Notes prises au cours d’un séjour, en Israël, sur un carnet A5 vert à spirale.
A ma fille Sarah qui a accepté de partager cette expérience avec moi. Aux Volontaires de Sar-El avec lesquels j’ai partagé des semaines de sueur et de bonne humeur. Aux soldats, sous-officiers et officiers de Tsahal avec lesquels j’ai partagé des heures fraternelles.
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3 août 2013. Paris – Tel Aviv, à bord d’un Boing 757-300 de la compagnie Arkia. Décollage 22h15. Par le hublot, le noir de la mer. Je somnole. Je me frotte les yeux. Des lumières là-bas. Je consulte ma montre. Israël est en vue. Je crois deviner le port de Tel Aviv et la rivière Yarkon. Ben Gurion International Airport. Hier, au cours d’une promenade Internet, j’ai appris qu’entre trois mille à cinq mille volontaires s’inscrivaient au Volontariat civil, soit une économie pour l’État d’Israël de 30 000 000 à 35 000 000 de NIS (New Israeli Shekels) par an.
4 août. Affecté à environ vingt-cinq kilomètres au sud-ouest de Bersheeva (‟la ville aux sept puits”, une hypothèse étymologique) et environ dix kilomètres de Gaza. Le camp a pour nom Tze’elim Base (un nom qu’explique la présence d’acacias). Il est situé à peu de distance du kibboutz du même nom fondé en 1947. La fraîcheur du petit-matin et les formes qui se précisent. L’espace ocre et des nuances du rouge au jaune. Au loin, des alignements de blindés, dont de nombreux M113. D’autres sont sous bâches et il faut écarquiller les yeux pour comprendre qu’il ne s’agit pas de simples levées de terre.
Une vue de Tze’elim Base. Nous sommes logés dans le bâtiment au fond à gauche. Au premier plan, un alignement de M113, un véhicule américain de transport de troupes très utilisé au Vietnam.
5 août. Les ombres se précisent, très longues. Le camp est encore silencieux. Pas même un chant d’oiseau. J’observe une colonne de fourmis ; certaines transportent des charges qui dépassent de beaucoup leur propre poids. L’horizon rose-roux se fait gris-bleu, je ne peux bientôt plus regarder le soleil.
Vérification, réparation et pliage de filets de camouflage (quelque 40 m2 chacun) puis peinture des parties métalliques d’outils (pelles, pioches, masses, etc.). L’air sec, une envie de boire presque permanente, de l’ocre et de la poussière partout. Des alignements de blindés, encore et encore. Derrière un hangar, un bruit de moteur me suggère une puissance formidable : un Merkava débouche dans des volutes de poussière. Je l’observe : il s’agit du dernier-né de la série, un Merkava Mark 4, soixante-cinq tonnes, mille cinq cents chevaux. L’air est régulièrement déchiré par des F-15 et des F-16.
Un Merkava Mark 4, Main Battle Tank (MBT) de l’IDF. Ci-joint, une brève présentation : http://www.youtube.com/watch?v=364Pma4rfOs
Cet immense ensemble dont je ne connais encore qu’une petite partie ressemble à un campement ; rien à voir avec les casernes d’Europe, à l’architecture soignée, avec cour d’appel et solides bâtiments placés en symétrie. Ici, pas de décorum. Le salut aux couleurs se fait sans la moindre mise en scène : pas d’ordres braillés, pas de gestes rigides, saccadés, pas de garde-à-vous statufiés. Au milieu de la place d’appel, je remarque une assiette oubliée avec des olives et des spaghettis… Je ne puis retenir un sourire en pensant à la cour d’appel du 1er RI, à Sarrebourg, où la moindre feuille morte oubliée pouvait causer des tracasseries…
6 août. Vent sec. Pliage de bâches de Merkava. Il faut s’y mettre à quatre voire plus tant elles pèsent. Puis préparation d’un GCT de 155 mm : casques, gilets pare-balles, obus, sacs de couchage, etc. Un jeune soldat d’origine géorgienne me remercie chaleureusement d’être venu aider l’IDF (Israel Defense Force) ; il m’offre un verre d’eau fraîche. Je travaille avec M., un volontaire d’origine ukrainienne, la cinquantaine. Je l’observe. Je lui trouve un air pirate des Caraïbes. Il me semble a priori peu communicatif et je suis pourtant certain qu’il a beaucoup de choses à raconter. Deux Bédouins de l’armée nous aident. Ci-joint, un lien qui rend compte de l’engagement de certains Bédouins aux côtés d’Israël et de l’animosité d’autres Bédouins envers ce pays :
http://unitedwithisrael.org/israeli-bedouin-diverse-views-about-their-country/
7 août. Destruction de documents entreposés en vrac dans une vielle construction en préfabriqué. Chaleur, poussière, partout des fientes de pigeons séchées répandent une odeur douceâtre, écœurante. Avec trois soldats (deux Russes et un Caucasien d’Azerbaïdjan) travaillent trois volontaires de Sar-El et deux civils éthiopiens qu’il est préférable de désigner comme Beta Israel — de la ‟maison d’Israël” — plutôt que Falashas. Ces deux Beta Israel contrôlent le fonctionnement d’un camion flambant neuf qui déchiquette les documents que nous leur apportons par containers. Nos uniformes sont trempés de sueur dans cette étuve mais il suffit de sortir et de se placer à l’ombre pour qu’un vent frais ait tôt fait de les sécher. Le soldat qui nous conduit au réfectoire est un Juif de Bombay.
