause arabe, le gouvernement iranien, l’armée et ses services spéciaux se montrent pour eux pleins de compréhension. Les Israéliens ont d’autre part d’excellentes relations avec l’Iran. Dans cette affaire des Kurdes, l’Iran et Israël poursuivent des buts communs : empêcher que ne se reconstitue un dangereux empire arabe baptisé socialiste pour déguiser son panislamisme. Que l’Iran soit devenu la base arrière des Kurdes de Barzani et du même coup une base avancée des services du général Yariv n’a rien d’étonnant. »
Olivier Ypsilantis