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Les Chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité – 1/5

Qui sont les Chrétiens d’origine juive ?

Cette suite d’articles s’appuie sur une étude de Simon Claude Mimouni (né en 1949), directeur d’études à la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études et titulaire de la chaire ‟Origines du christianisme”. Parmi les études qu’il mène, les prophétologies et les messianologies judéo-chrétiennes, lesquelles ont profondément marqué l’islam des origines et son évolution. Quelques titres parmi ceux qu’il a publiés : ‟Le judéo-christianisme ancien”, ‟La circoncision dans le monde judéen aux époques grecque et romaine” sous-titré ‟Histoire d’un conflit interne au judaïsme”, ‟La croisée des chemins revisitée” sous-titré ‟Quand l’Église et la Synagogue se sont-elles distinguées ?”

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Qui sont les Chrétiens d’origine juive ? Pour répondre à cette question, on adoptera une démarche d’historien — et non de théologien. Notons qu’avant 135 C.E., il est difficile de les distinguer au sein du judaïsme.

‟Judéo-christianisme” est un néologisme attribué à Ferdinand Christian Baur, auteur d’un article publié en 1831 et intitulé ‟Die Christuspartei in der korinthischen Gemeinde, der Gegensatz des paulinischen und petrinischen Christentums in der ältesten Kirche, der Apostel Petrus in Rom”. Ce néologisme est malaisé à définir, quatre définitions se trouvant en concurrence ; elles sont respectivement déterminées par l’observance / la christologie / un système de doctrines / un système de concepts.

 

Ferdinand Christian von Baur

Ferdinand Christian Baur (1792-1860)

 

La définition la plus courante de ce néologisme a été avancée par un Jésuite, le père Jean Daniélou (1905-1974). Il s’agit en fait de deux définitions proposées respectivement dans ‟Théologie du judéo-christianisme” et dans l’article de l’Encyclopædia universalis où il reprend cette première définition mais dans une perspective plus historique — et moins théologique. Précisons que dans les deux cas, ces définitions recouvrent trois réalités différentes, ce qui les rend plutôt vagues voire ambiguës. Dans tous les cas, elles ne collent pas assez aux réalités historiques. Mais étudions comment les Chrétiens d’origine juive étaient désignés dans les textes anciens.

Eusèbe de Césarée reste très discret sur ses contemporains et n’évoque que les Chrétiens d’origine juive ayant vécu à Jérusalem vers 135 C.E. Ses principaux témoignages sont consignés dans ‟Histoire ecclésiastique”. Dans un premier passage, il fait usage du mot ‟Hébreux” pour désigner l’origine ethnique des premiers évêques et des Chrétiens de Jérusalem jusqu’en 135. Dans un second passage, il partage les livres du Nouveau Testament en trois catégories : ceux qui sont universellement reçus / ceux qui sont contestés mais généralement reçus / ceux qui ne sont que rarement reçus. Une fois encore, il fait usage du mot ‟Hébreux” pour désigner les Juifs qui croient en Jésus le Messie. Il signale qu’ils possèdent un Évangile appelé ‟selon les Hébreux”. On peut supposer que les Chrétiens d’origine juive ont été désignés comme ‟Hébreux” au temps d’Eusèbe de Césarée. Toutefois, ce terme n’était probablement pas employé de manière systématique car dans un passage de ‟Démonstrations évangéliques”, il est fait usage du mot ‟Juifs”.

Cyrille de Jérusalem, évêque de Jérusalem, emploie à plusieurs reprises le terme ‟Hébreux” dans ‟Catéchèses baptismales”, et dans un contexte prophétique pour désigner les Chrétiens d’origine juive. Successivement, il reprend ce terme dans une optique franchement polémique entre Chrétiens d’origine juive et Chrétiens d’origine païenne. Il n’utilise plus ‟Hébreux” mais ‟Juifs” pour désigner ceux qui reconnaissent Jésus mais refusent le Christ. Simon-Claude Mimouni écrit : ‟On voit mal des Juifs, au milieu du IVe siècle, accepter de reconnaître Jésus : il ne peut s’agir que de Chrétiens d’origine juive. Par conséquent, dans ce cas précis, les termes ‟Juifs” et ‟Hébreux” apparaissent comme synonymes, l’un et l’autre renvoyant à des Chrétiens d’origine juive”. Dans un autre passage, les ‟Hébreux” semblent être des Chrétiens d’origine juive ‟qui reconnaissent la messianité de Jésus mais non pas la divinité du Christ, ce qui explique en partie que l’auteur puisse les confondre avec les Juifs”. Bref, l’évêque de Jérusalem utilise sans ambiguité ‟Hébreux” pour désigner les Chrétiens d’origine juive du 1er siècle, les douze apôtres et Paul de Tarse ainsi que les quinze évêques de Jérusalem. Il oppose Hébreux et Juifs, les premiers ayant reconnu le Christ, les seconds l’ayant repoussé. Mais le terme ‟Hébreux” dont il fait volontiers usage désigne-t-il systématiquement les Chrétiens d’origine juive ? La réponse est problématique. Dans certains textes patristiques, ‟Hébreux” et ‟Juifs” ne seraient pas synonymes. ‟Hébreux” désignerait ceux qui ont reconnu la messianité de Jésus et ‟Juifs” ceux qui l’ont refusée. ‟Hébreux” désignerait les Juifs croyants de l’Ancien et du Nouvel Israël tandis que ‟Juifs” prend une tournure volontiers polémique. Forts de cette distinction terminologique, les penseurs chrétiens auraient cherché à se rattacher à l’‟Ancien Israël” (Vetus Israel), soit les Hébreux, s’efforçant ainsi de marginaliser l’Israël de la terre et du peuple (les Juifs) afin de se proclamer le ‟Nouvel Israël” (Verus Israel). Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle est solide.

