Ce mot d’humeur m’est venu à la lecture de deux articles mis en ligne par Israël flash, le deuxième article surtout ; il est intitulé ‟La géopolitique régionale et internationale selon la République islamique d’Iran” et signé Sacha Bergheim :
Les élites iraniennes sont probablement aussi corrompues que celles des pays du Golfe. Par ailleurs, l’Iran attise des conflits — qu’il n’a pas déclenchés, soulignons-le tout de même. Dans ce cas, il s’agit plus d’une stratégie défensive qu’offensive (contraire donc à ce qu’elle était sous Khomeini), une stratégie destinée à disperser l’attention et à relâcher la pression sur le dossier du nucléaire. Mes analyses qui valent ce qu’elles valent m’amènent à cette remarque : l’Iran est globalement sur la défensive et se sert de crises périphériques pour être plus à l’aise à l’heure des négociations. Cette stratégie n’est en rien spécifique à la République islamique d’Iran.
L’agressivité et les manœuvres du régime de Téhéran s’expliquent en grande partie par le sentiment d’isolement (et d’encerclement) dont souffre le pays, sentiment que très peu d’analystes prennent en compte. Pourquoi ? Probablement parce qu’il s’agit de faire simple et que la propagande au sujet de ce pays est entrée dans une phase qui exclue toute nuance. Pour ma part, je le juge central. Ce sentiment (qu’il soit justifié ou qu’il relève de la paranoïa) est l’un des principaux responsables des guerres ; et je pourrais en revenir au Vietnam et au Cambodge, avec la Chine et l’URSS en toile de fond ; le Cambodge qui se sentit cerné par l’URSS et le Vietnam (réunifié) ; le Vietnam (réunifié) qui se sentit cerné par le Cambodge et la Chine. Antoine Sfeir (voir le lien en fin d’article) a raison d’affirmer qu’Israël et l’Iran se sentent assiégés. Ce sentiment saura-t-il les rapprocher dans l’imbroglio régional voire mondial ? Antoine Sfeir a également raison de porter son regard dans la profondeur historique, notamment sur cette longue guerre Irak-Iran (1980-1988) qui explique l’Iran d’aujourd’hui au moins autant que la Révolution de 1979, une guerre dans laquelle l’Irak a clairement tenu le rôle d’agresseur. Antoine Sfeir rafraîchit des mémoires ensevelies sous les breaking news. Il nous rappelle qu’au cours de cette guerre, tous les pays (y compris la Suisse) ont aidé Saddam Hussein — à l’exception… d’Israël qui a aidé militairement la République islamique, entre septembre 1982 et mars 1983. A ce propos, je pourrais évoquer l’affaire Luchaire (1987), bien oubliée ; mais il ne s’agissait que d’une affaire de ‟gros sous” que ne sous-tendait aucune vision géopolitique.
Je ne chanterai pas les louanges du régime de Bachar al-Assad, l’allié de l’Iran, tout en me gardant de le décrier, considérant ceux qui le combattent. On me trouvera bien cynique, je suis simplement prudent. Ne nous mêlons pas des histoires d’Arabes, en aucun cas ! Cessons d’y mettre notre nez ! Assez de cet humanitarisme d’oie blanche aussi ridicule que prétentieux ! Le Hezbollah représente un réel danger pour Israël et en conséquence il doit être surveillé de prêt et frappé à l’occasion. Il n’empêche que pour l’heure, il tue du djihadiste ; il en tue par milliers de ces djihadistes susceptibles de revenir chez nous — qui reviennent chez nous — et qui font à présent trembler l’Europe. Tout est extraordinairement embrouillé. Le Hezbollah est mon ennemi car il menace un pays que j’aime entre tous, Israël. Mais il hache menu les djihadistes, parmi lesquels ceux de l’État islamique en Irak et au Liban (EIIL).
Je reproche à nombre de chercheurs — par ailleurs fort intelligents et bien plus compétents que moi en la matière — de ne pas assez se mettre à la place de l’Iran. Ce pays a lui aussi des inquiétudes existentielles, comme Israël — bien que dans une moindre mesure. Je suis arrivé peu à peu à ce constat, par l’étude, le voyage et l’intuition. Je ne me suis pas installé en lui par commodité : il est particulièrement inconfortable…
L’article de Sacha Bergheim, ‟La géopolitique régionale et internationale selon la République islamique d’Iran”, repose sur une analyse sérieuse. Il sous-entend (sans oser l’affirmer ouvertement) que l’Iran n’a fait qu’exploiter des opportunités, ce que j’ai toujours pensé. En abattant le régime de Saddam Hussein, on a créé un formidable vide ; la suite était prévisible. Et une fois encore, je ne suis pas un ami de l’actuel régime iranien. Des opposants souffrent et sont exécutés ; et je soupçonne le pire dans les prisons iraniennes.
