Dans des entretiens Alain Finkielkraut / Peter Sloterdijk (réunis sous le titre ‟Les battements du monde”), j’ai relevé cette extraordinaire remarque, à savoir que l’on doit aux Grecs le concept de cité ; aux Romains le concept d’Empire ; aux Juifs l’art d’être un peuple — un art magnifiquement traduit par Jabotinsky. Les attaques dirigées contre les Juifs en général et Israël en particulier visent précisément à nier cet art d’être un peuple. Ce n’est pas un hasard : ceux qui veulent en finir avec Israël ne peuvent espérer atteindre leur but sans commencer par s’en prendre à cette notion de peuple — le peuple juif.
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Ayaan Hirsi Ali (née à Mogadiscio, en 1969)
Ecoutez ce magistral discours d’une femme courageuse, intelligente et belle, ‟Is Islam a Religion of Peace ?” (durée environ 1h46). S’en suit un débat où intervient notamment Douglas Kear Murray :
http://www.youtube.com/watch?v=TFvklPpGZtA
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L’histoire des Juifs, c’est aussi l’histoire du monde ; je ne sais comment dire autrement. L’histoire des Juifs est une histoire très singulière et pourtant universelle. A ce propos, il me semble que c’est précisément cette singularité qui lui confère l’universalité.
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Plus j’étudie le judaïsme plus il m’apparaît comme une «école de pensée» plutôt qu’une religion : le judaïsme est exempt de tout dogme, hormis le concept d’unité et d’unicité de Dieu — mais est-ce seulement un dogme ? Il me semble par ailleurs qu’aucun des trois grands monothéismes n’insistent à ce point sur l’éthique, «l’éthique scientifique», c’est-à-dire fondée sur la connaissance. Certes, tout au long de son immense histoire, le judaïsme a connu des périodes au cours desquelles le formalisme l’a recouvert mais sans jamais avoir raison de lui. Au fond, les Juifs m’aident à me défaire de tout un fatras imposé par les pouvoirs religieux. Ils m’aident à caréner ma coque, c’est-à-dire à la nettoyer pour une meilleure navigation.
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J’en reviens au judaïsme, le plus éthique des monothéismes, le plus éthique car le plus rationnel. Maurice-Ruben Hayoun écrit : ‟Le judaïsme a en plus de sa nature religieuse, une vocation spirituelle qui lui permet de développer une philosophie rationnelle.” La lecture de Hermann Cohen (1842-1918) m’a confirmé dans cette intuition. Le message juif ne heurte jamais la raison, c’est pourquoi il fait coïncider le fait éthique et le fait religieux. On peut critiquer Hermann Cohen, avec cette volonté inflexible de célébrer les noces de la judéité et de la germanité, il n’empêche qu’il a écrit des pages magnifiques sur le poids de la raison au sein du judaïsme — cette ‟école de pensée”, une fois encore.
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The Rt Rev Kenneth B. Cragg (1913-2012)
En compulsant un livre très dense intitulé ‟Palestine” et sous-titré ‟The Prize and Price of Zion”, je lis cette remarque du prolifique prêtre anglican, Kenneth B. Cragg : ‟There have been leaders of contemporary Israel, like David Ben Gurion, prepared to welcome this explanation of Jews not as a «chosen» but as a «choosing» people who, so to speak, created their own legend.” Kenneth B. Cragg ne se rend probablement pas compte qu’il se mord la queue tout en enfonçant une porte ouverte. Les Juifs ne se sont jamais présentés comme de simples machines à enregistrer passivement les paroles de Yahweh. La Bible n’est pas le Coran. Là où le Musulman voit dégringoler sur son dos un livre supposé avoir été dicté mot à mot par Allah, le Juif est confronté à un livre libre où Yahweh s’inscrit en filigrane et, si je puis dire, joue à cache-cache. C’est aussi pourquoi on prie debout chez les Juifs, on ne se prosterne pas. Dans le judaïsme, on ne trouve pas cette passivité du sujet envers le Tout-Puissant, ce qui explique en partie la créativité juive. Des foules prosternées, le front contre terre et le cul dressé, n’annoncent rien de bon, tant pour elles-mêmes que pour les autres. Ce sont des foules malheureuses. Mais j’en reviens au propos de Kenneth B. Cragg. Ne serait-ce pas précisément parce que les Juifs se sont choisis (choosing people) qu’ils ont été choisis (chosen people) ? C’est le principe de la liberté en action, un principe que le peuple juif s’est efforcé de promouvoir, à ses risques et périls. Bien des choses m’irritent dans ce livre écrit par un chrétien (anglican en l’occurrence), très porté au copinage avec l’islam (comme j’y pu le vérifier) et qui s’efforce de cacher son irritation envers les Juifs sous une couche d’érudition, sous un amoncellement de références et de sous-entendus.
