14 août. De 6h30 au lever du drapeau, à 8h30, en compagnie de Kevin Andrews. Ainsi, avant de commencer la journée dans le Néguev, je voyage en Grèce. Le chapitre 2, ‟The Half-Way House” riche en informations historiques invite à une réflexion prolongée sur une période de l’histoire souvent négligée, la guerre civile grecque.
Rangement d’entrepôts et déchargement de camions-bennes remplis de déchets en tout genre (sauf alimentaires). On s’affaire : une inspection doit avoir lieu dans les prochains jours. Je fais équipe avec M. dont j’apprécie toujours plus l’érudition. Sa connaissance de la littérature russe est étonnante : à un sérieux académique il allie des appréciations qui ne manquent pas de férocité. Malgré sa timidité, il aurait fait un excellent professeur d’université. L’originalité de ses propos aurait été un puissant stimulant pour les étudiants, y compris les plus endormis.
15 août. Tel Aviv. Independence Hall Museum (16, Rothschild blvd.). C’est dans la maison de Meir Dizengoff que fut proclamée l’Indépendance de l’État d’Israël, le 14 mai 1948. Ci-joint, le lien officiel de ce musée : http://eng.ihi.org.il/
La connaissance d’un pays par le simple tourisme conduit généralement à peu de chose, et aujourd’hui plus que jamais. A l’heure du tourisme de masse, l’individu a de moins en moins la possibilité de voyager — il ne fait généralement que se déplacer. Une expérience comme celle que j’ai choisi de vivre — loin de l’industrie du tourisme — m’aide à accéder aux coulisses, en quelque sorte. L’IDF rend perceptible l’extraordinaire densité (variété) humaine d’Israël, un pays dont la superficie n’excède pas celle de deux départements français.
Le soir, en compagnie de Kevin Andrews. L’EAM et l’ELAS. Le British Expeditionary Force et son entrée en Grèce le 15 octobre 1944. ‟The (Greek) Resistance was ordered to subordinate itself to a government of politicians who had sat out the war in Cairo under foreign supervision and were now brought back as the legitimate authority over a shattered land and a people they had lost touch with.” Me procurer le livre du colonel Christopher Montague Woodhouse, ‟Apple of Discord: A Survey of Recent Greek Politics in their International Setting”. Trouver une biographie sur Georgios Grivas (1898-1974)
Kevin Andrews sur l’Acro-Corinthe, en 1950.
16 août. Flânerie dans Jérusalem. J’ai prié les mains en appui contre le Mur des Lamentations et j’y ai glissé deux bouts de papier soigneusement repliés. Feuilleté des écrits du Rav Yaakov Adès aux Éditions Torah-Box (diffusion du judaïsme aux francophones) dont ‟Comment éclairer son âme ?” Le chapitre 6, ‟La Mitsva du Chabbath”, m’a particulièrement intéressé. Le Shabbath ou la lumière spirituelle ‟réparée”. Aux Éditions Torah-Box, collection ‟Lois et Récits” concernant les fêtes juives. Les titres : ‟Roch Hachana & Yom Kippour”, ‟Souccot”, ‟Hanouka”, ‟Pourim”, ‟Pessah”, Chavouot” et ‟Chabbath” (en deux volumes). J’ai feuilleté le volume concernant ‟Souccot”. Il fourmille d’indications, notamment sur la construction de la Soucca. On peut lire par exemple : ‟Une Soucca faite en dessous des cordes à linge est ‟cachère”, même si du linge y est accroché” ou ‟On peut attacher le skakh avec du fil de fer ou de nylon, ou même des liens de plastique, afin d’empêcher le skakh de s’envoler. Cependant, celui qui est rigoureux, et n’utilise que du fil de lin ou de palmier, est digne de louanges.” Tous ces détails sont savoureux pour qui le veut.