Sacha Bergheim écrit : ‟Depuis les années 1970, l’Irak était la seule puissance régionale capable de s’opposer à l’hégémonie persane, etc.” Fort bien. L’Irak a déclaré la guerre à l’Iran et les puissances occidentales ont massivement soutenu l’Irak. Après huit ans de guerre, situation de statu quo sur le terrain mais durcissement du régime de Téhéran avec phénomènes d’enkystement dans la société iranienne. La coalition soutenue par l’ONU contre le régime de Saddam Hussein après la Guerre du Golfe de 1990-1991 (souvenez-vous notamment de la no-fly zone) a confirmé l’affaiblissement de l’Irak. Dois-je dire en passant que l’affaiblissement d’un pays arabe et l’aide apportée aux Kurdes n’étaient pas pour me déplaire ? Quoi qu’il en soit, l’équilibre régional s’en est trouvé modifié, c’était prévisible… Et en faveur de l’Iran, c’était prévisible…
Lorsque Sacha Bergheim écrit en fin d’article que l’axe chiite n’est pas nouveau et que c’est l’élimination de l’Irak comme puissance militaire qui a augmenté la marge de manœuvre du régime de Téhéran, on ne peut qu’acquiescer et s’empresser d’ajouter au risque de se répéter que l’Iran n’a fait que profiter d’une situation. Même remarque avec la Syrie, l’une des floraisons des printemps arabes… L’Iran a profité du chaos, il n’est pas à l’origine de ce chaos. L’opportunisme est l’une des constantes de la vie sociale et politique et à tous les niveaux.
Les alliances passées entre l’Iran et la Russie doivent-elles nécessairement être décriées ? Sacha Bergheim rappelle à raison que l’un des axes de rapprochement entre ces deux pays a été le conflit azéri-arménien et le blocus imposé par la Turquie et l’Azerbaïdjan. Ci-joint un lien intitulé ‟Arménie et Azerbaïdjan, un conflit oublié” :
http://geopolitique2010.over-blog.com/article-armenie-et-azerbaidjan-un-conflit-oublie-67235657.html
La principale voie de ravitaillement pour l’Arménie passait par l’Iran, par un point de passage contrôlé par les Russes. Le Nord-Ouest de l’Iran est majoritairement peuplé d’Azéri ce qui explique une certaine sympathie pour les irrédentistes arméniens.
La destruction politique et l’affaiblissement militaire de l’Irak ont donc favorisé l’influence iranienne. La chute de l’Empire soviétique et l’instabilité conséquente dans le Caucase l’ont également favorisée. Cet article est excellent. Il met l’accent sur des particularités peu connues (ou tout au moins négligées) de l’Iran, un pays ethniquement hétérogène : les Perses ne représentent qu’un assez faible pourcentage de la population et il existe des tensions séparatistes dans le pays, notamment chez les Arabes, les Kurdes, les Azéris et, surtout, chez les Baloutches.
Sacha Bergheim souligne à raison qu’il y a un exceptionnalisme persan ‟selon lequel la culture iranienne est plus ancienne, plus riche et plus noble que celle de ses concurrents immédiats, les Turcs et les Arabes”. Cette conscience que je partage est probablement partagée par nombre d’Iraniens. Je m’empresse de souligner que cet exceptionnalisme a une spécificité : il déborde très largement l’islam puisqu’il s’appuie sur une mémoire plusieurs fois millénaire ; et c’est aussi ce qui me rend confiant. Rien à voir avec la mémoire arabe, encagée dans l’islam et qui tourne frénétiquement en rond comme un petit animal dans sa roue.
J’y reviens. Sacha Bergheim met l’accent sur un point central et curieusement peu évoqué : le sentiment aigu (et justifié) qu’a l’Iran d’être encerclé, à l’ouest comme à l’est, un sentiment qui par simple effet mécanique, pourrait-on dire, contraint l’Iran à se projeter toujours plus loin. Ce sentiment a des racines historiques très profondes ; il n’a pas été concocté par un régime qui s’est contenté de l’alimenter. Que ce régime l’utilise pour mieux s’affirmer est une autre question ; chaque pays s’arrange avec son héritage historique.
L’Iran est-il vraiment occupé à mettre en œuvre un plan diabolique, concocté dans les profondeurs de la terre par des ayatollahs ? Je pose la question.
A lire, ‟L’Islam contre l’Islam” d’Antoine Sfeir. Ci-joint, un article auquel je souscris pleinement :
http://larchemag.fr/2013/01/29/537/la-guerre-fratricide-des-chiites-et-sunnites/
Ci-joint, un article intitulé ‟Afghanistan : l’Iran et la perspective du retrait de la coalition internationale” :
Ci-joint, un lien intitulé ‟La guerre iranienne contre le terrorisme. Le cas du Jundallah” :
http://www.diploweb.com/La-guerre-iranienne-contre-le.html
Une intéressante réflexion intitulée ‟Le meilleur moyen de dissuader l’Iran de se nucléariser est de le convaincre qu’Israël serait le premier à appuyer sur le bouton” :
http://www.slate.fr/tribune/81739/iran-dissuasion-nucleaire-israel
Olivier Ypsilantis