Épiphane, évêque de Salamine, n’utilise jamais ‟Hébreux” pour évoquer des Chrétiens d’origine juive, ‟grands ennemis des Juifs”, mais plutôt ‟Nazoréens”. Il est le premier à utiliser ce terme qui sera repris par Jérôme. Dans son traité consacré aux hérésies, ‟Panarion”, il souligne ce qui distingue les Nazoréens des Juifs et des Chrétiens : d’un côté, ils croient au Christ et, de ce fait, ils sont séparés des Juifs ; de l’autre, ils observent la Loi mosaïque et, de ce fait, ils sont séparés des Chrétiens. Simon-Claude Mimouni écrit à ce propos : ‟On peut d’ores et déjà avancer que toute définition du christianisme d’origine juive ancien devra nécessairement se fonder, d’un point de vue théorique, sur ces deux éléments”. Notons par ailleurs que ‟Hébreux” et ‟Nazoréens” sont originaires du Nouveau Testament.

Pour désigner les Chrétiens d’origine juive, Jérôme fait usage de ‟Nazaréens” — et non de ‟Nazoréens” —, ce qu’explique la traduction du grec au latin. Par ailleurs, il fournit deux noms vraisemblablement relatifs aux Chrétiens d’origine juive au début du Ve siècle chez les Juifs (les minim, de minaeorum) et chez les Chrétiens (les ‟Nazaréens”, de nazaraeos). Sous la plume de Jérôme, minim désigne les Nazaréens en particulier et non des apostats ou des hérétiques du judaïsme en général. Les Nazaréens se distinguent des Juifs car ils croient au Christ ; mais par leur observance de la Torah, ils se différencient des Chrétiens. Jérôme et Épiphane de Salamine leur reprochent de vouloir être à la fois juifs et chrétiens.

Dans un texte tardif de 570, ‟Récit de pèlerinage” de l’Anonyme de Plaisance, où ‟Hébreux” et ‟Chrétiens” sont opposés, on peut avancer l’hypothèse selon laquelle les premiers seraient des Chrétiens d’origine juive et les seconds des Chrétiens d’origine païenne. Bref, l’étude des textes laisse apparaître l’utilisation de plusieurs termes pour désigner les Chrétiens d’origine juive. Par ailleurs, la terminologie désignant les Chrétiens d’origine juive dans la littérature chrétienne ancienne a varié : ‟Juifs croyants”, ‟Ébionites”, ‟Hébreux”, ‟Nazoréens” ou ‟Nazaréens”, avec un retour sur ‟Hébreux”. Simon-Claude Mimouni écrit : ‟Cette terminologie concerne uniquement les Chrétiens d’origine juive que les écrivains chrétiens considèrent comme des orthodoxes plutôt marginaux — cette marginalité s’exprimant sur le plan des pratiques, des coutumes et de la liturgie, non pas sur celui de la doctrine. A la fin du VIe siècle, les Chrétiens d’origine juive semblent totalement disparaître de la littérature patristique. On les retrouverait alors dans la littérature islamique selon certains critiques.” Le christianisme d’origine juive reste difficile à appréhender. Il n’empêche qu’il constitue une réalité historique à Jérusalem et en Palestine jusqu’à la fin du IVe siècle voire jusqu’à la fin du VIe siècle.

Selon quels critères différencier judaïsme et christianisme au cours des premiers siècles de notre ère ? Succinctement, par l’observance (la pratique) et la christologie (la doctrine). Simon-Claude Mimouni écrit : ‟Le christianisme d’origine juive est une formulation désignant des Juifs qui ont reconnu la messianité de Jésus, qui ont reconnu ou qui n’ont pas reconnu la divinité du Christ, mais qui tous continuent à observer la Torah”. En simplifiant et en adoptant un point de vue neutre (extérieur tant au judaïsme qu’au christianisme), on peut dire que ‟le christianisme d’origine juive peut être défini comme un mélange de certaines observances juives (praxis) et de certaines croyances chrétiennes (doxa)”. Cette définition s’efforce de retenir toutes les caractéristiques que les textes patristiques fournissent au sujet des Chrétiens d’origine juive : ils observent la Loi (voir Épiphane et Jérôme) ; certains ont reconnu la messianité de Jésus, d’autres la divinité du Christ (voir Eusèbe, Épiphane, Jérôme) ; ce sont des Juifs (voir Eusèbe, Épiphane, Jérôme).

En conclusion, précisons que si le christianisme d’origine juive a été historiquement un mouvement relativement mineur, il a doctrinalement joué un rôle déterminant, ‟notamment avec le phénomène de récupération des traditions judéo-chrétiennes par la ‟Grande Église”, surtout à Jérusalem vers la fin du IVe siècle et le début du Ve siècle, sous l’épiscopat de Jean II.”

‟D’où vient le christianisme ?”, un lien Akadem admirablement présenté par Dan Jaffé, docteur en histoire des religions (durée 12 mn) :

http://www.akadem.org/pour-commencer/les-grands-moments-de-l-histoire-juive/d-ou-vient-le-christianisme-16-11-2012-48445_4339.php

Olivier Ypsilantis

 

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