Je me souviens de la fraîcheur des patios qui s’exhalait dans les ruelles de Córdoba. On ralentissait alors le pas, on s’arrêtait même : certains jours la température flirtait avec les 50° C.
Je me souviens de petits chantiers archéologiques un peu partout à Córdoba, au hasard d’une démolition, entre deux pignons.
Vestiges de murailles romaines dans le centre de Córdoba, près du temple de Claudio Marcelo (deuxième moitié du 1er siècle).
Je me souviens de Córdoba, entre Sierra et Campiña. Je revois la Campiña couverte de tournesols à perte de vue. Puis, sur une route de plus en plus vallonnée, venaient les oliviers de Jaén, à perte de vue encore.
Je me souviens de ‟Andaluces de Jaén…” Mais écoutez cette interprétation du plus célèbre poème de Miguel Hernández par le groupe ‟Jarcha”. Je l’aime particulièrement car elle laisse une place aux voix féminines. Car — enfin ! — il y avait beaucoup de aceituneras altivas parmi les aceituneros altivos :
http://www.youtube.com/watch?v=dNpXVzCwvjs
Je me souviens de Nieve de Medina dans ‟Un franco, quatorce pesetas”. Je me souviens de Penélope Cruz dans ‟Volver”. Je me souviens de Maribel Verdú dans ‟Blancanieves”. Je me souviens de Paz Vega dans ‟Carmen”. Je me souviens de…
Je me souviens quand Juan Carlos I s’adressa au peuple espagnol le 23 février 1981 :
http://www.youtube.com/watch?v=ZEqrSmzUsUU
Je me souviens de Pedro Salinas, de ses poèmes qui guérissent et réconcilient. Je me souviens de : ‟Abrir los ojos. Y ver / sin falta ni sobra, a colmo / en la luz clara del día / perfecto el mundo, completo.”
Je me souviens d’Alfambra, en Aragón, du rouge de sa terre et du vert de sa vega, intenses comme tout ce qui est espagnol.
Je me souviens de ‟Paquito el Chocolatero”, un air de pasodoble inséparable de l’Espagne et de ses fêtes populaires, inséparable de l’Espagne comme le sont les churros con chocolate :
http://www.youtube.com/watch?v=t0mlPqKwhEE
Je me souviens quand María nous préparait de la leche merengada ou, plutôt, du llet merengada car María était une Valenciana. Je me souviens de ce parfum de citron et de cannelle qui, à Paris, me disait l’Espagne, l’Espagne du Levant, une Espagne qui tourne le dos à la sévère Castille, noire, blanche et ocre.
Je me souviens de rues et de ruelles de poussière aujourd’hui asphaltées. Je me souviens de huertas avant qu’elles ne soient mutilées par des rocades et loties.
Je me souviens de José Ortega y Gasset. A ce propos, son plus célèbre ouvrage, ‟La rebelión de las masas”, me semble toujours plus atrocement actuel.
Je me souviens du film ‟Belle Époque” de Fernando Trueba, une comédie avec des accents picaresques qui m’ont évoqué les moments les plus légers du film de Volker Schlöndorff, ‟Le Tambour”. Le picaresque transposé dans une honorable famille de la bourgeoisie espagnole, un délice…
Je me souviens de José Antonio Primo de Rivera, fusillé à Alicante en 1936, et d’Andreu Nin, assassiné l’année suivante. Tous deux, le ‟blanc” et le ‟rouge”, ont espéré à leur manière une Espagne meilleure. Ils restent en moi deux hautes figures de l’Espagne du XXe siècle, côte à côte, indéfectiblement, étrangement. Il y en a d’autres, des ‟blancs” et des ‟rouges”, parmi lesquels Dioniso Ridruejo et Federica Montseny. Ci-joint, un documentaire de la RTVE sur Dioniso Ridruejo :
José Antonio Primo de Rivera (1903-1936) dans la prison d’Alicante, peu de temps avant son exécution, le 20 novembre.