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Arnold Lagémi écrit dans un article intitulé ‟La République laïque ou la passion de l’inutile !” : ‟Si le Judaïsme est d’abord une école de pensée, il englobe nécessairement une relation particulière implicite avec le divin. Mais s’il devient essentiellement ‟religieux”, il s’éloigne de ce qui le nourrit et le définit, parce qu’il s’appauvrit. La ‟religion juive” se réduirait ainsi à un sentiment et, dans ce cas, se confondrait avec n’importe quel autre sentiment religieux.” En la circonstance, Arnold Lagémi exprime clairement ce que j’éprouve confusément. Certes, le judaïsme a eu lui aussi à souffrir du formalisme au cours de sa longue histoire ; mais ce formalisme n’a jamais eu raison de lui car le judaïsme n’est pas dogmatique : il n’y a pas de dogme juif. Au cours de certaines périodes, les communautés juives durent se mettre en position de survie, se recroqueviller sur elles-mêmes pour espérer ne pas périr, intellectuellement, spirituellement et physiquement. Rétrospectivement, on peut juger en toute sérénité que ce repli et le formalisme qu’il a suscité étaient nécessaires afin de préserver les battements de la vie sous une enveloppe durcie.
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Ce ‟soupçon” de Freud selon lequel Moïse était un Égyptien de haute lignée qui a prolongé parmi les Juifs l’expérience de Tell-el-Amarna, soit le monothéisme d’Akhenaton. Les Juifs post-mosaïques comme collectif hétéro-égyptien en dépit de la conception anti-égyptienne qu’ils avaient d’eux-mêmes. A étudier.
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Le judaïsme et le christianisme sont irréconciliables, ce qui ne signifie en rien que le dialogue soit impossible. Bien au contraire : c’est précisément cette conscience aiguë d’une différence radicale qui invite au dialogue et l’active, lui donne énergie et pureté — aussi longtemps que les Chrétiens ne s’emploient pas à vouloir convertir les Juifs. Seule la claire conscience de cette différence radicale peut instaurer et activer un dialogue fécond. Il faut commencer par être ‟intolérant” — par pointer ce qui nous sépare — avant d’espérer dialoguer sans faux-fuyant et en toute sérénité.
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La tolérance à laquelle ne cessent de nous inviter les pouvoirs laïco-socialistes n’est qu’une invitation au sommeil, à l’engourdissement. C’est le royaume bisounours du socialisme petit-bourgeois. Pouah ! On cache son manque de courage intellectuel, sa paresse et son désir de préserver son confort sous le grand mot de tolérance et autres mots fourre-tout. Beurk !
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Du cœur du judaïsme procèdent le christianisme et l’islam. Paul de Tarse va précipiter l’une des plus formidables fractures de l’histoire de l’humanité. Il peut être considéré comme l’idéologue le plus imposant de tous les temps. Il a observé les Juifs du Moyen-Orient et il a compris qu’il pouvait utiliser certains de leurs concepts en les retournant pour conquérir le monde romain qui représentait alors, selon la conception de l’époque, le monde entier. A ce propos, Peter Sloterdijk écrit : ‟une bonne raison pour que Paul soit resté jusqu’à ce jour une idole pour les amateurs du militantisme abstrait : il incarne en quelque sorte à la fois le premier puritain, le premier jacobin et le premier léniniste”. Paul de Tarse est l’auteur d’un véritable coup de force contre le peuple de l’Alliance. J’ai souligné ce fait à plusieurs reprises et à chaque fois on m’a renvoyé dans mes buts en me faisant savoir que je retardais, que l’Église avait dépassé cette problématique et qu’en conséquence il me fallait oublier cette ‟vieille histoire”. Lorsque j’ai demandé à mes interlocuteurs de préciser leur pensée, certains se sont enfermés dans le sophisme tandis que d’autres m’invitaient à m’adresser à plus compétents qu’eux… J’ai mieux à faire que de chercher à blesser la sensibilité religieuse des uns et des autres mais je refuse de taire ce qui me préoccupe et je refuse la langue de bois. Paul de Tarse a donc fait glisser l’alliance avec le Dieu d’Israël — le premier peuple de l’Alliance — vers un nouveau peuple, l’ecclesia ou le Nouvel Israël. Or, je repousse catégoriquement ce concept de Nouvel Israël, ce qui signifie nullement que je juge malvenu le message chrétien. Plus précisément, je juge d’abord les Chrétiens (et les Musulmans) au regard qu’ils portent sur le peuple juif.
