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Voyage en Iran, avril 2014 – 8/11

 

22 avril. L’hôtel délicieusement kitsch, du kitsch entre néo-achéménide et néo-qâdjâr. Les plafonds sont particulièrement chargés. J’y vois comme une pièce montée, généreusement meringuée et placée upside down.

Sur la route, vers Ispahan, trois cents kilomètres environ. Me procurer ‟Histoire de l’Iran et des Iraniens des origines à nos jours” de Jean-Paul Roux. L’Iran pourrait être défini comme une civilisation du qanat. A la sortie de Yazd, derrière des installations industrielles, sur un promontoire, une tour du silence.

 

Une glacière dans la province de Yazd.

Une glacière dans la province de Yazd.

 

Le redire. Le chiisme n’a pas été concocté par les Iraniens, contrairement à ce que j’entends assez souvent ; il est le produit d’une querelle interne au monde arabe. Il n’empêche, par ce choix, l’Iran (chiite à 98 %) a voulu prendre ses distances vis-à-vis de l’ennemi, l’envahisseur arabo-musulman. L’Iran me semble être aujourd’hui l’un des pays les mieux placés pour lutter contre ces partisans d’un Grand Califat et contre les groupes djihadistes issus du sunnisme qui ensanglantent le monde. Fort d’un passé pré-islamique prestigieux entre tous et d’un passé islamique original, le nationalisme iranien pourrait être le meilleur garant contre les tendances les plus obscures du sunnisme. Je comprends les angoisses existentielles d’Israël et je ne suis pas ici pour donner des leçons à un pays dont j’admire le courage et l’excellence, mais j’ai le sentiment que dans un avenir pas si lointain une entente féconde s’instaurera entre ces deux pays. Des propos terribles ont été tenus par des responsables iraniens et ils ne peuvent être oubliés. Je suis partisan depuis toujours d’un Israël fort, doté d’une armée aux moyens toujours augmentés et capable d’en imposer à tous. Je suis même contre la création d’un État palestinien pour des raisons trop longues à exposer ici. Simplement : il y un peuple arabe mais il n’y a pas de ‟peuple palestinien”, d’où l’emploi constant que je fais des guillemets. Je comprends les angoisses existentielles d’Israël. Mais il est, à mon sens, indéniable que l’Iran se voit encerclé, ce qui engendre angoisse et agressivité. Et lorsque vous insistez sur le sentiment d’isolement de l’Iran et sa détermination à l’atténuer (notamment en appuyant le Hezbollah et le régime alaouite), on vous regarde comme un sympathisant du régime de Téhéran. Je maintiens que la volonté ultime de l’Iran n’est pas la destruction d’Israël mais bien la volonté de remédier à ce sentiment. L’article ci-après évoque cet isolement iranien. Il est signé Armin Arefi et rend compte du livre d’Antoine Sfer, ‟L’islam contre l’islam” :

http://www.lepoint.fr/monde/sunnites-contre-chiites-pourquoi-les-musulmans-se-font-la-guerre-19-03-2013-1643068_24.php

Dans le désert salé du Dasht-e Kavir. La plaine gris-vert, parsemée de petits buissons bien verts. Une ligne à haute tension à perte de vue. Des dromadaires broutent au loin. Halte à Now Gonbad et ses caravansérails à l’abandon dont certaines parties sont dans un assez bon état de conservation. Des tours d’angles décorées par simple disposition des briques. J’observe la circulation ininterrompue des camions, modernes caravanes. Arrêt à Mohammedieh et ses ateliers de tissage troglodytes. On y fabrique notamment des manteaux en poil de chameau. Vers Naïn, au carrefour des routes de Yazd et d’Ispahan. Le désert encore et encore. Mon imagination y place des milliers de figurants. Des dromadaires, encore. Naïn, la villes des citernes. Elle en possède environ quatre-vingts. Visite de l’une d’elles : un dôme conique avec, de part et d’autre, une tour de vent permettant de faire circuler l’air et de rafraîchir l’eau entreposée. Visite de la mosquée, l’une des plus anciennes d’Iran. Sa belle austérité. Marche. Le désert, le silence ; une fois encore, je suis repris par la formidable ambiance du Désert des Tartares. Soudain, je comprends que le livre de Dino Buzzati n’évoque pas autre chose que le temps qui passe et l’inéluctable mort. Je comprends non moins soudainement qu’il y a un air de famille marqué entre le livre de l’Italien et le livre de Léon Tolstoï, ‟La mort d’Ivan Ilitch”, une nouvelle qui m’a autrement plus marqué que ses grands romans, une nouvelle dont l’ambiance ne m’a jamais quitté, pas plus que ne m’a quitté celle du livre de Dino Buzzati. Retour dans la mosquée. Minbar multi-séculaire en noyer ; il s’est admirablement conservé dans ce climat sec. En sous-sol, le bassin à ablutions alimenté par un qanat. Sous la mosquée, un complexe souterrain servait d’abri en hiver dans cette région désertique où peut souffler un vent glacé. La descente s’effectue par la cour. La lumière tombe des puits de jour en albâtre.

 

Nain, citerne

Une citerne à Naïn, flanquée de tours de vent.

 

Ciel gris. Quelques gouttes de pluie. Vent frais et soutenu. Cette petit pluie amène une odeur de poussière et le souvenir : un souvenir d’enfance avec l’odeur qui montait du champ de blé, après des jours d’été sans un nuage. Dans la maison du Gouverneur, un musée. Je prends note d’un incomparable art de vivre. Patio entouré d’un passage extérieur, avec pièces distribuées sur trois côtés, le quatrième côté s’ouvrant sur un jardin enclos planté de pistachiers avec bassin central. Dans le patio, un bassin alimenté par un qanat.

