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Voyage en Iran, avril 2014 – 4/11

 

(17 avril suite). Traversée d’un col. Sur ses pentes des figuiers encore, plantés sur des petites terrasses semi-circulaires. Lac salé de Maharlou d’une superficie de 600 km². C’est une étape importante pour les oiseaux migrateurs. J’apprends que ce lac doit sa pérennité à un subtil équilibre entre évaporation et alimentation pluviale. Sa longévité (probablement depuis le début du Quaternaire voire la fin du Miocène) s’explique par l’étendue du bassin‐versant (près de 4 000 km² contrebalancent l’évaporation) et le volume considérable de ce plan d’eau (300 à 500 millions de m3) qui permet une certaine compensation lors des années particulièrement sèches.

Les dimensions se font de plus en plus asiatiques. Neyriz, dans le Fârs. Gros centre du traitement de marbre. Culture de la grenade. La sécheresse menace régulièrement l’existence même de cette agglomération. Visite de la mosquée du Vendredi, l’une des plus anciennes d’Iran. Élégance et extrême simplicité. Un exquis travail de stuc dans le mehrab. La construction est en briques cuites. Les murs extérieurs sont recouverts d’argile et les murs intérieurs de plâtre, ce qui donne une saveur particulière à ce chaleureux ensemble. La construction de cette mosquée s’est probablement faite en trois temps, sous les Bouyides, les Seldjoukides et la dynastie des Ilkhanides. On prie dans un profond iwan (élément essentiel de la typologie des mosquées d’Iran), une grotte de fraîcheur dans cet espace brûlant et brûlé. Repas avec brochettes de bœuf accompagnées de riz blanc parfumé au poivre noir, d’oignons, de tomates grillées, de cumin (chelo-kebâb), ce qui constitue, me fait-on savoir, le plat national iranien.

 

Neyriz, la mosquée.Neyriz, la mosquée.

 

Le paysage s’adoucit ; je pourrais être de retour en Espagne, en Andalousie ou au sud de l’Aragon. Très peu de surfaces cultivées, aucune habitation. L’Iran a une superficie qui est trois fois celle de la France et sa population dépasse d’environ dix millions d’habitants celle de la France. De vastes étendues sont désertes et passent pour être les plus arides de la planète avec le Dasht-e Kavir et, plus au sud, le Dasht-e Lut. Nous roulons dans une immense plaine sans le moindre arbre ou arbuste et pauvrement herbeuse. Route rectiligne à perte de vue : je pense à la route chilienne, la Panamericana.

Le nationalisme iranien est présenté comme un danger majeur pour le monde. Peut-être, mais il n’est pas né de rien et il faut en étudier les origines avant de faire des moulinets dans le vide. Il n’est pas une création ex nihilo de la République islamiste issue de la révolution de 1979. Rappelons que l’Afghanistan a souvent fait partie de l’Empire perse, du VIe siècle av. J.-C. au XVIIIe siècle. Rappelons que le persan est la langue maternelle de la moitié des Afghans et que certains groupes ethniques de ce pays sont chiites. Les Iraniens se sont montrés remarquablement discrets dans ce pays, contrairement aux Pakistanais, parrains des Taliban appuyés en sous-main par les Américains. Dans le Caucase, l’aire historique iranienne est importante et remonte aux Achéménides, au VIe siècle av. J.-C. On peut comprendre qu’après l’implosion de l’Empire soviétique, en 1991, le pays ait cherché à accroître son influence dans le Tadjikistan (persophone), la Kirghizie, le Turkmenistan et l’Ouzbékistan. La chute de l’Empire soviétique a également encouragé les manœuvres américaines dans ces régions, manœuvres en partie destinées à isoler l’Iran dont les réserves en pétrole et en gaz sont immenses. Rappelons qu’au cours du XIXe siècle et qu’au début du XXe siècle, l’histoire du pays a été dominée par la rivalité entre l’Angleterre et la Russie, qu’en 1813 et 1828 l’Iran dut céder la Géorgie et une partie de l’Arménie à la Russie tandis que les Anglais s’affirmaient dans le Sud du pays, que Russes et Anglais parvinrent à obtenir des concessions qui leur donnaient le contrôle des principales ressources de l’Iran. La question de l’ingérence étrangère se posera une fois encore au cours de la Deuxième Guerre mondiale. En 1951, le Premier ministre du Shâh, Mohammad Mossadegh nationalise d’autorité les installations pétrolières, alors aux mains des Anglais. Après trois ans de péripéties, on parvient à un compromis : un consortium international est constitué aux profit des… Américains, un tour de passe-passe qui explique en bonne partie cette réaction anti-américaine qui contraindra le Shâh à l’exil et portera au pouvoir la République islamique. N’oublions pas la perspective historique — la profondeur historique — au seul profit des breaking news. N’oublions pas non plus que la longue guerre Irak-Iran (1980-1988) fut initiée par l’Irak, le 22 septembre 1980 précisément, l’Irak qui fit avancer ses troupes dans le Khuzestân, province en partie arabophone où se trouvent les principaux champs pétrolifères iraniens. Les Occidentaux se mirent à soutenir l’agresseur, un excellent débouché pour leurs armements. Rappelons enfin, au risque de passer pour un agent de la République islamique d’Iran, que les Iraniens auraient pu tirer meilleur parti de l’indescriptible désordre tant en Irak qu’en Afghanistan, désordre avec lequel l’Iran n’avait rien à voir. Et si j’interroge l’histoire, une intervention iranienne en Afghanistan aurait été plus justifiée — et probablement moins néfaste — que cette intervention américano-pakistanaise. Je rappelle qu’à partir des Élamites (deuxième millénaire av. J.-C.), cette zone qui deviendra l’Irak a été alternativement administrée par les Arabes et les Perses. Et c’est en Irak que se trouvent les lieux saints les plus vénérés par les Chiites iraniens, Nadjaf et Kerbala. Enfin, n’oublions pas que la majorité des habitants du Sud de l’Irak sont chiites et qu’à ce titre, ils ont été brimés voire persécutés par Saddam Hussein.