17 août. On annonce des violences en Égypte, avec des centaines de tués. L’armée est autorisée à tirer à balles réelles. Dire qu’ils ont été si nombreux à croire au ‟Printemps arabe” ! Les masses auraient-elles plaisir à être trompées ? J’ai d’emblée su quelle direction allaient prendre les ‟Printemps arabes”, une expression concoctée par des gogos ou par une sinistre propagande. A supposer qu’il advienne, le ‟Printemps arabe” ne verra le jour que dans de terribles souffrances, un déchirement jusqu’aux entrailles. En Europe, nous feignions de l’ignorer, par commodité, par paresse, parce que nos pratiques démagogiques liées pour l’essentiel au clientélisme politique nous conduisent à la cécité. Je ne suis animé d’aucune haine particulière, je rejette simplement ces discours officialisés, faits de lieux communs qui se donnent la main, qui manient les mots sans y penser et qui finissent par les défigurer. C’est le fourre-tout mental, la foire aux sentiments bon marché…
Dans l’autocar, des chansons d’Enrico Macias. Charlie, un Juif originaire d’Afrique du Nord, les reprend avec des trémolos dans la voix tout en battant la mesure. Je n’aurai jamais écouté aussi attentivement ce chanteur dont les paroles me plongent dans le ravissement alors que nous traversons Beer Sheva :
(Refrain)
Et l´on m´appelle l´oriental
Le brun au regard fatal
Et l´on m´appelle l´oriental
Car moi je suis sentimental
Et pourtant je ne fais pas de mal
On m´a surnommé l´oriental.
J’ai une pensée pour Thadée Diffre (Teddy Eytan), ce chrétien, officier supérieur du Palmach, libérateur de Beer Sheva, défenseur de la colline 113, à Tze’elim.
18 août. Retour au camp de Mishmar HaNeguev que je retrouve avec plaisir, je dois le dire. Ces travaux de rangement, de nettoyage et de manutention me reposent de moi-même ou, plus exactement, réajustent des parties de moi-même qui chacune tirait de son côté. Par ailleurs, l’uniforme israélien me permet d’être en accord avec moi-même, d’adhérer plus sûrement aux mots dont je fais usage et de crever résolument l’écran d’irréalité que tend l’information — la désinformation.
19 août. Le rythme s’accélère avec la prochaine inspection. Mouvements d’hommes et de véhicules. Nous remuons des caisses de chargeurs, des casques de différents types, des jerrycans, des treillis, des gourdes, des kits de premiers soins, des sacs de couchage, des gilets pare-balles, des sacoches, des outils divers, etc.
20 août. Remise d’un papier officiel avec cette formule : A… avec notre grande estime pour sa participation au travail de Volontariat en Israël. En bas du document, il est rappelé que le Sar-El (The National Project for Volunteers for Israel) a été fondé par le général Aharon Davidi.
Encore une journée d’intense activité pour cause d’inspection. Notre sous-officier est plus nerveux que jamais mais, lorsque nous avons fini les travaux qui nous ont été assignés, il se détend et avoue nous considérer comme des frères en serrant dans ses bras plusieurs d’entre nous. Je pense à cet engagement qui s’est imposé à moi, à l’engagement intellectuel qui a préparé l’engagement physique. Ils se répondent à présent et se fortifient mutuellement. L’action donne un poids à l’écrit et à la parole qui ne peuvent être laissés indéfiniment à eux-mêmes. Par ailleurs, j’ai pu prendre la mesure d’une authentique fraternité d’armes, chose que je n’avais pas eu l’occasion de noter au cours de mon service militaire dans l’armée française. Cette caractéristique de l’IDF a de multiples explications ; l’une d’elles tient à la relation particulière entre les gradés et les sans-grades.
Rangements à Mishmar HaNeguev. A l’arrière-plan, de vieux MAN de fabrication allemande.
21 août. L’antisionisme est un rata pour indigents. L’antisionisme est la forme la plus massive du conformisme.
