“The Holocaust is a Christian Issue” a été prononcé le 20 juin 2001 à Jérusalem, à l’occasion du 85ème anniversaire du professeur Emil Ludwig Fackenheim qui allait décéder en 2003.
Cette conférence va tellement dans le sens de ce que j’éprouve − ou écris à l’occasion − que je vais en rendre compte librement en espérant ne jamais trahir la pensée de l’auteur.
Une précision, je préfère le mot “Shoah” à “Holocaust”, un mot dont les Anglo-Saxons font plus volontiers usage.
La Shoah ne fut pas le fait des Chrétiens en tant que chrétiens et, pourtant, l’aire de la Shoah correspond précisément à l’aire la plus christianisée du monde: “It occured in the very heart of Christendom.”
Les nazis et leurs collaborateurs étaient presque tous des Chrétiens (de diverses Eglises), des hommes devenus chrétiens par le baptême. Il y eut bien des Musulmans collaborateurs des nazis mais en nombre très restreint, reconnaissons-le. Nombre de dirigeants nazis parmi lesquels, Hitler, Himmler, Heydrich (pour ne citer qu’eux) ont été élevés dans des familles catholiques pratiquantes.
La Shoah représente une faillite de la civilisation occidentale et, plus particulièrement, de la chrétienté qui en constitue le socle. En ce sens, la Shoah peut être comprise comme “a Christian Issue”. Richard A. Cohen écrit que la Shoah (Holocaust) est, à son sens, “the most important issue − and I mean nothing less than the most profound theological issue − for post-Holocaust Christianity.” Il développe sa pensée en prenant appui sur l’œuvre maîtresse d’Emil Ludwig Fackenheim, “To Mend the World”, plus exactement sur la Section 13 de la Quatrième partie : “Concerning Post-Holocaust Christianity”. Il se propose de faire là ce qu’aucun Juif et très peu de Chrétiens ont fait, à savoir revisiter la Christologie en regard de la Shoah: “I do this for my own shake only indirectly, because I am a Jew and not a Christian, and hence Christology is not my spiritual concern.”
La Shoah est désignée comme “a specifically Christian theological issue” pour deux raisons au moins : celle qui vient d’être évoquée, les nazis et leurs collaborateurs étaient chrétiens pour la plupart car baptisés, et aucun n’a été excommunié pour ses crimes ; par ailleurs, l’antijudaïsme a été pendant des siècles l’un des fondements du christianisme ou, mieux dit, un cheval de bataille du christianisme. La conversion − la disparition donc − des Juifs en tant que juifs par la persuasion ou la violence était inscrite dans l’horizon spirituel du christianisme. Ce zèle chrétien est d’essence théologique. Le christianisme se considère comme le Nouvel Israël et, puisqu’il est le seul chemin menant à Dieu, l’Ancien est destiné à disparaître par le biais de la conversion.
Ce n’est que très récemment avec Vatican II (1962-1965) que l’Eglise a fait un travail sur sa théologie en pointant du doigt l’irrecevabilité du Juif déicide, du “Christ-killer”, du “Christ-Messiah killer”, une accusation centrale, la mort et la résurrection de Jésus-Christ étant au cœur de la doctrine chrétienne. Jésus, Fils de Dieu, Dieu fait homme, descendit sur terre pour le rachat des péchés du monde, c’est ce que prêche la théologie chrétienne. Or, non seulement les Juifs se détournèrent de Lui mais ils Le mirent à mort. Et le drame cosmique − manichéen, pourrait-on dire − fut planté avec d’un côté le Bien, Salvation, et de l’autre le Mal, Damnation. Les Juifs furent alors présentés comme les agents du Mal, dotés d’une formidable puissance puisqu’ils avaient été capables d’ajourner la venue du Messie incarné par Jésus-Christ. Il faut relire certains passages de Saint Jean-Chrysostome et même de Saint Augustin, pour ne citer qu’eux.
Ainsi le judaïsme fut-il considéré par les Chrétiens comme la négation même de Dieu. Les Juifs furent montrés du doigt en tant que responsables de l’avortement du projet divin ; et tout suivit, les Juifs pouvaient alors être désignés comme responsables de tous les malheurs du monde, une accusation que les nazis porteront à son paroxysme. Et il me semble que si la chrétienté s’est calmée depuis la Shoah, l’islam a pris le relais − et rien n’indique que nous allons sortir de ce radotage.
Selon les Evangiles synoptiques, si ce furent les Romains qui se saisirent de Jésus, le jugèrent, l’humilièrent et le crucifièrent, ce sont les Juifs qui tiraient les ficelles puisque leurs autorités religieuses avaient interrogé Jésus, que la foule (juive) exigeait dans des vociférations sa mise à mort et qu’enfin, c’est Judas (probablement le disciple le plus fidèle à son identité juive) qui avait vendu Jésus aux autorités romaines.
A partir d’une telle mise en scène, trois options s’ouvrent :
− blâmer les Juifs, les Romains n’étant que des marionnettes entre leurs mains (!?)
