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Varlam CHALAMOV

 

Varlam Chalamov… Ce nom en amène immédiatement un autre, Kolyma. Mais il ne sera pas question de ce camp dans cet article.

 

 Varlam ChalamovVarlam Chalamov (1907-1982)

 

Varlam Chalamov était le fils d’un prêtre de l’Église orthodoxe, Tikhon Chalamov. Il se déclarait dépourvu de tout sentiment religieux mais la question de la Foi occupe une place centrale dans son œuvre. Le père eut une immense influence sur son fils qui se souvient : ‟Mon père me promenait par la main dans la ville et s’efforçait comme il pouvait de m’enseigner le bien. Ainsi, nous restions longtemps devant la synagogue et mon père m’expliquait que les gens avaient différentes façons de croire en Dieu et qu’il n’y avait pas de plus grande honte pour un individu que d’être antisémite”. Dans d’autres écrits, Varlam Chalamov rapporte d’autres faits concernant son père qui, au cours de la Révolution de 1905, lors d’un sermon dans la cathédrale de Vologda, avait condamné les violences contre les Juifs et prononcé l’office des morts pour Mikhail Gertsenshtein, membre de la Douma, assassiné par les Cent-Noirs. Tikhon Chalamov sera envoyé dans une autre église non tant parce qu’il avait dit l’office des morts pour un mécréant, mais parce qu’il avait critiqué une Église qui s’éloignait de sa mission et avait dit regretter la dissolution de la Douma. Tikhon Chalamov partageait les idées d’Alexandre Vvedenski, l’un des leaders de l’‟Union du renouveau de l’Église” qui sera l’idéologue des Rénovateurs des années 1920.

Dans l’un de ses livres, Varlam Chalamov évoque Alexandre Vvedenski et les Rénovateurs comme un mouvement destiné à en finir avec la dépendance de l’Église envers l’État. Alexandre Vvedenski multipliait les conférences dans toute la Russie pour exposer le programme des Rénovateurs. Il attirait des foules considérables et considérait le Christ comme un révolutionnaire d’une immense envergure qui était venu tirer le glaive. Au début des années 1920, Alexandre Vvedenski et les dirigeants des Rénovateurs considéraient que la révolution d’Octobre avait libéré l’Église du joug de l’État, de l’autocratie des seigneurs, ce qui permettrait à celle-ci de s’engager dans le perfectionnement spirituel.

En février 1922, au cours d’une famine dans la région de la Volga, Alexandre Vvedenski et ses partisans appelèrent à ‟transformer l’or et les pierres des églises en pain”. Les Rénovateurs pensaient : ‟Le communisme c’est l’Évangile écrit en caractères athées”. Varlam et son père eurent des désaccords mais Tikhon resta une puissante autorité morale et spirituelle pour son fils, un modèle de vie.

Pour Tikhon Chalamov, ainsi que le rapporte son fils, l’avenir de la Russie était entre les mains du clergé qui représentait un quart de la population russe. Le sacrement de confession donnait à l’Église un rôle potentiellement considérable, avec d’incomparables possibilités d’actions. Tout le monde se confessant, du tsar au plus misérable moujik, l’Église pouvait agir en connaissance de cause, guidée par tant de confessions. A cette connaissance du peuple et de sa psychologie s’ajoutait le fait que cette intelligentsia religieuse libérait les roturiers de l’alternative peuple/intelligentsia, puisque l’intelligentsia religieuse était le peuple même, le clergé séculier et non les ascètes et les starets des monastères. Le clergé séculier, marié, avec famille, était la force capable de sortir la Russie de son immobilisme et de la guider vers plus de justice.

La position de Tikhon Chalamov ne coïncide pas avec la vision athée des générations de révolutionnaires russes du XIXe et XXe siècles. Il assigne à l’Église russe un rôle vivant dans la révolution à condition que des réformes révolutionnaires commencent par transformer cette Église, d’abord par une rupture avec l’État  puis par l’activité sociale au sein du peuple et la défense des exploités. Le prêtre est serviteur du culte mais aussi instituteur, médecin ou avocat. La réforme que Tikhon Chalamov a en tête doit s’appuyer sur une démocratie élargie de la vie paroissiale avec élection des prêtres par des laïcs, renouant ainsi avec le christianisme des premiers temps. Bien que les conditions d’une telle réforme fussent réunies après la chute de l’autocratie tsariste, celle-ci n’aboutit pas.