La nourriture iranienne est excellente, healthy, et d’abord parce qu’elle est simple : laitages (beaucoup de laitages), légumes frais, viande grillée, herbes aromatiques fraîches, riz d’une grande finesse, etc. L’Iran n’est pas encore gagné par la junk food — mais pour combien de temps encore ? Et que dire du pain iranien !

Ciel gris. 28° C. Vers Ispahan, à quelque deux cents kilomètres. J’ai oublié de préciser que l’état général des routes est excellent. Le ciel est de plus en plus gris, de plus en plus bas. Des étendues sans un arbre, sans un arbuste, couvertes de petites touffes jaunâtres et roussâtres. Peu avant d’arriver à Ispahan, de nombreuses aciéries puis de nombreux pigeonniers en pisé. La fiente des pigeons était récupérée pour servir d’engrais.

Arrivée à Ispahan. C’est dans le quartier arménien de la ville que fut imprimé le premier livre en Iran. J’ai pu noter auprès de plusieurs interlocuteurs que les Arméniens sont tenus en très haute estime dans le pays. Ci-joint, un article extrait du N° 38 (jan. 2009) de La Revue de Téhéran :

http://www.teheran.ir/spip.php?article877

Poursuivi dans ma chambre d’hôtel ‟Introduction to the Holy Gâthâs”. On y insiste sur un point essentiel de la doctrine zoroastrienne, un point que m’avait évoqué un Zoroastrien : le libre-arbitre. On y rend également compte des événements qui ont porté préjudice à cette religion, à commencer par l’occupation macédonienne avec la destruction des volumes de l’Avesta sur ordre d’Alexandre le Grand et l’hellénisation du pays, jusqu’à ce que la conscience de l’inanité revive sous Ardeshir Papekan, durant quatre siècles, avant l’arrivée des Arabes qui s’emploieront à islamiser le pays par tous les moyens. Quelques siècles plus tard, ce qui avait subsisté de l’iranité sera détruit par Genghis Khân puis par Tamerlan, notamment des livres et autres témoignages de cette religion ancienne entre toutes : ‟And thus it is that Iran is unaware of many an event in its own history”.

 

Mosquee Shah Abbas à Ispahan

La Grande Mosquée d’Ispahan, détail.

 

23 avril. Ispahan. Au petit-déjeuner, thé, fromage blanc avec confiture de rose ou de cédrat, dattes très sombres qui fondent dans la bouche. Comme chaque matin, je lis le Tehran Times, un quotidien écrit dans un excellent anglais a bit old fashioned.

http://www.tehrantimes.com

Ispahan, ville fraîche, aérée, richement arborée. Ciel couvert. Le sol encore humide de l’averse d’hier soir. Passants souriants et curieux. Beaucoup me saluent et ceux qui parlent quelques mots d’anglais ou de français m’abordent. J’invite les Occidentaux à voyager en Iran, un pays systématiquement décrié, tandis que nous taisons les crimes et les manigances de l’Arabie saoudite et autres rentiers du pétrole dont nous dépendons. Nous nous taisons par confort, par conformisme. Nous nous gaussons d’être le pays des Droits de l’Homme et nous sommes en ménage avec des États esclavagistes. Nous finirons dans l’esclavage car nous nous y sommes mentalement préparés… Notre intelligence politique est au plus bas.

J’écris tout en marchant sous un ciel gris, le long d’une avenue bordée de platanes. Et Israël ? Israël auquel je ne cesse de penser. D’où me vient cette croyance en une possible entente entre ce pays et l’Iran ? L’Iran évolue vite ; l’Iranien est mobile ; il aime la dialectique, le raisonnement et place haut l’éducation et la connaissance, plus haut, beaucoup plus haut que ne le font les Arabes. Ces qualités ont de multiples raisons ; il en  est une qui n’apparaît que lorsqu’on voyage dans le pays ou qu’on se plonge dans l’étude : une différence d’ambiance entre le chiisme et le sunnisme, une différence qui n’est que très rarement prise en compte. On rétorquera : ‟Chiisme, sunnisme, c’est du kif-kif !” Faux. Il y a certes une base commune mais de nombreuses nuances distinguent ces deux tendances de l’islam ; et rien n’importe plus que la nuance. L’Iran et Israël, pays si dissemblables, ont des points communs.

Ispahan sous la pluie et les beaux arbres qui s’égouttent. Visite de la Grande Mosquée. Elle ne cessa d’être remaniée entre le VIIIe siècle et le XVIIIe siècle, sous les Safavides principalement. Cette construction est complexe entre toutes, plus complexe encore que la Grande Mosquée de Cordoue qui rivalise avec elle en âge. A l’entrée, des panneaux explicatifs et des maquettes rendent compte de ces transformations sur une dizaine de siècles. Aujourd’hui, cet immense ensemble suit le plan iranien type, soit une cour centrale et ses quatre iwan disposés en croix. Des stalactites se terminent en étoiles. Deux lignes brisées forment par entrecroisements des svastikas, comme dans l’architecture grecque. En Iran, la brique se fait marqueterie. Passage du carré au cercle (voir les coupoles). Un ruissellement réticulé dans un iwan. Saturation de l’espace décoratif par la calligraphie (voir sa typologie) ainsi que par des motifs floraux strictement géométriques avec expansion en symétrie (voir les tapis iraniens). Ces surfaces répondent aux plus récentes créations artistiques-mathématiques assistées par ordinateurs. Ci-joint, un article de Jean-Paul Roux intitulé ‟La Grande Mosquée d’Ispahan : Histoire et civilisation de l’Iran islamique” :

http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/la_grande_mosquee_dispahan_histoire_et_civilisation_de_liran_islamique.asp

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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