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Trois jours madrilènes (23-24-25 juin 2013) – 2/2

Et toujours ces souffles frais sur Madrid, des souffles qui aident le marcheur. Rue San Mateo, une belle demeure de style néo-classique construite en 1776 sous la direction de l’architecte Manuel Rodríguez, le Museo del Romanticismo. En y pénétrant, j’ai d’emblée pensé à Robert Adam, avec cette rigueur des volumes et cette fraîcheur des tonalités. Goût exquis partout. La reine Isabel II occupe une place d’honneur avec notamment ce tableau de grandes dimensions de Charles Porion, ‟Isabel II dirigiendo una revista militar” (1867). Un grand portrait équestre du général Prim, œuvre d’Antonio María Esquivel. Des scènes costumbristas avec bandoleros, contrabandistas, majos, et, bien sûr, toreros et picadores. De nombreuses figurines en terre cuite polychrome représentent des tipos populares andaluces y levantinos. La salle à manger bleu pâle avec, au plafond, en frise, les armes des provinces d’Espagne. Plus que jamais, je pense ‟Robert Adam”, avec cette élégance et cette simplicité. Mais l’élégance, la vraie, est nécessairement simplicité ; et les complications la tuent. Dans la chapelle privée, un Goya, ‟San Gregorio Magno, Papa”. Goya comme précurseur du Romantisme en Espagne. Ce musée nous parle d’un art de vivre bourgeois où la présence de la femme s’affirme et où les enfants sont considérés comme tels. C’est un hommage à la vie de famille, à l’individualisme bourgeois. Privacy et cosiness. La femme et son écritoire. A ce propos, est-ce un hasard si dans la littérature anglaise la femme est la mieux représentée en tant qu’auteur ? L’Angleterre, pays par excellence de la bourgeoisie. Dans une pièce, en bonne place, le beau portrait de Gustavo Adolfo Bécquer par Valeríano Domínguez Bécquer qui, avec les compositions de petites dimensions de Leonardo Alenza à la touche parfaitement libre, sont les meilleures peintures de tout ce musée. La plupart des tableaux présentés ont un intérêt documentaire plutôt qu’artistique ; certains sont même franchement empotés.

Musée du Romantisme à Madrid

Salle à manger du Museo del Romanticismo, à Madrid

 

Ce musée est d’autant plus intéressant qu’en Espagne le Romantisme ne s’est jamais déployé comme en Allemagne, en France ou en Angleterre. Le Romantisme espagnol s’est élaboré dans l’exil, au début du XIXe siècle, avec les ilustrados (ou ‟afrancesados”)  à partir de 1813 ; et, une décade plus tard, avec les liberales. Des critiques comme Juan Nicolás Böhl de Faber ou Agustín Durán ont affirmé que l’Espagne avait toujours été un pays romantique et que ses grands écrivains du Baroque étaient déjà des romantiques, une vision à l’emporte-pièce. Le prologue d’Antonio Alcalá Galiano au poème d’Ángel de Saavedra y Ramírez de Baquedano, 3ème duc de Rivas, ‟El moro expósito”, peut être considéré comme le manifeste du Romantisme espagnol. Ce prologue repousse les assertions des deux critiques ci-dessus nommés. Ce prologue passa inaperçu alors que son auteur espérait réveiller les consciences. Alcalá Galiano était convaincu que le Romantisme anglais allait vivifier les lettres espagnoles ; il le voyait comme un grand souffle d’air frais dans une demeure mal aérée. Le Romantisme espagnol s’est épanoui au cours de la décade libérale (1834-1844) et c’est dans le théâtre qu’il faut chercher le meilleur de sa production. Mais comment oublier Mariano José de Larra (1809-1837), le suicidé dont les préoccupations annoncent celles de la Generación del 98 ? Et comment oublier Gustavo Adolfo Bécquer, les ‟Rimas”, ‟Leyendas” et ‟Cartas desde mi celda” ? J’ai souvent pensé que si je ne devais emporter qu’un seul livre en langue espagnole sur une île déserte, je glisserais dans ma poche le recueil des œuvres de ce poète mort à l’âge de trente-quatre ans.

25 juin – Le soir, au bar-restaurant galicien Ribeira do Miño. En vitrine, un alignement de Queixa Tetilla, l’emblématique fromage galicien en forme de sein. Je feuillette ‟El Mundo”. En page 18, un petit article en bas de page me saute aux yeux. Il est intitulé ‟Hay un judío” et signé Salvador Sostres, un homme que d’aucuns accusent de faire l’apologie du ‟terrorismo sionista”, un homme qui aime la provocation pour la provocation, mais qui sur la question palestinienne a le mérite d’énoncer des idées qui font enrager les masses antisionistes. Ce petit vin blanc de Galice accompagne merveilleusement le pulpo a la gallega.

Au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, un immense musée installé dans ce qui a été l’hôpital San Carlos édifié sous le règne de Carlos III, à la fin du XVIIIe siècle. L’immense cloître avec ses arcs en plein-cintre. Le granit gris des plinthes et des tours de fenêtres me dit la Bretagne. Mais d’où vient-il ? Tout en parcourant ces immenses salles blanches, je pense une fois encore à la somme des souffrances accumulées sous leur voûte. Les lieux ont-ils une mémoire ? Oui, si nous le voulons…

– Les belles compositions de Joaquín Mir (1873-1940), un peintre pas assez connu hors d’Espagne, en France plus particulièrement. Il est vrai que le public français n’a découvert que très récemment l’expressionnisme allemand… Joaquín Mir, une parfaite liberté de la touche — la touche dansée.

– ‟Garrote vil” (1894) de Ramón Casas. L’imposante mise en scène qui accompagne l’exécution, avec cet apparat  ecclésiastique, policier et militaire. Le soin apporté à décrire cette mise en scène macabre pourrait être envisagé comme une dénonciation.

– Sculptures en cire de Medardo Rosso, une mystérieuse douceur qui se retrouve dans les peintures en camaïeu d’Eugène Carrière et certaines photographies d’Edward Steichen.

– Un Christ crucifié de 1911 d’Ignacio Zuloaga, probablement inspiré du Retable d’Issenheim de Matthias Grünewald, avec la position particulière du corps et la tonalité terreuse et verdâtre de l’ensemble. Cette composition en cloisonnement est propice à une interprétation en vitrail avec structure en plomb.

– Les fantaisies de Picabia vieillissent mal. Mais peut-être est-ce moi qui vieillit mal !

– D’élégants petits collages en camaïeu de Kurt Schwitters.

– Une suite de dessins à l’encre sur papier de Luis Quintanilla (1893-1978), ‟La España negra de Franco” (1938). Ses dénonciations rejoignent celles de Georg Grosz et on surprend un air de famille tant dans la mise en page que dans le trait.

– Attroupement devant le ‟Guernica” de Picasso et personne devant les 2 x 9 images de ‟Sueño y Mentira de Franco I” et ‟Sueño y Mentira de Franco II”, des eaux-fortes et aquatintes bien plus féroces, bien plus pénétrantes que l’immense composition. Mais le tintamarre médiatique finit par s’imposer à presque tous.

– Un extraordinaire objet, un assemblage d’Óscar Domínguez, une sorte de gros insecte dont l’abdomen est constitué d’une tête de balai-brosse.

Óscar Domínguez au Reina Sofia de Madrid

L’assemblage d’Óscar Domínguez (1906-1957)

 Olivier Ypsilantis

 

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