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Politique et religion dans la pensée du Rav Kook – 2/3

 

“Ainsi, pour conjurer le délire des grandeurs, toujours prêt à se réveiller en l’homme, l’antique rituel hébraïque lui opposait  la profonde vérité humaine d’un rite admirable. On m’a répété les termes mêmes du cérémonial selon lequel, à une heure solennelle de la vie, l’officiant était revêtu de la majesté royale. Tout homme naît roi. C’est le sacre le plus ancien de l’humanité que cette royauté  affirmée de l’homme sur la nature.” Arthur Adamov

 

 

I – L’idée divine et l’idée nationale chez l’être humain 

La dimension sociale et la dimension religieuse de la vocation humaine

Vocation sociale et vocation spirituelle sont les paradigmes de la dimension nationale et de la dimension religieuse. Lorsque ces deux aspirations humaines fondamentales génèrent un dynamisme qui anime l’histoire, on touche à l’« idée nationale » (sentiment national) et à l’« idée divine » (conception du divin), deux forces vitales qui irradient l’ensemble de la vie sociale et les profondeurs de la vie des individus. L’« idée nationale » suppose une société pré-existante à l’individu qui en fait l’expérience immédiate par langue, la géographie et l’histoire d’un groupe donné. L’« idée divine » suppose une irréductible exigence humaine, une quête d’absolu et de sens, au-delà de tout credo religieux, de tout dogme et même de foi théiste. L’être humain est porté et exhaussé par deux exigences essentielles, deux « idées », l’une formant le substrat de la vie matérielle, l’autre élaborant un système de valeurs, respectivement le sentiment national et la conception du divin. Lorsque que ces « idées » perdent de leur vitalité, la sphère sociale se voit bouleversée et les psychologies individuelles se voient affectées.

 

Origine et essence des religions

Les religions structurent les civilisations et les sociétés. Elles ne sont jamais étrangères aux décisions politiques. Elles restent agissantes dans les sociétés les plus sécularisées. Elles sont substrat autant que vecteur. Les religions constituent une donnée incontournable de l’histoire humaine, que nous le voulions ou non. A partir de ce constat, il convient d’étudier leur impact sur les sociétés. L’originalité du phénomène religieux ‟serait une disposition naturelle de l’être humain de ressentir la nécessité de dépasser son individualité et d’établir une relation avec l’Autre”, écrit Benjamin Gross. Cette tension structure les morales et les religions codifiant notamment les normes de conduite.

 

Agencement de l’émergence des « idées » dans l’humanité

Rav Kook : ‟Toutes (les collectivités sociales et nationales) sont constituées par l’arrangement interne de la conjonction de l’idée divine avec la disposition collective de la forme nationale.” Au cours de l’histoire, cette dernière a cherché à s’arracher à l’« idée divine » qui n’en continue pas moins à la nourrir. L’« idée nationale » et l’« idée divine » forment un substrat et elles entretiennent des liens dialectiques aussi denses que ceux qu’entretiennent la matière et l’esprit.

L’articulation « idée nationale » / « idée divine », avec ses hauts et ses bas, reste une condition vitale pour la survie de toute société, pour ‟la représentation qu’elle a d’elle-même, de ses valeurs collectives, ainsi que du projet collectif pour lequel elle lutte”, note Benjamin Gross. Et lorsqu’une société (ou une nation) a atteint un haut niveau de confort matériel, elle oublie sans tarder l’« idée divine » et ‟se coupe ainsi de la source qui avait assuré sa vitalité et se condamne à un affaiblissement progressif, entraînant la dislocation de son être collectif.” Elle doit donc se reprendre, réagir et conforter l’alliance de ces deux « idées » sous peine de disparaître.