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Chercher à convertir les Juifs est une bêtise. Car, enfin, ainsi que le remarquait Hermann Cohen qui espérait pourtant les noces de la judéité et de la germanité, à quoi bon chercher à convertir les Juifs alors que le monde chrétien lui doit tout ? Le jour où le monde chrétien considérera Israël avec un intérêt parfaitement désintéressé (absence de prosélytisme), le monde commencera à aller un petit peu mieux.
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Ils m’amusent ces sionistes, ardents défenseurs d’Israël, mais qui ont tout de même en tête de convertir les Juifs. Ils me font penser à ces hôtes qui entourent de prévenances leurs invités, leur servent les meilleurs plats et les meilleures boissons pour mieux leur présenter… la facture. Je comprends que les Juifs se méfient d’eux.
Olivier Ypsilantis
Coup de gueule salutaire cher Olivier. Mais si dense…Combien de questions dans ton texte qui mériteraient de longues très longues conversations.
J’ai appris récemment un autre concept que je ne connaissais pas en écoutant un Rabbin invité à l’émission de Marc Alain Ouaknin sur France culture “Talmudiques”.
Ce Rabbin du XVè arrondissement de Paris est le chantre du dialogue entre chrétiens et juifs. Très bien…Jusque là…tout va bien me dis-je !
Or, mû sans doute par une posture très chrétienne, voilà que notre Rabbin explique qu’il a dans son combat une “lecture très chrétienne du Talmud et une lecture Talmudique des évangiles” ! Tout un programme.
Or, peu avant, j’appris que le grand “shisme” qui a conduit le christianisme à un dévoiement spectaculaire à l’endroit du “père” juif, trouve ses racines dans le “mépris” ou plus exactement dans le désintérêt que les juifs de l’époque de Jésus ont manifesté à l’endroit des chrétiens.
Baste ! Tu parles d’une affaire me dis-je…Sauf que…
Sauf que les deux monothéismes qui suivront le judaïsme auront PRECISEMENT la même attitude vis à vis de son aîné parce que celui-ci n’aura pas voulu voir malice et n’ont pas pris l’épée pour défendre le “seul, l’unique monothéisme”.
En un sens, on pourrait presque affirmer que le fait même de ne pas avoir mieux défendu (c’est à dire par le sang) le judaïsme fut cause des malheurs des juifs.
En gros, pour les avoir “snober”, le christianisme et l’islam se sont vengés. Pire encore, les juifs ont snober et laisser faire…Voilà le principal reproche !
Alors qu’il existait quelque chose d’unificateur, les juifs se sont contentés de garder LEUR foi sans intercéder dans celles de nouveaux croyants.
Ils leur reprochent ni plus ni moins de les avoir laisser faire…Putain de liberté me dis-je !
Bien sûr, n’importe quel clampin pourrait me rétorquer : “euh…ils n’avaient pas vraiment le choix vu l’état de leurs troupes, les Romains aux basques, etc…etc…”
Clampin auquel je répondrais : “Certes, mais les armes pour croire, cela faisait déjà un bail que les juifs ne les utilisaient plus !”.
Même plus tard, les cendres encore chaudes des cadavres qui recouvraient la ville de David, les juifs n’ont pas eu envie de faire croire qu’ils détenaient la vérité ou au moins UNE vérité.
Sans doute parce que l’école de pensée est plus active, plus intéressante, plus vivace que tous les dogmes de la terre qui n’apportent que déception, absence de liberté et de progrès.
Cette exclusion massive a fait de notre peuple une véritable nation sans frontières.
Le retour en Israel est fort de cette capacité de tous ces juifs venant du monde entier à apporter leurs témoignages, leurs idées, leurs cultures, leurs histoires. UN VRAI REVE !
Merci pour ton incroyable talent. Merci d’enfin me donner à chaque fois plus de raisons de croire que l’humanité a de fervents combattants au dialogue sans fausseté.
Article lumineux et quelles formules choc! Si nous vous aidons à caréner votre coque, c’est déjà parce que vous aviez fait les premiers pas vers le monde de l’échange d’idées. La plupart des gens ne sortent jamais de la boite comme on dit en hébreu car pour échanger des idées, il faut déjà en avoir! On raconte qu’un jour, Heinrich Heine avait dit en sortant de chez les Rothschild “Nous avons échangé des idées et depuis, j’ai la tête vide, mais vide..” Vous lire, bavarder avec vous, ne pourra que nous enrichir.
@ Nina
Bonjour Nina, heureuse de te lire!
Shabbat Shalom