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En lisant la confession de Rudolf Höss, commandant du KZ Auschwitz – 2/4

Margarete Buber-Neumann qui a connu les camps nazis et les camps soviétiques est l’auteur d’un extraordinaires livre de souvenirs, ‟Milena”, du nom de l’amie de Franz Kafka, Milena Jesenska, chrétienne de la haute bourgeoisie praguoise, morte au camp de Ravensbrück. Dans ce livre, l’auteur évoque les Témoins de Jehovah sans grande sympathie. Le témoignage de Rudolph Höss à leur sujet est hallucinant. Je n’avais encore rien lu de tel sur ces ‟sectateurs de la Bible” qui recherchaient le martyre et qui, lorsque leur condamnation à mort était prononcée, manifestaient leur joie avec force gestes et se précipitaient vers les poteaux d’exécution. Rudolph Höss écrit : ‟C’est ainsi que je me représentais les premiers martyrs du christianisme, debout dans l’arène en attendant d’être dévorés par les bêtes fauves. Avec une expression de joie extatique, les yeux levés vers le ciel, les mains jointes pour la prière, ces hommes accueillirent la mort. Tous ceux qui avaient assisté à l’exécution — même les soldats du peloton — étaient profondément émus.” On sait que les Témoins de Jehovah étaient internés pour leur antimilitarisme radical. Heinrich Himmler et Theodor Eicke considéraient que leur prosélytisme pacifiste était un danger mais aussi que leur foi inébranlable et le sacrifice de l’individu au profit de la cause pouvaient servir de modèle aux SS.

 

Badges de prisonniersLes signes de reconnaissance utilisés dans les Konzentrationslagern

 

Il est assez longuement question des homosexuels qu’il classe par catégories. Une fois encore, certains passages de ces confessions donnent au lecteur l’impression de rêver. Où suis-je ? Les homosexuels devaient être rééduqués avant de passer un examen. Rudolph Höss rapporte ce qui suit : ‟En 1944, le Reichsführer (Heinrich Himmler) organisa à Ravensbrück (le camp des femmes) des « stages de guérison ». Un certain nombre d’homosexuels qui n’avaient pas donné de preuves définitives de leur renonciation au vice furent appelés à travailler avec des filles et soumis à une observation très stricte. On avait donné aux filles l’ordre de se rapprocher, sans en avoir l’air, de ces hommes et d’exercer sur eux leurs charmes sexuels. Ceux qui s’étaient vraiment améliorés profitèrent de l’occasion sans se faire prier ; quant aux incurables, ils ne gratifiaient pas les femmes d’un seul regard. Si celles-ci se montraient trop provocantes, ils s’en détournaient avec dégoût et horreur. Après les avoir soumis à cette épreuve, on procéda à une sélection de ceux qui paraissaient mériter la libération. Mais, à titre de vérification, on fournit à ces derniers une nouvelle occasion d’entrer en rapport avec des êtres du même sexe. Presque tous la dédaignèrent et se refusèrent farouchement à céder aux provocations de vrais invertis. Mais il y eut aussi des cas limites, des hommes qui voulaient profiter des deux possibilités : on pourrait peut-être les désigner comme « ambivalents ».” Lorsqu’on s’attache à la réalité la plus nue, on peut dédaigner la fiction la plus folle qui paraît alors bien fade. Par ailleurs, au sein du pire, il arrive qu’on soit pris d’une irrépressible envie de rire.

 

A  Auschwitz.

Rudolph Höss est nommé commandant d’Auschwitz, le 4 mai 1940, à une époque où tout reste à faire. Dans ce chapitre, il donne de précieux renseignements sur les premiers temps d’un camp appelé à devenir un gigantesque complexe. Auschwitz n’est qu’une caserne à l’abandon lorsque Rudolph Höss en est nommé commandant. Comme il le fait remarquer, il est plus facile de construire du neuf que de réhabiliter de l’ancien. Les autorités ne cessent de le presser pour que le camp ouvre ses portes dans les plus brefs délais. Il ne se ménage pas, se lève tôt et se couche tard. Il manque de moyens et ses collaborateurs ne lui donnent pas satisfaction. Il écrit : ‟Mais, pour obtenir des internés un travail efficace, il était indispensable de les traiter mieux qu’il n’était d’usage dans les autres camps de concentration. Je nourrissais l’espoir que je parviendrais à leur assurer un meilleur gîte et une meilleure nourriture : tous les défauts d’organisation que j’avais pu constater ailleurs devaient être éliminés. Si j’y parvenais, je serais en mesure d’exiger des internés une participation volontaire à mon travail de reconstruction, et un rendement maximum.” On sait que l’aménagement d’Auschwitz a été effectué pour l’essentiel par des déportés en majorité allemands transférés de Sachsenhausen. Ils occuperont des postes à responsabilité parmi les déportés.

Rudolf Höss se démène. Il est partout, ainsi qu’il le dit à plusieurs reprises. Son intendant est un propre à rien. C’est donc lui, le commandant, qui part en virée pour négocier le ravitaillement de la troupe et des internés mais aussi les marmites, les lits, les paillasses et la paille, l’essence, etc. Et on le presse toujours d’ouvrir son camp le plus vite possible. Il a les plus grandes difficultés à trouver du fil de fer barbelé sans lequel un lager n’est pas un lager. Il en chaparde alors un peu partout.

