Skip to content

Je me souviens de Franz Kafka…


Le portrait de Franz Kafka que je préfère. Dans la somme iconographique de Klaus Wagenbach, on peut voir l’image complète. A côté du chien se tenait une femme en chapeau que Max Brod a identifiée comme l’entraîneuse de bar Hansi Julie Szokoll. 

 

J’ai beaucoup lu Franz Kafka. J’ai lu et relu ses écrits “marginaux” — ils sont centraux —  soit : la correspondance, le journal, les cahiers, les aphorismes… Aucune lecture ne m’a saisi dans une ambiance aussi marquée, aucune. Et je ne l’ai jamais lu qu’en traduction ! Il est vrai que ses traducteurs étaient Alexandre Vialatte et Marthe Robert…

 

Dans de précédents ‟Je me souviens”, j’ai évoqué l’intérieur de Notre-Dame du Týn, avec cette fenêtre qui donnait sur l’intérieur même de l’église. Ce matin, au réveil, une foule de souvenirs liés à l’écrivain pragois me sont tombés dessus. J’en livre ici quelques-uns.

 

 

Je me souviens que sur sa tombe, au Nouveau cimetière juif de Prague, figuraient aussi les noms de ses parents, Hermann et Julie. Il était l’aîné de six enfants. Je ne sais où reposent ses deux frères, Georg et Heinrich, morts en bas âge. Les trois sœurs, Gabriele, Valerie et Ottilie, ont quant à elles disparu dans la Shoah.

 

Je me souviens de Milena Jesenská, morte à Ravensbrück. Je me souviens d’avoir lu le livre que lui consacre Margarete Buber-Neumann, en Bretagne, un jour d’averses et d’éclaircies.

 

Milena Jesenská (1896-1944)

 

Je me souviens de l’oncle Alfred Löwy — un frère de sa mère—, ‟l’oncle de Madrid”, directeur d’une compagnie de chemins de fer en Espagne. Je me souviens aussi de l’oncle Siegfried — un demi-frère de sa mère —, l’oncle préféré, médecin de campagne chez qui il passa des vacances, à Triesch (en Moravie), scène de sa nouvelle, ‟Un médecin de campagne.” Je me souviens enfin de l’oncle Rudolf — autre demi-frère de sa mère —, comptable dans une brasserie. Je me souviens que Hermann, le père, s’était mis à comparer perfidement son fils à l’oncle Rudolf.

 

Je me souviens que Kafka vient de kavka, ‟choucas” en tchèque. C’est d’autant plus troublant que j’ai toujours pensé que Franz Kafka avait une tête d’oiseau. A ce propos, je me souviens que l’emblème commercial de Hermann Kafka était un choucas.

 

Je me souviens que lors de son voyage à Paris, il fut impressionné par ‟Le lever de Voltaire à Ferney”, un tableau de Jean Huber exposé au musée Carnavalet. Il fut impressionné par l’énergie d’un écrivain qui, au saut du lit, alors qu’il enfile son pantalon, se met déjà à dicter à son secrétaire.

 

Je me souviens de l’exposition ‟Le Siècle de Kafka” au Centre Georges Pompidou, dans les années 1980. Je me souviens plus particulièrement d’un saisissant portrait de l’écrivain par Karel Appel et de ‟Froissages de Prague” par Jiří Kolář.

 

Je me souviens qu’il flirta avec la fille des gardiens de la maison de Goethe à Weimar, peu avant de rencontrer Felice Bauer. Ce flirt s’appelait Margarete Kirchner ; de fait, j’ai dû rechercher son nom car je ne m’en souvenais plus.

 

Je me souviens de Jeremy Irons dans ‟Kafka” de Steven Soderbergh, de Maximilian Schell dans ‟Le Château” de Rudolf Noelte, d’Orson Welles dans ‟Le Procès”. Je me souviens que ‟Le Procès” a été tourné dans la Gare d’Orsay que j’ai connue désaffectée.

 

Je me souviens qu’il avait fait la connaissance de Dora Dymant dans une colonie de vacances du Foyer populaire juif de Berlin, à Müritz, sur la Baltique. Je me souviens qu’elle l’avait assisté jusqu’à sa mort, en compagnie du docteur Robert Klopstock. Incapable de parler, il communiquait avec eux en écrivant sur des morceaux de papier.

 

Je me souviens qu’il est né un 3 juillet et qu’il est mort un 3 juin.

 

Je me souviens que parmi ses amis figurait un certain Oskar Baum qui était né avec de graves problèmes de vue et devint aveugle à l’âge de onze ans à la suite d’une dispute entre élèves. Je me souviens que son fils unique, Leo Baum, fut tué à Jérusalem dans l’attentat du 22 juillet 1946 contre le King David Hotel. Je me souviens que d’autres noms reviennent fréquemment dans la vie de Franz Kafka, parmi lesquels : Felix Weltsch, Hugo Bergmann et surtout Max Brod.

 

Oskar Baum (1883-1941) 

 

Parmi les noms les plus sûrement associés dans ma mémoire à ‟Franz Kafka”, comme autant de tags, il y a ce nom, Zürau. Pourquoi tient-il une place si importante ? Peut-être parce que ce nom se rattache à sa sœur préférée, Ottla.

 

Je me souviens que Franz Kafka donnait comme exemple de la prose qu’il aimait cette phrase de Hugo von Hofmannsthal : ‟L’odeur de la pierre humide dans un vestibule.”