Au réfectoire, officiers, sous-officiers et simples soldats, hommes et femmes, tous partagent la même nourriture. Pas de mess des officiers ou de mess des sous-officiers. Les grades ne sont pas placés sur la poitrine comme dans l’armée française ; il faut regarder les épaulettes et attentivement car ces grades ne brillent pas. Outre l’excellence technologique, c’est aussi ce mode de vie au sein des unités de l’IDF qui en fait l’une des meilleures armées du monde. Nourriture saine. Beaucoup de légumes frais (essentiellement tomates et concombres) et de laitages : cottage cheese et un fromage blanc digne de celui que je dégustais à Athènes dans le vieux café néo-classique, à l’angle de la place Omonia. L’alimentation suit les règles strictes de la Cacherout.
8 août. Manutention dans une armurerie. Râteliers d’armes à déplacer pour inventaire. Chaleur. Graisse des armes. J’éprouve pour la première fois une grande fatigue que je m’efforce d’oublier car je crois en ce que je fais, irrémédiablement. Chacun de mes gestes a un sens.
Départ en autobus vers le Beit Oded, entre Jaffa et Tel Aviv, soit environ deux heures de route qui me permettront d’observer les réalisations de l’agriculture israélienne. Les Israéliens ont su faire du désert un verger et le rêve de David Ben Gourion se fait peu à peu réalité : de vastes projets de peuplement du Néguev commencent à prendre forme. Beer Sheva compte aujourd’hui environ 250 000 habitants ; le dynamisme de la capitale du Néguev saute aux yeux.
Tel Aviv. Marche le long du front de mer où je m’étais promené un hiver, alors que le vent soufflait et que les averses se succédaient, obliques. Soudain, je souris en apercevant la mosquée que domine l’énorme Intercontinental David. J’y vois un signe, une fois encore. Je m’installe dans un café, sous un appareil à air conditionné. Devant un capuchino, je poursuis la lecture du beau livre de Kevin Andrews, ‟The Flight of Ikaros”, un voyage dans la Grèce des années 1947-1951, une Grèce en pleine guerre civile. Avec la fatigue, la langue anglaise prend un relief extraordinaire ; les mots, les expressions et la syntaxe agissent sur moi comme comme une drogue. ‟A scum of foam and bubbles already floated in the pit. Sounds began again — goat bells, donkeys braying, somewhere a single note from a belfry — and mingled with our clamour as we brought the juice up out of the pit with gourds and petrol-cans, and poured it into the goatskins and tied them tight at the neck-hole. Their stumpy protuberances bulged back into shape, and they lolled all over each other in the field as if they were half-alive again, and we hoisted them up on to the donkey-saddles, three of us to every wineskin.”
Tel Aviv, La mosquée d’Hassan Bek et l’hôtel David Intercontinental.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis
Passionnant début!
Juste une petite rectification: bien que le mot Beer signifie puits et le mot sheva 7, le nom de la ville de Beer Sheva signifie le puits du serment et non pas le puits des 7. Le mot Sheva vient de la racine Shin, Beit et Ayin (שבע) qui veut dire aussi jurer, faire serment! Il s’agit d’un serment passé entre Avimelekh et Abraham au bord (et au sujet) d’un puits dont les serviteurs d’Avimelekh s’étaient emparés de force. Ce qui manque de courtoisie dans un désert. Tout cela est consigné dans le livre de la Genèse (21, 22 à 32)
Kol hakavod pour ce volontariat et merci pour cet article
Amicalement