Que se serait-il passé si Staline ne s’était pas emparé progressivement du pouvoir ? Je ne sais. Ce qui est certain, ainsi que le rapporte Varlam Chalamov, c’est que jusqu’en 1925 les débats philosophiques, métaphysiques et religieux allaient bon train avant que l’appareil d’État ne vienne intriguer et s’employer à dresser les Réformateurs les uns contre les autres, une technique qui allait permettre à Staline d’affermir son pouvoir. Dans les années 1930, Staline se rapprocha des partisans du patriarche Tikhon tout en exigeant leur soumission. L’accord fut pleinement effectif au cours de la Grande guerre patriotique (juin 1941 – mai 1945). En 1946, toutes les églises rattachées aux Réformateurs furent remises au patriarche de Moscou.

Tikhon Chalamov a probablement construit sa philosophie dans son pays natal où exerçaient son père ainsi que le frère de celui-ci. Les Komis ont influencé Tikhon Chalamov. La région des Komis ne connaissait pas le servage ; par ailleurs, les monastères n’étaient pas propriétaires de la terre. Jusqu’aux années 1860, le clergé séculier tenait une position centrale. Le prêtre n’était pas seulement responsable du culte, il tenait les registres paroissiaux, enseignait dans les écoles, contrôlait les activités sociales, culturelles, caritatives et autres. La fonction sacerdotale se transmettait de père en fils, avec l’assentiment de la paroisse, une pratique abolie en 1867, avec quelques exceptions. Ainsi, dans la paroisse de Votcha, les Klotchkov furent remplacés par les Chalamov.

Chez les Komis Zyrianes, le clergé était exclusivement à la charge des paroissiens ; il ne recevait aucun émolument de l’État. Il était par ailleurs tenu d’enseigner à l’école primaire et gratuitement. Nikolaï Chalamov, le grand-père de Varlam, avait ouvert une école à Votcha, avec ses propres deniers. Ce clergé faisait preuve d’esprit d’initiative dans le domaine social. Par exemple, il organisa un réseau de sociétés de tempérance. Dès son plus jeune âge, Varlam Chalamov put observer les particularités de la vie religieuse des Komis Zyrianes, autant de particularités qui ont façonné sa vision du monde, une vision qu’il rapporte dans ‟La Quatrième Vologda” et qui nous aide à mieux comprendre la mission de son père, Tikhon, sur l’île de Kodiak. Ce dernier ne s’intéressa pas seulement à la vie pastorale mais aussi à la vie sociale et à l’enseignement.

Varlam Chalamov a modifié certains éléments relatifs à la biographie de membres de sa famille afin de bien montrer que c’est la tradition populaire du clergé chez les Komis, et non les monastères et l’archevêché, qui sont à l’origine de la vision du monde qu’avaient son père, son grand-père et le frère de ce dernier. Autre particularité de l’orthodoxie chez les Komis, le syncrétisme religieux avec des survivances de croyances pré-chrétiennes, notamment ce culte rendu à saint Florus et saint Laurus, défenseurs des animaux sauvages et domestiques.

Le frère de Tikhon Chalamov, Procope, qui hérita de la paroisse de son père, Nikolaï, écrit que Stéphane de Perm (1), qui se dédiait à des missions chez les Komis Zyrianes, était ‟défenseur, protecteur des Zyrianes près des princes et des boyards de Moscou, et généreux dispensateur du pain aux Zyrianes dans les dures années de la famine”. Toujours selon le témoignage de Procope, les messes étaient lues en langue zyriane dans les monastères fondés par Stéphane de Perm, une tradition à laquelle mettront fin les décrets de Catherine II, en 1764.

La particularité zyriane procède du bas-clergé. Elle nourrira le mouvement des Rénovateurs qui s’exprimera peu après la révolution d’Octobre (1917). Cette tradition peu connue est importante pour mieux comprendre l’œuvre de Varlam Chalamov, en particulier ses écrits autobiographiques.

 

KomisFamille de Komis de la région de Perm, Russie arctique.

 

(1) Évangélisateur des Komis Zyrianes, il élabora un alphabet particulier et traduisit des textes liturgiques en komi zyriane)

Olivier Ypsilantis

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