 

Je me souviens que j’ai découvert Franz Kafka par la monographie de Klaus Wagenbach, publiée aux Éditions du Seuil dans la collection ‟Écrivains de toujours”. Je me souviens qu’en exergue figure cet aphorisme dans lequel se dit tout Kafka : ‟Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.”

 

Je me souviens de l’importance de l’année 1912 dans son œuvre, en particulier la nuit du 22 au 23 septembre au cours de laquelle il écrivit ‟Le Verdict”.

 

Je me souviens qu’il ne quitta le toit familial qu’à trente ans passés. Je me souviens qu’entre autres logements, il loua un petit appartement dans le palais Schönborn.

 

Je me souviens qu’il a écrit ‟Lettre au père” dans une pension à Schlesen, un village aux environs de Prague, une lettre qui ne fut jamais envoyée au père. Je me souviens d’avoir assisté à une lecture de cette lettre dans un théâtre de la rue de la Gaîté, à Montparnasse.

 

Je me souviens de Gregor Samsa, de Raban, de Josef K., de Joséphine la cantatrice, de…

 

La très belle écriture de Franz Kafka. Une page de ‟Der Process”

 

Je me souviens que Berlin a été pour lui la seule ville où il croyait pouvoir vivre, échapper à Prague donc…

 

Je me souviens de la machine destinée à exécuter un soldat insoumis. Je me souviens que de ses pointes, elle devait graver dans la chair le commandement auquel il avait désobéi et que l’agonie devait durer douze heures.

 

Je me souviens qu’un ami m’offrit pour mes vingt-deux ans ‟Conversations avec Franz Kafka” de Gustav Janouch, avec cette dédicace : ‟A Olivier, ces conversations avec Franz Kafka, notre grand frère à tous.” Notre grand frère à tous… Plus j’étudie Franz Kafka, plus je comprends la pertinence de cette dédicace.

 

Je me souviens que le père, Hermann, avait choisi pour son fils le prénom Franz afin de marquer son attachement à l’empereur Franz-Josef I.

 

Je me souviens qu’il a fait une partie de sa scolarité dans le palais Kinsky, et que c’est au rez-de-chaussé de ce palais que son père installera son magasin de nouveautés.

 

Je me souviens des illustrations de Louis Mittelberg (Tim) pour les ‟Œuvres complètes” de Franz Kafka, de denses et fins réseaux nerveux qui traduisent parfaitement une certaine ambiance.

 

Je me souviens de l’extraordinaire impression que j’eus en lisant ce petit texte, ‟Souvenir du chemin de fer de Kalda”. A ce propos, lorsque je pense ‟Kafka”, le nom ‟Kalda” vient généralement tout de suite après celui de ‟Zürau”. Dans ce petit texte, je me souviens de la forte présence des rats, des rats à la fois répugnants et émouvants.

 

Je me souviens que quelque part dans son ‟Journal”, il note : ‟Ne pas oublier Kropotkine.”

 

Je me souviens du vertige que me donnaient — et me donnent encore — des observations si simples comme : ‟Le bruit du balai qu’on passe sur le tapis dans la chambre d’à côté est perçu par l’oreille comme celui d’une traîne qui bouge par saccades.”

 

Je me souviens qu’il aurait eu un enfant de Grete Bloch, une amie de Felice Bauer, un petit garçon mort à l’âge de sept ans. Je dis bien aurait eu. Je me souviens que Grete Bloch a disparu dans la Shoah.

 

Grete Bloch (1892-1944)

 

Je me souviens que Franz Kafka et Max Brod se mirent en tête d’écrire un livre à deux : ‟Richard und Samuel”, un livre resté inachevé.

 

Je me souviens d’avoir acheté ‟La chevauchée du seau” chez un bouquiniste de la rue de l’Odéon, dans le Quartier latin. Ce jour-là, il gelait à pierre fendre. La fontaine de la cour du Mûrier était ourlée de stalactites et la Seine charriait des glaçons.

 

Je me souviens d’avoir lu “De Kafka à Kafka” de Maurice Blanchot à Antibes, sur la terrasse d’un ami d’où l’on apercevait un bout de mer en étirant le cou, la terrasse étant perpendiculaire à la plage. Être ainsi placé en hauteur, presque dans les nuages, m’aida probablement dans cette lecture d’une étouffante densité.

 

Je me souviens que dans le cercle réduit des écrivains qu’il admirait figurait Gustave Flaubert.

 

Je me souviens qu’il recommanda l’utilisation d’arbres cylindriques pour les dégauchisseuses. Je me souviens de croquis démontrant les avantages de ces derniers sur l’arbre carré concernant la sécurité des travailleurs. Ces croquis figurent dans la monographie de Klaus Wagenbach que j’ai citée.

 

Je me souviens de l’affaire concernant les manuscrits de Franz Kafka, avec les filles de la secrétaire de Max Brod, Eva Hoffe et Ruth Wiesler. Mais tout est bien qui finit bien :

http://www.actualitte.com/international/retour-des-manuscrits-de-kafka-victoire-pour-le-peuple-d-israel-37472.htm

 

Je me souviens de son amitié avec l’acteur Yitzhak Löwy grâce auquel il découvrit la vitalité des Juifs de l’Est et du yiddish.

 

Je me souviens avoir déposé un caillou sur la tombe de Franz Kafka.

 

Devant la tombe de Franz Kafka, à Prague. La plaque installée au pied de la stèle (œuvre de l’architecte Leopold Ehrmann) rappelle l’assassinat des trois sœurs par les nazis.

 

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*