Je me souviens que le film ‟Un homme qui dort” de Bernard Queysanne a été tourné à Paris. C’est à ma connaissance l’un des plus beaux films sur cette ville — l’un des plus étranges. Mais écoutez Georges Perec nous parler de son roman qui a inspiré ce film :
http://www.ina.fr/video/I08261871
Je me souviens du moyen métrage d’Éric Rohmer, ‟La boulangère de Monceau”, premier temps du cycle des ‟Six contes moraux”. Je ne me souviens pas vraiment de l’histoire, mais je me souviens du Paris qu’il montre, le Paris des années 1960, le Paris de mon enfance.
Je me souviens de l’incendie du CES Édouard Pailleron. Je me souviens que, suite à cette catastrophe, un grand nombre d’établissements d’enseignement furent démolis et reconstruits.
Je me souviens de l’attentat contre le consulat d’Israël, boulevard Malesherbes, en 1982. Je me souviens qu’une bombe explosa à côté du lycée Carnot, situé en face du consulat, et qu’elle ne fit que des blessés légers.
Je me souviens que les publicités au cinéma étaient annoncées par un court dessin animé qui mettait en scène le ‟Petit Mineur”. Il lançait son pic en plein centre d’une cible. Le 1000 se retournait et donnait 0001. Je me souviens de la voix d’homme qui disait alors : Balzac 00 01 Jean Mineur publicité 79 Champs-Élysées Paris.
Je me souviens des ‟intégristes” (dits aussi ‟traditionalistes”) retranchés dans l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Je me souviens de l’usine Citroën avant le Parc André-Citroën et des abattoirs de Vaugirard avant le Parc Georges-Brassens.
Je me souviens de : ‟Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours / Faut-il qu’il m’en souvienne”
Je me souviens que Paul Ceylan se suicida en se jetant dans la Seine, probablement du pont Mirabeau. Je me souviens que les accusations de plagiat de Claire Goll l’avaient ébranlé.
Je me souviens du scandale provoqué par les colonnes de Buren dans la cour d’honneur du Palais-Royal et d’une polémique qui semblait ne pas vouloir finir.
Je me souviens des petites plaques bleues émaillées Eau et gaz à tous les étages et, bien sûr, je me souviens de : ‟Ma petite quéquette / Sort de ma braguette / Je pisse et je pète / En montant chez Kate / Moralité / Eau et gaz à tous les étages”
Je me souviens que la rue de Vaugirard est la plus longue rue de Paris. Je me souviens qu’une boucherie qui a conservé son décor y est devenue une librairie.
62 rue de Vaugirard, à l’angle avec la rue Madame, la librairie ‟Au Pont traversé” (du nom d’un récit de Jean Paulhan) fondée par Marcel Béalu.
Je me souviens (je m’en souviens pour l’avoir lu) qu’il y avait au centre de la place Maubert une statue d’Étienne Dolet qui fut enlevée et fondue en 1942 par l’Occupant. Je me souviens qu’André Breton l’évoque dans ‟Nadja”.
Je me souviens de ‟Ticket chic, ticket choc”, la campagne publicitaire pour la RATP, une chanson obsédante que nous étions nombreux à chantonner au début des années 1980 :
http://www.youtube.com/watch?v=UlRiuhn9aik
Je me souviens qu’on fumait partout et qu’à la faculté il me fallait endurer une telle tabagie que je sortais des salles de cours avec les yeux qui piquaient et les vêtements qui sentaient. Je me souviens qu’on fumait aussi sur les quais et dans les couloirs du métro. Il n’y avait guère qu’à l’intérieur des voitures des rames qu’on échappait à cette nuisance.
Je me souviens des frères Péreire, Émile et Isaac ; car, il faut le dire, sans eux Paris n’aurait pas été Paris :
http://www.contrepoints.org/2011/04/18/21813-les-freres-pereire
Je me souviens qu’au début des années 1980, on prononçait ce nom avec un dégoût mêlé de peur : ‟l’îlot Chalon”, avec ses ruelles et ses immeubles lépreux où l’on se shootait à l’héroïne. Une fois encore, je me suis rafraîchi la mémoire grâce à Internet :
http://www.pistes.fr/swaps/68_05.htm
Je me souviens d’Anne et Arsène Bonafous-Murat, marchands d’estampes rue de l’Échaudé. Je me souviens d’heures merveilleuses passées dans leur galerie à découvrir des chefs-d’œuvre, guidé par cet homme délicat et passionné. Ci-joint, en souvenir, un catalogue que sa femme a terminé après sa mort, en avril 2011 :
http://www.bonafous-murat.fr/Catalogues/Des arts Graphiques/des-arts-graphiques.pdf
Je me souviens des travaux du Grand Louvre, de l’immense fosse avant la construction de la pyramide. Lorsque je passais devant, je ne pouvais m’empêcher de penser au nombre d’allers et retours qu’il avait fallu aux camions pour évacuer la terre hors de cette mégapole. Je me souviens que dans un coin de l’immense chantier où travaillaient d’énormes engins de travaux publics, des archéologues s’affairaient, à genoux, avec des grattoirs et des balayettes.
Je me souviens de ‟Pierre-Auguste Renoir, mon père” de Jean Renoir, à ma connaissance, le plus beau livre de souvenirs non seulement sur ce peintre mais sur Paris. Je me souviens que Jean Renoir se souvient…
Je me souviens qu’un photographe de famille s’appelait Monsieur Dangereux et qu’il avait son studio rue aux Ours, non loin de la place du Châtelet.
Je me souviens de la polémique suscitée par le changement de nom de la place de l’Étoile en place Charles de Gaulle, juste après la mort du général. Je me souviens que des individus voulurent arracher les nouvelles plaques et que durant quelque temps des policiers furent postés devant elles.
Je me souviens de l’enterrement de Jean-Paul Sartre, au cimetière du Montparnasse. Je me souviens d’une foule plutôt agitée, de gens dans les arbres et sur les tombes, autour du caveau ouvert (et provisoire) du philosophe. Je me souviens que dans la bousculade quelqu’un y tomba. Mais regardez ce reportage et, une fois encore, rafraîchissez-vous la mémoire :
http://www.ina.fr/video/CAA8000678901
Je me souviens que ce n’est pas la sympathie qui me poussa ce jour-là du côté du cimetière du Montparnasse. Je passais dans le quartier, tout simplement. J’étais du côté d’Albert Camus et de Raymond Aron ; je n’étais en rien un sartrien, même si je le lisais volontiers comme nombre d’étudiants de ma génération. Je me souvenais pourtant que Jean-Paul Sartre et Raymond Aron avaient fait cause commune pour les boat people du Vietnam ; ce n’était pas pour autant une réconciliation :
http://expositions.bnf.fr/sartre/reperes/figures/aron.htm
Je me souviens que lorsque Jean-Paul Sartre mourut, je venais d’achever la lecture de la somme autobiographique de Simone de Beauvoir, avec passion je dois le dire. Elle m’apparut comme bien plus grand écrivain que son conjoint. A ce jour, mon jugement n’a pas varié. Je me souviens que des petits malins avaient surnommé Simone de Beauvoir ‟La Grande Sartreuse” et ‟Notre-Dame-de-Sartre”, d’autres plus affectueusement ‟Le Castor”, à cause du jeu des sonorités entre Beauvoir et beaver.
Simone de Beauvoir en 1952, photographie de Gisèle Freund.
Olivier Ypsilantis