 

Aire linguistique iranienneL’aire linguistique iranienne

 

Province de Kerman. D’immenses étendues plus vertes mais sans même un arbuste. Au loin, des hauteurs rose-mauve qui dans cette lumière poudreuse se couvrent de vert, comme des caresses au pastel. Puis le relief se plisse toujours plus et, dans la lumière couchante, il prend des allures de draperies Renaissance italienne ou flamandes. Ce relief pourrait être celui que j’admirais à Mojácar (Province de Almería), du haut de Sierra Cabrera, alors que le soleil se couchait du côté de Granada. De l’eau ! Un ruisseau serpente dans cette formidable aridité. L’homme a aménagé le long de son cours des petites retenues. De la neige, là-bas, dans les replis des hauteurs !

L’expression la flèche du Parthe s’inspire de l’histoire de la Perse ; elle date du XIXe siècle et fait référence aux combattants parthes qui simulaient la fuite mais tiraient des flèches sur leurs poursuivants en se retournant. L’expression la flèche du Parthe s’applique aujourd’hui aux personnes qui lancent des attaques par les mots : une phrase assassine ou une plaisanterie désagréable est lancée par quelqu’un au moment où il arrête la conversation et s’éloigne, empêchant ainsi l’interlocuteur de répliquer.

18 avril. Petit matin. Vers la forteresse de Rayen d’époque sassanide. Les hauteurs enneigées au loin. La vaste plaine saline. L’autocar roule sur ce qui fut des fonds sous-marins. Nous évoquons le tremblement de terre de Bam, en 2003, et ses trente mille victimes. Le paysage est de plus en plus asiatique dans ses proportions. La végétation se raréfie. J’imagine les guerriers d’Alexandre le Grand puis ceux de Genghis Khân et de Tamerlan déferlant dans ces espaces. Le vertige géologique en amène un autre, le vertige astrophysique. Vertige humain aussi : tous ces peuples, toutes ces invasions, toutes ces influences nous font membres d’une grande famille : les Indo-européens.

Des postes de contrôle de plus en plus nombreux : on approche de la frontière afghane. Dans des parkings, à côté de ces postes, des autocars et des camions confisqués ; ils transportaient de la drogue et des clandestins afghans ou pakistanais. A un poste de contrôle, j’échange quelques mots et des sifflements avec des mainates, un oiseau très présent en Iran. L’air frais, les lointains dans les brumes bleutées, avec des lignes de crêtes qui émergent des brumes ; une fois encore, je pense à la peinture chinoise. Là-bas, des hauteurs enneigées, une composition évoquant l’estampe japonaise qui ne cessa d’interroger le Fujiyama. Sergio Leone et Ennio Morricone auraient célébré ces espaces. Ce sont des paysages radicalement géologiques, comme je les aime. On sent que toute cette terre est travaillée par d’immenses mouvements telluriques, avec des strates en tous sens, certaines franchement verticales. Quelques kilomètres plus loin, des plantations de pommiers en fleurs et des pistachiers !

Rayen ! L’air d’une pureté de Quattrocento. Je pense au bleu de Giotto qu’aimait tant ma mère. Et en pénétrant dans l’énorme citadelle en adobe et pisé, je pense à la Grande Mosquée de Djenné, au Mali.

 

Forteresse de RayenUne vue de la forteresse de Rayen. 

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

 

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