Fin novembre 1940, Heinrich Himmler lui ordonne d’augmenter la superficie du camp. Rudolf Höss surmené est effrayé par l’ampleur de la tâche ; cependant “obsédé par mon travail, je ne voulais pas me laisser abattre par les difficultés : j’étais trop ambitieux pour cela. Chaque nouvel obstacle ne faisait que stimuler mon zèle.”

 

Auschwitz en pleine activité.

Mars 1941, Heinrich Himmler visite Auschwitz et donne de nouvelles directives qui laissent présager ce que va devenir le camp : le plus grand des camps nazis, destiné à servir les besoins de la guerre, un camp où chaque prisonnier devra être un ouvrier de l’armement. Rudolf Höss écrit : ‟J’étais appelé à faire surgir du néant, dans les délais les plus brefs, quelque chose d’immense, de colossal.” Et une fois encore, il se plaint de l’incompétence de ceux qui sont censés l’aider, ceux-là qui avaient été formés à l’école de Theodor Eicke : ‟La méthode Eicke convenait mieux à leurs cerveaux obtus, il n’y avait aucun moyen de leur faire oublier ses enseignements.”

Suivent plusieurs chapitres sur les différentes catégories de détenus, à Auschwitz, soit : les Polonais, les Russes, les Tziganes, les Juifs et les femmes.

Concernant les Tziganes, Rudolf Höss précise que le Reichsführer voulait expressément assurer la conservation des deux tribus les plus importantes qu’il considérait comme des descendants directs de la race indo-européenne primitive dont ils avaient conservé les us et coutumes. Les ‟Tziganes purs” (membres des deux tribus principales) devaient s’établir dans le district d’Oldenburg, sur les bords du lac Neusiedl (Neusiedler See). En 1942, l’ordre fut donné d’arrêter dans le Reich tous les Tziganes, y compris les métis, et de les expédier vers Auschwitz, sans distinction d’âge ou de sexe, où ils resteraient pour la durée de la guerre dans un ‟camp familial”. Mais les moyens faisaient défaut., En juillet 1942, suite à une inspection de Heinrich Himmler qui est épouvanté par l’état du camp, l’ordre  fut donné d’en liquider les occupants, à l’exception de ceux qui avaient la force de travailler. Rudolf Höss qui se laisse volontiers aller au sentimentalisme confesse que les Tziganes sont ses détenus préférés. Il apprécie leur côté enfant, leur naïveté, etc.

Lorsqu’il est question des Juifs, le ton change. On saute à pieds joints dans la mentalité nazie. Rudolf Höss commence par prendre ses distances vis-à-vis de l’hebdomadaire ‟Der Stürmer” qu’il juge trop vulgaire et pornographique, une appréciation fréquente chez les SS qui lui préféraient le ‟Völkischer Beobachter”. Rudolf Höss a cette remarque très nazie, honnête à sa manière : ‟Ce journal a fait beaucoup de mal sans rendre le moindre service à l’antisémitisme sérieux.” L’antisémitisme sérieux… Il poursuit : ‟Je n’ai pas été étonné d’apprendre, après la débâcle, que c’était un Juif qui dirigeait le journal et écrivait les articles les plus violents.” La boucle est bouclée : c’étaient des Juifs qui activaient la machine qui les exterminait. Cette plongée dans la mentalité nazie fait de ce document un témoignage essentiel. Le commandant d’Auschwitz ne se sent pas responsable, il obéissait aux ordres ; par ailleurs, il ne faisait qu’observer les Juifs se liquider entre eux… Il n’y était vraiment pour rien… ll est vrai que les procédures de tuerie gommaient tout sentiment de culpabilité. Enfin, Rudolf Höss se défend de tout antisémitisme vulgaire car il est entendu qu’il y a un antisémitisme distingué, sérieux ! Il écrit que ‟les Juifs réagissaient contre cette campagne (celle de ‟Der Stürmer”) en appliquant des méthodes typiquement juives : ils soudoyaient les autres détenus.” Soudoyer serait une méthode typiquement juive… Ah bon !? Il poursuit en laissant sous-entendre que les Juifs ‟avaient à souffrir surtout des chefs de chambrées et des contremaîtres qui étaient pourtant leurs propres coreligionnaires.” Pour illustrer ses propos, il cite un Blockälteste, un certain Eschen, qui ‟ne reculait devant aucune méchanceté ni devant aucune pression psychique pour torturer les autres détenus.” Rudolf Höss reste un nazi convaincu, il ne s’en cache pas, son ‟honnêteté” est précieuse : l’idéologie nazie est mise à nue, ingénument pourrait-on dire. A la lecture de ces pages, on comprend que le ‟génie” du nazisme, cette idéologie bureaucratique, aura consisté à déresponsabiliser les responsables. Rudolf Höss déclare n’avoir jamais éprouvé de haine envers les Juifs mais il fallait bien trouver une solution à la question juive… 

(à suivre)

Olivier Ypsilantis 

 

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