− blâmer les Romains, oppresseurs du peuple juif dont Jésus est membre.
− blâmer Juifs et Romains en répartissant la Faute dans des proportions variables.
Conclusion de Richard A. Cohen à laquelle je n’ai rien à opposer : la théologie chrétienne a choisi la première option faisant ainsi des Juifs le peuple déicide. La radicalité de la Shoah a toutefois bouleversé nombre de Chrétiens qui se sont alors tournés vers la deuxième option, parmi eux le pasteur Dietrich Bonhoeffer. Richard A. Cohen préfère lui aussi, on s’en doutera, la deuxième option bien qu’aucune des trois ne le satisfasse.
Qui donc alors a tué le Christ ?
“First of all, I want you to notice that I am making a distinction between the death of Jesus and the death of Christ.” Concernant Jésus, selon les Evangiles, il n’y a pas de doute : Juifs et Romains participèrent au meurtre. Les Romains crucifièrent Jésus comme ils avaient crucifié des milliers de Juifs et, à un moment donné, à Jérusalem, une foule (a mob) juive réclama la mort de Jésus à la plus haute autorité romaine de Judée, Ponce Pilate.
Jésus le Juif naquit en Galilée et mourut en Judée ; il s’inscrit dans l’Histoire. Le Christ, quant à Lui (du point de vue de l’auteur de ladite conférence) est une figure théologique dont l’enseignement est certes admirable: “Christ is he who teaches and shows the way to an all-embracing universal love of humankind.” L’auteur ajoute que si les coupables de la mort de Jésus sont des Romains et des Juifs − non pas LES JUIFS − “the true Christ-killers were and remain the Christians themselves”. Parce que les Chrétiens reconnurent Jésus comme étant le Christ, ce sont eux, et eux seuls, qui L’ont réellement trahi et tué. Pire, en refusant leur responsabilité dans ce meurtre et en en accusant d’autres, à commencer par les Juifs – le peuple déicide –, ils continuent à Le trahir et Le tuer.
Si la Shoah véhicule un message, il est bien dans le 614ème Commandement d’Emil Ludwig Fackenheim: “To not give Hitler a posthumous victory”. Par manque de sympathie envers les Juifs, les Chrétiens ont tué le Christ six millions de fois (“killed Christ six million times over”). La Shoah est avant tout une leçon pour la chrétienté ; ce 614ème Commandement qui émaille les écrits du philosophe s’adresse d’abord aux Chrétiens. Le Démon (Evil) n’est pas une figure gnostique : il est notre indifférence à aider l’innocent et à rectifier l’injustice. Faire revenir le Christ à la vie, Le ressusciter, c’est précisément mettre fin à cette indifférence.
Richard A. Cohen termine sa conférence sur une note autobiographique. Il confesse que la thèse exposée là lui fut inspirée par la “Crucifixion blanche” de Chagall (reproduction ci-dessus), un tableau qui m’intrigue et que je détaille depuis des années. Il est à mon sens l’œuvre maîtresse de l’artiste, tant par sa charge en symboles que par ses qualités picturales. Jésus en croix porte autour des reins le talith, le châle de prière des Juifs : le Crucifié est bien Jésus le Juif. Il est placé au centre d’une composition fort dense avec, à sa droite, le Stalinisme (l’œuvre fut peinte en 1938) et, à sa gauche, le Nazisme. Je rappelle que 1938 fut notamment pour les Juifs une année atroce avec, entre autres violences, la Kristallnacht.
Richard A. Cohen avoue, dans un premier temps, avoir été perplexe puis révulsé devant cette Crucifixion qui, comme toute représentation de la Crucifixion, est pour les Juifs non seulement symbole de mort et de destruction mais aussi un condensé du ressentiment chrétien envers eux. Puis il comprit que cette peinture était un message davantage destiné aux Chrétiens qu’aux Juifs. Que voulait transmettre Chagall ? “Ne voyez-vous pas !? Ne comprenez-vous pas !? Quand les nazis tuent les Juifs, ils tuent le Christ.”
“Ce n’est pas moi qui L’ai tué mais lui ! Ce n’est pas nous qui L’avons tué mais eux !” Combien de Chrétiens ont lancé la Faute de l’autre côté du mur, chez les autres, particulièrement chez les Juifs ? Les Chrétiens doivent envisager qu’ils sont coupables de Sa mort. Les Juifs sont coupables pour d’autres raisons parmi lesquelles celle de retomber dans l’adoration des idoles (le Veau d’or) après avoir reçu la révélation sur le Mont Sinaï. Le Juif perfide et le Romain cruel ont tué Jésus, c’est ce que nous rapportent sans ambiguïté les Evangiles. Et les Chrétiens ne sont-ils pas devenus coupables lorsqu’ils commencèrent à diaboliser les Juifs, une manœuvre qui aura conduit aux pires violences et à la Shoah.
Discussion avec l’auteur sur notre site : www.zakhor-online.com/forum
Olivier Ypsilantis
Assimiler le christianisme aux visions particulière de l’institution dite catholique est malhonnête.
