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En lisant « Les Juifs et leur avenir » d’Adin Steinsaltz – 5/8

 

Ernst HAECKELErnst Haeckel (1834-1919)

 

IX – Sur qui pouvons-nous compter ?

Où sont à présent ceux qui vont montrer le chemin ?

A la fin du traité du Talmud Sotah (49 a,b), il y a cette phrase de rabbi Eliezer le Grand : ‟Du jour où le Temple a été détruit, les Sages se sont transformés en scribes, les scribes  se sont transformés en agents de la force publique, les agents de la force publique se sont mis au niveau du peuple et le peuple lui-même se dégrade”. Les Sages se sont transformés en scribes… Les scribes répètent ce qui se dit, résolvent des problèmes qui ont été résolus, n’écrivent que des anthologies et des résumés… Les scribes se sont transformés en agents de la force publique… Ils n’enseignent plus et se contentent de faire régner la discipline… Les agents de la force publique se sont mis au niveau du peuple… Au lieu de faire respecter la loi, ils s’efforcent de gagner les faveurs du peuple en se comportant comme lui… Et le peuple lui-même se dégrade… Cette dégradation est perceptible dans le parler comme dans le comportement et elle finit par être acceptée comme la norme… Mais alors, sur qui compter ? Et pourquoi une telle dégradation ? Parce que nous fuyons nos responsabilités en nous déchargeant d’elles sur les Sages, les scribes, les agents de la force publique, etc., au point d’oublier toute relation personnelle avec Dieu. Un verset du Deutéronome rappelle que l’alliance entre Dieu et le peuple juif ne s’est pas faite quelque part il y a longtemps mais qu’elle se fait ici et maintenant. L’engagement doit passer de la société à l’individu. Quand les systèmes se seront effondrés (et nous pouvons constater qu’ils s’effondrent les uns après les autres), chacun d’entre nous sera appelé à avancer par lui-même. Lorsque nous affirmons que nous pouvons compter sur notre Père aux cieux, nous affirmons que nous ne sommes pas seuls et que nous cessons de compter sur les autres ; ainsi assumons notre responsabilité. Dieu a fait de nombreux miracles pour le peuple juif à sa sortie d’Égypte ; mais le Tabernacle a été construit par chaque Israélite. Que chaque Israélite apporte sa pierre au Temple ! Compter sur soi-même revient à compter sur notre Père aux cieux et compter sur notre Père aux cieux revient à compter sur soi-même.

 

X – Où se situe le conflit entre Torah et science ? 

Le conflit entre la Torah et la science est le sujet d’un grand nombre de livres. Mais en réalité, il y a très peu de contradictions entre la Torah et les mathématiques qui sont à la base de presque toutes les sciences exactes et d’un grand nombre de sciences inexactes qui appliquent des méthodes propres aux mathématiques et aux statistiques. En fait, le problème ne se situe pas entre la Torah et les ‟sciences dures”, il se situe au niveau de la vulgarisation scientifique. Cette dernière simplifie les choses, d’où son immense public. La vulgarisation scientifique ne différencie pas toujours théorie et hypothèse. Elle a d’autres défauts, notamment celui de ne pas s’embarrasser de nuances. Ainsi la science est-elle présentée comme un ensemble d’absolus et la Science (avec un grand S) pousse la Torah de côté.

Pour avancer dans le monde, nous avons besoin d’une sorte de théologie (un ensemble d’idées générales) capable de définir des valeurs et des systèmes, que cette théologie soit religieuse ou non, voire nauséabonde… Des connaissances scientifiques peuvent volontiers participer à l’élaboration d’une croyance théologique, d’une sorte de religion (qui s’ignore). Par exemple, rien de ce qu’a écrit Darwin n’était nazi avant la lettre, mais un certain biologiste, Ernest Haeckel, auteur d’ouvrages de vulgarisation à succès et très enseigné dans les écoles, a présenté à sa manière le darwinisme, il l’a placé dans un éclairage particulier qui a favorisé l’émergence de l’idéologie nazie.

La vulgarisation scientifique compte parmi ses lecteurs nombre de personnes intelligentes et cultivées qui s’efforcent de mieux comprendre le monde en s’aventurant hors de leur domaine.

Il y a la vulgarisation scientifique, il y a les ‟sciences douces”. Elles ne sont ni vraiment expérimentales ni vraiment mathématiques et leur influence est considérable. Ces ‟sciences” sont théologiques de par leurs hypothèses fondamentales : elles ne partent pas de faits mais d’une conception de l’Univers. Psychanalyse, sociologie, anthropologie, nombre de ‟sciences douces” ne sont que des angles de vision particuliers, des systèmes de croyances, mais si répandus que personne ne songe à les remettre en question. Chacun est libre de construire des représentations ; il ne faut pas pour autant que ce dernières soient considérées comme étant le reflet de la vie.

Les conflits entre Torah et science, plus généralement entre la religion et la science dans le monde occidental, ont pour cause principale ces théories scientifiques auxquelles on accorde une valeur absolue. ‟La confrontation fondamentale entre la Torah et la science se produit quand les sciences dures vulgarisées prétendent à la théologie sous le prétexte de présenter des affirmations scientifiques.” Il est bon de croire, mais encore faut-il trouver une croyance de valeur. Les religions pullulent à présent : religion de la psychologie, religion de la sociologie, etc. Dans notre société, les idées généralement admises se font définitives et nombre d’hypothèses se font ‟vérités”. Notons par ailleurs que de nombreux Juifs ont une connaissance de la Torah tout juste digne du Kindergarten et ce qu’ils en connaissent est souvent erroné. Ils se mettent donc à inventer des croyances imaginaires pour faire face à des attaques imaginaires.

A méditer : ‟Un grand nombre de messages qui viennent des pays occidentaux sont en fait des notions chrétiennes mises au goût de la laïcité”. Le Juif doit faire un choix. Chaque message venu du monde doit être contrôlé. Il peut être accepté (certains sont magnifiques) mais aussi refusé au nom des valeurs juives. Prendre des décisions, choisir, questionner sans trêve, sans jamais ériger en fétiche la moindre réponse, sans jamais perdre de vue l’extrême complexité de la vie. Il n’est pas difficile d’être un ange au Paradis et une bête sur terre, mais être un homme that is the question.

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

 

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