 

Élimination de l’idée divine

Sous l’effet du confort matériel, l’« idée nationale » et l’« idée divine » tendent à s’opposer puis à se séparer et, ainsi, à perdre de leur vigueur. La collectivité se défait de sa spécificité, les exigences individuelles se font de plus en plus bruyantes et tendent vers l’arbitraire. Les individus se mettent à tourner sur eux-mêmes et s’enfoncent dans l’égoïsme tandis que la société est prise par la nausée et se vide de sa substance. Et j’aurais pu placer en exergue cette remarque de Cornelius Castoriadis (extraite de ‟La montée de l’insignifiance”) : ‟Il ne peut pas y avoir d’« autonomie » individuelle s’il n’y a pas d’autonomie collective, ni de « création de sens » pour sa vie par chaque individu qui ne s’inscrive dans le cadre d’une création collective de significations.” Ce livre du Rav Kook reste riche d’enseignement, tant pour les Juifs que les non-Juifs.

 

Dépérissement de la vie collective

De moins en moins assurée dans son substrat, la société (la collectivité nationale) est gagnée par la dépression à laquelle elle s’efforce de pallier par des excitations matérielles toujours plus vulgaires. Mais ces efforts ne sont d’aucune efficacité. ‟L’élan vital ne peut jaillir et couler que de la source de la vie” conclut le Rav Kook. La jouissance égoïste ronge les fondements de la vie tant individuelle que collective et l’armature sociale ne tarde pas à s’effondrer comme une poutre vermoulue.

 

II – L’idée divine et l’idée nationale dans le judaïsme

Vers l’actualisation de l’idée divine

L’« idée divine » a fait son chemin dans l’esprit humain sans cesser de tâtonner jusqu’à trouver son expression la plus élevée dans le peuple d’Israël. Afin de réaliser une telle aspiration  — ‟garder la voie de Dieu pour faire la justice et le jugement” ainsi qu’on peut le lire dans la Genèse —, il est impératif que ce peuple (de l’élite intellectuelle au prolétariat) dispose d’instances politiques et sociales, d’une organisation nationale d’élite.

Le Rav Kook envisage Israël comme ‟le vecteur d’une vocation à l’unité qui tient compte de la totalité de l’être, susceptible de s’opposer efficacement à l’érosion de son élan vital.” L’« idée divine » féconde l’« idée nationale » engendrant l’unification et l’harmonie.

La raison d’être première du peuple juif est expressément la sauvegarde au sein de l’humanité de l’« idée divine ». Pour répondre à une telle exigence, ce peuple est appelé à se structurer en une société dont l’organisation interne fasse coïncider son identité nationale et ses institutions avec l’« idée divine ». Ce n’est qu’en s’inscrivant de la sorte que cette « idée » peut prendre corps et influer sur le développement historique de l’humanité.

Le Rav Kook est porteur d’une vision totalisante et organique. Selon lui, la sainteté procède de l’harmonie entre l’esprit et la matière et elle ‟ne se manifeste dans toute sa splendeur que sur le plan social, lorsque l’« idée divine » imprègne le plus parfaitement possible le corps de la réalité collective. C’est la raison pour laquelle, pour la communauté d’Israël, le fait religieux est essentiellement d’ordre collectif : la donnée de base fondamentale du judaïsme est l’alliance d’une collectivité, d’une nation, avec un Dieu universel”, note Benjamin Gross.

 

Visée universelle de l’idée divine

Ce peuple irradié par la lumière de l’« idée divine » a pour mission de la propager dans le monde entier. L’esprit du peuple d’Israël, c’est d’abord l’unité radicale de la matière et de l’esprit, de l’« idée divine » et de l’« idée nationale », une unité désireuse d’irradier le monde, de l’élever et de l’ouvrir sur l’infini.

 

Caractère donné et caractère acquis de la communauté d’Israël

Dans ses débuts, la communauté d’Israël a su enraciner avec enthousiasme et intelligence l’« idée nationale » dans l’« idée divine » afin que ces deux « idées  » se perfectionnent mutuellement. La révélation de la Loi au Sinaï a placé le peuple juif dans une position d’accueil. Il sut maîtriser avec détermination les conditions qui lui étaient imposées. Ce peuple en perpétuel mouvement n’en est pas moins resté fidèle à un centre de référence.