Oui le catholicisme a porté l’antisémitisme, mais non le Christ et ceux qui suivent ses enseignements, bien au contraire!
N’avez-vous jamais entendu parler du soutien fort et engagé des chrétiens envers Israël (notamment dans les milieux évangéliques)?
A vous attaquer ainsi au christianisme avec des jugements à l’emporte pièce, sans discernement, vous blessez ceux parmi les chrétiens qui soutiennent Israël et qui conformément aux Ecritures reconnaissent la place et le rôle d’Israël dans toutes les dispensations du plan du Divin (se gardant ainsi de la fausse doctrine de la substitution chère à l’nstitution vaticane).
Je crois que vous m’avez mal lu. Prenez le temps de me lire calmement, vous comprendrez que je ne suis pas préposé à la démolition de cette Eglise (catholique) qui a par ailleurs bien des mérites. Je m’intéresse depuis longtemps aux Christian Zionist et connais bien l’action des Evangéliques, notamment en Israël ; je respecte profondément leur engagement… aussi longtemps qu’ils ne cherchent pas en sous-main à convertir les Juifs !
Enfin, j’avoue commettre de nombreuses erreurs mais j’aimerais que vous m’énumériez ce que vous considérez commes des “jugements à l’emporte pièce”. Je suis prêt à vous en rendre compte.
Merci Olivier pour votre réponse!
Pour accéder à votre demande je ne peux que vous renvoyer à ce que j’ai dit: essentiellement votre erreur consiste à établir une confusion en identifiant l’antisémitisme catholique comme étant le fait du christianisme…
C’est ce qui resort de votre article au final: christianisme = antisémitisme.
Le christianisme, tel que je le conçois et comprends en tant que chrétien, ne peut être que la voie enseignée par le Messie, Jésus.
Quoiqu’il en soit si d’autres institutions, ou des individus, dites et dits chrétiens, ont eu une position antisémite, c’est en contradiction même avec l’enseignement du Christ, du Nouveau et de l’Ancien Testament.
Il y a dans le Nouveau Testament de magnifique témoignage de Jésus, de Paul, et d’autres, confirmant le fait que l’enseignement du Christ affirme la place et le rôle d’Israël dans le plan de l’Eternel.
Je cite Jésus par exemple: “le salut vient des juifs!”
Paul: “Dieu a-t-il rejeté son peuple ? Loin de là ! Car moi aussi je suis Israélite, de la postérité d’Abraham, de la tribu de Benjamin. Dieu n’a point rejeté son peuple, qu’il a connu d’avance” Romains 11. 1
Paul contre la doctrine de la substitution, aux non juifs: “si toi, qui était un olivier sauvage, tu as été greffé parmi eux, et rendu participant de la racine et de la graisse de l’olivier, ne te glorifie pas aux dépens de ces branches. Si tu te glorifies, sache que ce n’est pas toi qui portes la racine, mais que c’est la racine qui te porte.” Romains 11. 17 et 18
Paul encore: “… les Israélites, à qui appartiennent l’adoption, et la gloire, et les alliances, et la loi, et le culte, et les promesses, et les patriarches, et de qui est issu, selon la chair, le Christ, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement. Amen!” Romains 9. 4 et 5
Quant aux témoignages de l’Ancien Testament, nous chrétiens y souscrivont sans réserve, car l’Ancien avec le Nouveau constituent pour nous les Ecritures divinement inspirées, fondement de notre foi.
C’est avec une pleine reconnaissance au peuple juif que nous nous réjouissons de ce que ce peuple choisi par Dieu nous a transmis les Ecritures et a reçu en son sein le Messie notre Sauveur et Seigneur.
Je reviens pour finir à ma critique de votre article, pardonnez-moi si je vous ai mal compris, j’avais juste à coeur d’apporter mon témoignage.
Keter >
Ps:
les chrétiens annoncent l’Evangile au peuple d’Israël, non en “sous-main” comme vous dites, mais au grand jour, dans la joie de parler à ce peuple de son Messie!
Il s’agit d’un témoignage, non d’une tentative de forcer qui que ce soit à croire…
Voici un lien vers un ouvrage d’un juif croyant en Jésus, qui devrait vous intéresser pour son approche cherchant à restituer la pensée juive du Messie parfois occultée (pour diverses raisons) dans les communautés chrétiennes: Va parle A Mon Peuple, de Guy Richard Benhamou; télécharge gratuitement ici: http://jpn-atlantic.com/francais/up-dl/uploads/index.php
Pour finir ce post scriptum, j’ai à coeur de vous dire un mot sur l’église catholique et les évangéliques: les évangéliques, contrairement, à l’église catholique ne prétendent pas être la seule véritable église du Christ, puisqu’en conformité avec les Ecritures ils enseignent que l’Eglise, la vraie, celle dont Christ est le fondement et le batisseur, n’appartient à aucune institution ou dénomination, elle est composée de tous ceux qui croient que Jésus le Messie est le Fils de Dieu. On trouve de tels croyants au sein de toutes les dénominations (catholique, protestante, évangélique, baptiste, messianique), et au-delà…