Le sous-officier d’hier (d’origine marocaine) nous remercie encore. Il rie à présent avec nous. Il nous confie avoir un respect particulier pour les Volontaires plus âgés que lui, ‟question d’éducation” ajoute-t-il. Le plus âgé de notre groupe a quatre-vingts ans passés. Petit et mince, il déploie une activité soutenue. Si seulement nous pouvions être comme lui à pareil âge !
22 août. Le camp au petit-matin, vide après l’inspection. Dans le parking, sous ma fenêtre, plus un véhicule. 6h, les ombres longues sur la pelouse bien verte où nous nous allongions à la pause, à l’ombre de l’acacias. Dernier lever des couleurs, dernière Hatikvah et pincement au cœur.
Base de Mishmar HaNeguev, un hangar avec Mack DM-800, une puissance d’éléphant. A ce propos, les conducteurs de camions de la base portent l’éléphant en insigne.
Départ de Mishmar HaNeguev. Le colonel commandant de la base vient nous remercier chaleureusement au pied de l’autocar ce qui, me dit-on, n’est pas dans son habitude. Il espère nous revoir. Sur la Yitzhak Rabin Highway, en direction de Tel Aviv.
Promenade dans Jaffa. Yerushalayim blvd. puis Lamartine st. où je remarque une grande demeure symétrique aux proportions harmonieuses. Je devine des pièces spacieuses et lumineuses. Jaffa et ses arcs brisés un peu partout, tant d’époque ottomane que d’époques postérieures. Devant l’église Saint-Pierre construite par les Franciscains entre 1888 et 1894 sur les vestiges d’une forteresse édifiée sous le règne de Louis IX. C’est de Jaffa, nous dit la Bible, que le prophète Jonas a embarqué pour son voyage. Et ce rocher devant lequel je me tiens a pour nom ‟Rocher d’Andromède”. Andromède, la fille de Céphée et de Cassiopée, sauvée par Persée. Ne pas manquer la boulangerie Abouelafia, au 7 Yefet st., fondée en 1879. Après-midi de feu. L’asphalte colle aux semelles. Je trouve refuge dans un café frais comme un réfrigérateur pour y savourer ‟The Flight of Ikaros”, un livre qui me transporte dans le souvenir, avec des séquences d’une grande précision. Par exemple, je me souviens d’un tour du Péloponnèse en train, des secousses qui nous précipitaient sur les côtés, du vendeur qui passait et repassait dans l’allée centrale avec des bouquets de souvlakis serrés dans un papier graisseux. Je me souviens d’une nuit tiède passée sur le quai de la gare de Mycènes avant d’entreprendre au petit-matin la montée vers cette citée grecque qui a toujours eu ma préférence, avec son appareillage cyclopéen qui d’emblée m’évoqua le Machu Picchu, d’autant plus que l’espace dans lequel s’inscrit la citée mycénienne évoque celui dans lequel s’inscrit la citée péruvienne.
Je me laisse distraire par des chansons d’Amy Winehouse. Mon regard quitte les pages d’un livre qui m’invite à un voyage dans le voyage pour se porter sur les compositions que délimitent les baies vitrées du café. D’un côté, je vois la perspective de Yerushalayim blvd., avec ses beaux arbres ; de l’autre, je vois une perspective étroite, avec un désordre de fils électriques et un minaret. Retour au Beit Oded où je retrouve une ambiance chaleureuse et familiale.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis
Avez-vous vu le film : La colline 24 ne répond plus ?
Je dois avouer ma totale méconnaissance à ce sujet. Et je ne sais où visionner ce film de 1955. Chana tova, avec un peu de retard.
https://www.youtube.com/watch?v=Lvu8jw0oWA8
Ce film a été tiré d’une histoire de Zvi Kolitz, auteur du texte “Yossel Rakover s’adresse à Dieu.”
http://un-idiot-attentif.blogspot.co.il/2013/09/job-jeremie-yossel.html