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Margherita Sarfatti, une personnalité centrale de l’Italie de Mussolini – 1/2

Margherita Sarfatti

Margherita Sarfatti (1880-1961) photographiée en 1933 par Ghitta Carell (1899-1972)

 

Je viens de terminer la lecture de la volumineuse biographie de Françoise Liffran intitulée ‟Margherita Sarfatti – L’égérie du Duce” (Éditions du Seuil, octobre 2009), un livre d’environ sept cent cinquante pages qui se lit d’une traite, ou presque. Margherita Sarfatti reste curieusement peu connue, alors que cette femme issue de la haute bourgeoisie juive de Venise fut une personnalité centrale de l’Italie des années 1920 et 1930. Cette biographie se structure en vingt-neuf chapitres qu’enrichissent une bibliographie et un index des noms de personnes. J’ai choisi de rendre compte des chapitres 20 et 21 qui s’intitulent respectivement : ‟Madame la commissaire des Arts” et ‟Novecento italiano”, en espérant que ceux qui me lisent liront ce livre dans son intégralité.

Avant de passer aux notes de lectures, je mets en lien trois articles qui permettront d’avoir une vue plus ample de cette personnalité. Tout d’abord, un article de Patricia Acobas publié par Jewish Women’s Archive :

http://jwa.org/encyclopedia/article/sarfatti-margherita

Un autre d’Anthony L. Cardoza publié par Italian Women Writers :

http://www.lib.uchicago.edu/efts/IWW/BIOS/A0258.html

Enfin, un article de Marie-France Renard publié par La Libre Belgique :

http://www.lalibre.be/culture/livres/margherita-sarfatti-femme-d-exception-51b8b462e4b0de6db9b96697

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1925, Margherita Sarfatti s’est installée dans son rôle de promotrice des arts. Dans la pinacothèque de Brera qui vient d’être rénovée, elle accompagne le roi, sa suite ainsi que des personnalités du monde des arts et de la municipalité de Milan. Au Salon du livre de Turin, toujours en présence du roi, elle inaugure le pavillon de l’Instruction féminine, tient une conférence et signe ses derniers ouvrages. A Monza, elle inaugure la deuxième Biennale des arts décoratifs, Monza dont elle veut faire en cinq ans un rendez-vous international des arts décoratifs. Elle est à Paris. Rome inaugure sa troisième Biennale sous l’autorité de Marinetti. Parmi les artistes représentés, Umberto Boccioni et Carlo Carrà. Les artistes du Novecento sont présents mais en ordre dispersé. Parmi eux, Mario Sironi qui expose trois compositions de grandes dimensions.

Depuis la dernière Biennale de Venise, Margherita Sarfatti a en tête de relancer le Novecento. Contre l’avis de Mussolini et des critiques les plus en vue, elle décide de conserver le nom de ‟Novecento” et de lui adjoindre ‟italiano”. Et elle ne dévie pas de son projet : inspirer et guider un style qui devienne le label culturel du régime. En mai 1925, elle envoie à cent vingt-quatre artistes des invitations (accompagnées d’une brève déclaration d’intentions) à participer à l’exposition du ‟Novecento italiano” qui se tiendra en février 1926 à Milan. Elle se charge donc de la première opération de promotion de l’Italie fasciste sur la scène internationale. Et c’est à Paris que son rôle va être pleinement apprécié. Elle y dirige la délégation italienne avec le titre de ‟commissaire adjointe” à l’Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels modernes. Paris lui offre le titre de ‟vice-président du jury international” et la reçoit avec un protocole de quasi-ministre. Le catalogue officiel la présente comme ‟artiste écrivain” et mentionne six mandats qui lui donnent la haute main sur toute la partie italienne.

Paris souhaitant concéder un espace important au second futurisme, Margherita Sarfatti s’allie Marinetti qui vient à Paris accompagné de Giacomo Balla, Enrico Prampolini, Fortunato Depero, avec des œuvres de Tullio Crali et quelques autres. Viennent aussi Filippo De Pisis, Giorgio De Chirico et Ardengo Soffici qui revendique un fascisme toscan, rustique, en controverse avec le fascisme milanais et sa modernité.

Margherita Sarfatti soutient infailliblement Armando Brasini au concours d’architecture pour le pavillon national d’Italie. Elle se démène car le projet suscite bien des sarcasmes. C’est un parallélépipède, un arc de triomphe aveugle de quatre cents tonnes de travertin noir de Rome et autres marbres. Il ne recevra aucune récompense et sera même refusé par la France à laquelle Margherita Sarfatti voulait en faire cadeau, une fois l’exposition terminée. L’Italie sera priée de prendre à sa charge le démontage.