Je me souviens de Daniel Dicenta et de José Manuel Cervino dans ‟El crimen de Cuenca” de Pilar Miró. Je me souviens que ce film basé sur un fait réel fut le premier film espagnol à être censuré après l’abolition de la censure, en 1977, ce qui explique en partie son succès auprès du public.
Je me souviens de l’Equipo 57, si oublié. Ses membres s’efforcèrent eux aussi vers un art total, comme les artistes du Bauhaus.
Je me souviens quand les croix se couvraient de fleurs, à Córdoba, en mai — las cruces de mayo.
Je me souviens que La Pasionara s’appelait Dolores Ibárruri Gómez et que le général Queipo de Llano était surnommé ‟el borracho de Sevilla”.
Je me souviens de Marinaleda et de son maire, Juan Manuel Sánchez Gordillo.
Je me souviens quand Andrés Iniesta marqua le but qui donna à l’Espagne sa première Coupe du monde.
Je me souviens d’une belle journée de soleil ardent et de vent frais dans un village du sud de l’Espagne, en compagnie de Carlos Iglesias et d’Eloísa Vargas. Si le nom Carlos Iglesias ne vous dit rien, regardez ce film tout en délicatesse : ‟Un franco, catorce pesetas”, avec l’émouvante Nieve de Medina. Ci-joint, une séquence de ce film, élément d’une trilogie sur l’exil espagnol dans laquelle il est également question de ces milliers d’enfants qui furent envoyés en Union soviétique :
http://www.youtube.com/watch?v=Aql8OdcfgVw
Je me souviens d’Alfredo Landa, décédé le 9 mai 2013. Je le revois dans ‟Vente a Alemania Pepe” et en compagnie de José Sacristán dans le film de Luis García Berlanga, ‟La vaquilla”.
Je me souviens de la torera Cristina Sánchez. Je me souviens du mal qu’elle eut à s’imposer dans ce milieu d’hommes :
http://www.youtube.com/watch?v=-uxf3B22Ono
La torera Cristina Sánchez de Pablos, née en 1972 à Madrid.
Je me souviens des femmes qui agitaient leurs éventails, en été, au cours des offices religieux.
Je me souviens de El Corte Inglés, un emblème du paysage urbain espagnol.
Je me souviens du billet de Cien pesetas avec Manuel de Falla. Je me souviens de ces pièces de monnaie qui circulèrent longtemps après la mort de Franco, des pièces sur lesquelles il était écrit : Francisco Franco, Caudillo de España por la G. de Dios. G. pour Gracia…
Je me souviens du cou d’Ángela Molina, un cou digne de la Vierge au long cou de il Parmigianino ou de Hanka Zborowska de Modigliani. Elle aussi se souvient de ‟precisiones en el ir por atrás”, comme elle le dit… :
http://www.youtube.com/watch?v=K20n2sxDpok
Je me souviens de Laura del Sol et de Cristina Hoyos dans ‟Carmen” de Carlos Saura. A ce propos, je me souviens que celui-ci est le frère d’Antonio Saura.
Je me souviens que l’‟ABC” fut fondé en 1903 par Torcuato Luca de Tena et que la ‟Revista de Occidente” fut fondée en 1923 par José Ortega y Gasset.
Je me souviens qu’en marchand sur le front de mer, vers le Castillo de San Sebastián, à Cádiz, je me suis vu transporté, l’espace d’un instant, en Bretagne.
Une vue aérienne de Cádiz, avec le Castillo de San Sebastián.
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Et puisque cette institution inaugurée en 1924 vient de mettre définitivement la clé sous la porte pour cause de crise économique, je me souviens de la Llibreria Catalònia, à Barcelona. Ci-joint, les fotografies històriques de la Llibreria Catalònia :
http://www.flickr.com/photos/catalonia_1924/sets/72157626669508048/
Olivier Ypsilantis