 

Persistance de l’idée divine en Israël

En Israël comme partout ailleurs, la tentation de séparer l’organisation sociale de l’« idée divine » a entraîné une dégradation des mœurs qui faillit lui être fatale. La marque laissée par le Sinaï a pourtant continué son œuvre dans les tréfonds de la conscience nationale, son intensité a permis à Israël de rester un peuple créateur, “tourné vers le monde pour l’influencer, et capable de surmonter toutes les crises”, écrit Benjamin Gross.

 

III – Chute à la suite de la séparation des « idées »

La marche dans le désert et l’installation en Terre sainte

Très tôt l’« idée nationale » et l’« idée divine » illuminèrent et vivifièrent Israël. Mais les contingences de la vie profane vinrent obscurcir et amoindrir cette lumière et cette énergie. Le paganisme guettait le peuple juif et il ‟faillit presque étouffer le souffle vital de l’aspiration divine liée au contenu collectif de la forme nationale”, écrit le Rav Kook.

La sortie d’Egypte et les quarante années de traversée du désert constituent quarante années d’apprentissage et de formation au cours desquels ‟l’« idée divine » informe d’une façon constante la structure sociale et constitue le contenu essentiel de sa représentation collective, de la réalité vivante de son être collectif”, écrit Benjamin Gross. L’enseignement qu’en retira le peuple juif lui permettra de survivre. Cette période a vu les deux « idées » rayonner avec une même clarté et partager une même couronne.

 

L’apogée du royaume de Salomon : le Cantique des cantiques 

Cet âge d’or — l’époque de Salomon où l’« idée nationale » et l’« idée divine » étaient enlacées — trouve son expression poétique la plus haute dans le Cantique des cantiques dont l’un des niveaux de lecture est l’amour qui relie Dieu et Israël. Benjamin Gross précise : ‟Pour le Rav Kook, ce texte (le Cantiques des cantiques) confirme qu’une sainteté authentique n’est pas une sphère qui s’oppose à la nature, mais l’expression de la totalité de la vie et son unité, et qui nous permet, en outre, de mieux prendre conscience du rôle du peuple d’israël pour l’accomplissement du projet divin dans le monde.”

 

Schisme, décadence et chute du Royaume

Au cours de cette période glorieuse — d’harmonie entre les deux « idées » —, la morale et la conduite individuelles n’avaient pas intégré cette harmonie ; les idoles et les sortilèges restaient actifs au point de la menacer. L’« idée divine » s’éclipsa et, en conséquence, l’« idée nationale » (le trône de la maison de David) vacilla. L’écart de niveau entre les institutions collectives et la morale individuelle ouvrit une faille. Cette morale n’avait pas pleinement appréhendé les valeurs fondamentales qui devaient orienter les relations avec Dieu, avec les autres hommes et le monde. Ce décalage entre le public et le privé (avec les séductions de l’idolâtrie et plus particulièrement la débauche qu’elle légitimait) portait préjudice à l’organisation de la vie sociale. L’écart entre les deux « idées » grandissant, l’une et l’autre s’appauvrissaient.

 

Montée du nationalisme, chute de la souveraineté 

Cette séparation progressive des deux « idées » a commencé lors de la destruction du premier Temple. Israël se replia progressivement sur l’« idée nationale  » mais coupée de l’« idée divine », et cette « idée » se dessécha.

 

L’ultime étincelle divine 

Qu’en est-il donc de la marque laissée par l’« idée divine » ? Pourtant, alors que même les prophètes désespèrent d’Israël, Dieu agit dans les profondeurs. Les échecs vont se faire tremplins afin qu’Israël assume son destin qui est la réalisation concrète de l’« idée divine ». L’article suivant rendra compte des trois derniers chapitres de ce livre, avec une description détaillée des initiatives qui permettront à l’« idée divine » de poursuivre son œuvre au sein du peuple d’Israël.

 

 

En lien, une conférence Akadem, ‟L’honneur du rabbinat” par Shélomo Zini (durée 51 mn) :

http://www.akadem.org/sommaire/colloques/hommage-aux-grands-maitres/l-honneur-du-rabbinat-27-06-2008-7346_4139.php

(à suivre)

 

 

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