 

Pavillon d'Italie 1925

 

Dans les salles régionales du Grand Palais, Margherita Sarfatti a fait disposer le meilleur de l’artisanat d’art italien. Elle est responsable du choix des pièces et de leur agencement, de la très haute qualité mais peu d’originalité dans la présentation. Elle représente par ailleurs la production décorative des futuristes qu’elle envisage comme un retour à l’authenticité des Arts & Crafts promus par John Ruskin et revus par le Bauhaus. Giacomo Balla présente, lui, la Casa d’Arte Futurista dont il a réalisé tout le décor et jusqu’aux moindres objets et vêtements. Fortunato Depero est également très présent, avec notamment ses merveilleux jouets en bois peints.

Margherita Sarfatti jouit d’un statut implicite d’ambassadrice culturelle du régime. Elle doit répondre à mille questions, par exemple sur les spécificités du fascisme et du futurisme ; car qui choisir entre Marinetti et Armando Brasini pour exprimer au mieux cet art fasciste dont elle parle avec un tel enthousiasme ?

Margherita Sarfatti qui a défendu le pavillon national d’Italie commence à se poser des questions tandis qu’elle contemple d’autres pavillons de l’exposition, à commencer par ceux de Tony Garnier, de Mallet-Stevens et celui des frères Perret qu’elle admire particulièrement. Alors que l’exposition n’a pas encore clôturé, elle rapporte dans la presse la surabondance de détails (bas-reliefs, statues, médaillons, etc.) qui nuisent à la cohérence de la construction d’Armando Brasini et elle évoque la magnifique rigueur des ateliers de la Fiat, à Turin. A quelques mètres du pavillon national d’Italie, le pavillon de ‟L’Esprit nouveau” du Corbusier achève de la convaincre. Cette construction est un manifeste en soi, une application des principes de standardisation. Margherita Sarfatti opère un revirement complet : dans une édition spéciale de la ‟Rivista illustrata del Popolo d’Italia” de juin 1925, elle encense le pavillon national d’Italie d’Armando Brasini ; dans celui d’octobre, elle fait l’éloge de Constantin Melnikov dont le pavillon de l’URSS lui évoque Antonio Sant’Elia. L’architecture des frères Perret l’intéresse toujours plus. Elle en est convaincue, l’architecture rationaliste marque la voie à suivre. ‟Vers une architecture” de Le Corbusier est une révélation. Armando Brasini ne sera pas l’architecte de la Rome Nouvelle.

A son retour en Italie, Margherita Sarfatti découvre que des architectes proches de son cercle s’intéressent au fonctionnalisme, à commencer par Giovanni Muzio et Giuseppe Pagano, sans oublier le critique d’art Edoardo Persico. Elle ne va pas tarder à nommer Giuseppe Pagano au poste clé de superviseur du plan d’aménagement de la ville de Milan. Le ‟Gruppo 7” (fondé fin 1926) va propager cet esprit nouveau. Parmi ses membres, Carlo Rava, un neveu de Margherita Sarfatti. Les nouvelles techniques (en particulier celle du béton armé) permettent de tendre vers une esthétique internationale qui pousse de côté les styles nationaux dont celui d’Ardengo Soffici le Toscan.

C’est à Milan que le style international, sobre et fonctionnel, se développe. Il est stimulé par Margherita Sarfatti qui sait favoriser de jeunes talents par des concours régionaux ou nationaux et promouvoir le stile littorio, le ‟style des licteurs”. Le tournant que prend l’architecture italienne à partir de 1926 est dû pour l’essentiel aux interventions de Margherita Sarfatti qui a perçu, au cours de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, à Paris, le potentiel que recèle le fonctionnalisme. Ce changement de cap donnera à l’Italie fasciste une image de régime moderne.

Margherita Sarfatti qui a détaillé les plans pour usines de Giuseppe Terragni voit en lui l’héritier d’Antonio Sant’Elia. En 1936, et avec l’appui décisif de Margherita Sarfatti, Giuseppe Terragni va construire à Côme la Casa del Fascio, considérée comme la plus pure réalisation de l’architecture fonctionnaliste italienne.

Promotrice de l’architecture rationnelle, Margherita Sarfatti s’oppose aux architectes et urbanistes du B.U.R. ; parmi eux, Armando Brasini dont Mussolini vient d’approuver le projet de transformation du centre de Rome. Elle parviendra à faire annuler les décrets de démolition.

 

Casa del Fascio

La Casa del Fascio de Giuseppe Terragni, construite entre 1932 et 1936, à Côme, Lombardie : https://www.youtube.com/watch?v=HG1R3xVSYWo.

 

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis 

 

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