Chapitre 17 – ‟La doctrine du Bund” :
Les autres groupements juifs.
Les partis socialistes d’Europe orientale ont compris l’importance du problème juif et décident de créer des groupes juifs dans leurs partis. Ainsi le PPS de Josef Pilsudski s’emploie-t-il à attirer les Juifs. Par ailleurs, nombre de socialistes juifs préfèrent rejoindre des partis déjà bien structurés plutôt qu’un parti juif bénéficiant d’une plus faible assise. Des sections juives sont créées dans des partis sociaux-démocrates.
L’anarchisme ne trouva guère d’audience dans le monde ouvrier juif ; et l’anarchisme juif ne joua qu’un rôle autonome limité.
Pierre Kropotkine (1842-1921)
Le Bund et les socialistes russes.
Le Bund fait savoir à la social-démocratie russe que le prolétariat juif doit résoudre par lui-même ses problèmes. Dans un même temps, le Bund marque ses limites par rapport aux autres mouvements nationaux juifs. Le Bund répond à Lénine et à Staline dans une série d’articles rédigés par Liebmann Hersch et Vladimir Medem. Lénine reconnaît le droit à l’autodétermination des peuples, mais dans le cadre d’un parti centralisé et anti-fédéraliste. Il se heurte au Bund qui refuse la tutelle idéologique grand-russe. Lénine repousse comme irréaliste et bourgeoise la thèse bundiste de l’autonomie nationale-culturelle non territoriale. Dès février 1913, les bolcheviks dénoncent ‟toutes les manifestations du nationalisme sous toutes ses formes dans les classes laborieuses”. Inutile de préciser que le Bund se trouve implicitement visé.
Le Bund vis-à-vis des assimilateurs et des autonomistes.
Le Bund s’élève contre l’assimilationnisme. Il constate que la bourgeoisie juive cherche à se fondre — à disparaître — (sans grand succès) dans les classes bourgeoises non-juives. Vladimir Medem n’a pas de mots assez durs pour les assimilateurs. Par ailleurs, les théoriciens du Bund ne cessent d’avoir recours au marxisme pour matraquer l’autonomisme juif, celui de Simon Doubnov en particulier. En bon marxiste, Vladimir Medem place la lutte des classes au-dessus de tout et refuse la notion de ‟solidarité de la nation juive”, puisqu’elle détourne de la fameuse lutte des classes, réconcilie la bourgeoisie et le prolétariat et perpétue l’esclavage de celui-ci.
A partir de 1910, Vladimir Medem adopte une attitude plus souple concernant le destin des Juifs en tant que nation. Il reconnaît la valeur des luttes nationales… à condition qu’elles soient en harmonie avec la pensée marxiste — le socialisme scientifique. Des écrits de 1916 reprennent certaines idées élaborées par Simon Doubnov au sujet de l’autonomie nationale et culturelle ainsi que celles de Karl Renner concernant le statut de l’autonomie personnelle. Toutefois, et contrairement à Simon Doubnov, Vladimir Medem n’accepte pas d’envisager une communauté culturelle à l’échelle mondiale. Il juge qu’il est exagéré d’évoquer une nation juive unifiée. Le Bund reproche aux partisans de Simon Doubnov leur inconsistance quant à la question de la langue. Il met en garde les Juifs contre deux types de déviation : l’assimilatrice (s’il s’agit d’une langue non-juive), la nationaliste (s’il s’agit de l’hébreu). C’est la partie la plus faible de l’argumentation de Vladimir Medem. La défense d’un ‟patriotisme de la Galout” passe par le choix d’une langue qui ne peut être que le yiddish. Parmi les leaders bundistes qui défendent cette position avec le plus de fermeté, Esther Frumkin.
Ci-joint, le lien vers le Centre Medem – Arbeter Ring, à Paris :
http://centre-medem.org/spip.php?article143
Et une notice biographique éditée par Jewish Virtual Library :
http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/judaica/ejud_0002_0013_0_13490.html
Ci-joint, une notice biographique concernant Esther Frumkin, mise en ligne par Jewish Women Encyclopedia :
http://jwa.org/encyclopedia/article/frumkin-esther
Le Bund farouchement antisioniste.
Le Bund n’est pas contre l’émigration des Juifs ; après tout, nombre d’ouvriers peuvent espérer une vie meilleure aux États-Unis. Mais pas question pour autant d’ériger l’émigration en système politique et de la canaliser vers un seul pays. Ce serait se mettre en contradiction avec l’internationalisme prolétarien. Le Bund invite à la lutte sur place, en Russie, ce que sa presse commente abondamment. Il juge que la Galout — l’exil — est un facteur positif de la vie juive. Vladimir Medem place au-dessus de tout le patriotisme, russe en l’occurrence. Il écrit : ‟Mes sentiments envers le judaïsme, selon le terme des sionistes, c’est le sentiment national de la Galout. Les palmiers et les vignobles de Palestine me sont étrangers”. La formule exaspère les sionistes.
Pour justifier son antisionisme, le Bund s’appuie sur l’analyse marxiste de Ber Borochov concernant la lutte des classes en Russie, Ber Borochov qui dénonce par ailleurs le nationalisme du Bund — le sionisme étant assimilé à du nationalisme.
Selon le Bund, le sionisme est essentiellement un mouvement de la petite bourgeoisie idéaliste et d’une frange de l’intelligentsia bourgeoise opposée à l’intensification de la lutte politique en Russie sur des bases nationales. Ce faisant, les Juifs du Bund se désolidarisent de la classe ouvrière internationale au lieu d’appuyer les revendications nationales des sociaux-démocrates. Bref, le Bund prône la lutte dans la Galout ; le sionisme n’est pour lui qu’un remède illusoire qui ôte aux masses laborieuses juives ses énergies dans son combat pour une société socialiste. Le Bund juge qu’il ne faut pas exporter ses problèmes, ses angoisses et ses espérances, et fausser compagnie aux autres travailleurs. Il faut œuvrer pour une révolution sociale là où l’on est né, là où se trouve sa vie familiale, professionnelle et politique.
Le patriotisme de la Galout selon le Bund.
Comment ne pas remarquer que l’internationalisme du Bund se teinte de ‟patriotisme de la Galout”, en opposition au patriotisme sioniste ? Vouloir en finir avec la Galout — la vie en diaspora — est jugé néfaste. C’est par elle que les Juifs contribuent à la richesse du monde et non par la fuite vers un coin de terre ou bien en se désolidarisant de la classe ouvrière dans son ensemble. Le Bund juge que le sionisme ouvrier reste à la remorque du sionisme qui entraîne pèle-mêle une droite intégriste qui capte des ouvriers juifs dans le but de s’offrir une caution morale. Les querelles idéologiques vont bon train entre les bundistes et les Poalé Tsion. Les bundistes placent leurs espérances dans la révolution russe supposée en finir avec l’antisémitisme et donner aux Juifs la possibilité d’affirmer leur spécificité. Il n’en reste pas moins que bundistes et sionistes constituent les deux aspects d’une même conscience nationale. Mais les années passant, le fossé entre les uns et les autres ira en s’élargissant.
Olivier Ypsilantis
Merci, Olivier, pour ces utiles rappels — et inédits — historiques.