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En lisant « Israël 1931 » de Pierre Paraf » – 1/2

J’ai devant moi un livre aux pages jaunies. Il s’agit de l’édition originale de « Israël 1931 » de Pierre Paraf, avec achevé d’imprimer au 14 mars 1931. Paris – Librairie Valois – 7, place du Panthéon. Ce livre au ton élégant s’ouvre sur ces mots : « L’idée de ce livre est née un matin de décembre à l’ombre du Panthéon ». On y trouve d’intéressantes notations sur l’ambiance de la France de l’entre-deux-guerres, notamment sur l’attitude des Français envers les Juifs, un tableau plutôt agréable pour tous. C’était au tout début des années 1930, Hitler n’était pas encore au pouvoir. La Grande Guerre avait créé une sorte de fusion : les Français savaient que les Juifs de France mais aussi les Juifs étrangers avaient sacrifié et en nombre leurs vies pour la France. En page 20, Pierre Paraf note : « Un matin de mai 1915, les vagues d’assaut se succèdent. Les gars de la Légion sous les barrages des “gros noirs” et des mitrailleuses escaladent la colline. Et parmi ces gars : quatre mille Juifs… » Et, note en bas de page : « Sur 2 500 volontaires étrangers morts pour la France à Carency, on compte 1 500 Juifs ». Et, page suivante : « Le 11 novembre 1918, tout le long de la ligne où des centaines de milliers de croix abritent les corps de soldats tombés, dans la terre aspergée de chaux, des Kahn, des Lévy, des Bloch, des Meyer, mêlent leurs noms à ceux des Durand, des Fontaine, des Tavernier… » Ce même chapitre contient d’intéressantes statistiques sur le nombre de Juifs dans le monde, sur tous les continents, et leur pourcentage par rapport à la population totale des pays concernés. Pour la France, 200 000 Juifs avec un total de 480 000 à 500 000 en ajoutant à ceux de la métropole ceux des colonies. Suit la répartition socio-professionnelle des Juifs avec notamment un tableau très précis concernant l’Union soviétique et la Pologne. Je rapporte celui concernant ce premier pays : 1 010 000 Juifs en âge de travailler ainsi répartis : fonctionnaires et employés, 286 000 / artisans, 247 000 / ouvriers, 183 000 / déclassés et sans situation, 119 000 / agriculteurs, 116 000 / commerçants, 59 000. Et Pierre Paraf ajoute très justement : « Mais ce n’est pas avec des statistiques que l’on peut mesurer la vraie importance du problème juif.  Des colonnes de chiffres ne suffiraient pas à marquer la place qualitative occupée par Israël dans tous les grands mouvements de la civilisation humaine ».

Ce livre est parcouru d’une belle énergie qui me confirme dans ce que j’ai toujours éprouvé : le peuple juif est le peuple romantique par excellence, et par romantisme j’entends, dans le cas qui nous occupe, une énergie venue des profondeurs qui porte vers le mouvement, l’élan, l’audace, l’exploration et la découverte. Le romantisme juif ne contient pas cette part inquiétante qu’ont eu certains romantismes, en Allemagne notamment. Et je rejoins Werner Sombart lorsqu’il dit que la fortune économique des Juifs vient de (je cite Pierre Paraf qui cite Werner Sombart) ce « qu’ils avaient des transactions un concept à la fois plus juridique et plus religieux que leurs contemporains ».

Il y a bien sûr des escrocs et des individus peu recommandables parmi les Juifs mais ces individus ne représentent qu’eux-mêmes et en aucun cas « les Juifs ».

A ce propos, et en aparté, je ne connais aucune armée aussi scrupuleuse que l’IDF (Israel Defence Forces), une armée de défense, ainsi que le laisse supposer le mot Tsahal, un mot construit phonétiquement à partir des initiales en hébreu et qui signifient précisément en anglais IDF. Tsahal est bien une armée de défense et exclusivement de défense (la défense qui suppose parfois l’attaque préventive, comme avec la guerre des Six Jours) ; et je sais combien cette affirmation suscitera de désapprobations et de haussements d’épaules.

Nous sommes en 1931. Pierre Paraf pose la question au chapitre II : « Y a-t-il une race juive ? » Dans ces années 1930, on dit plutôt « Israélite ». Fort bien. Mais cette désignation me semble réductrice. « Juif » est alors considéré comme « offensif et presque provoquant ». Heureusement, il ne l’est plus ! Ce qui unit la diversité juive, c’est aussi et peut-être même d’abord « une communauté de souffrances, de souvenirs et surtout d’espoirs » ; tout est dit.

Le Juif nomade… Lorsque j’ai étudié le Samudaripen (soit le massacre des Tsiganes par les nazis), des similitudes entre Tsiganes et Juifs m’ont frappé – mais aussi des différences, notamment quant aux rapports à la mémoire.

Peuple pionnier, doté de l’esprit d’entreprise, les Juifs sont aussi les membres d’un peuple qui ne cesse de revivre son histoire avec des moments clés, comme la fuite de la servitude en Égypte. Et c’est probablement cette assise dans le temps et dans l’espace qui permet l’élan ; de même, c’est probablement le particularisme juif qui permet l’universalisme juif.

L’histoire du peuple juif est une histoire singulière qui ouvre à l’universel. L’histoire du peuple juif est aussi l’histoire de la tension millénaire entre nomades et sédentaires. Et je laisse de côté cette histoire de « Juif errant », une histoire chrétienne et expiatoire. La Bible c’est aussi l’histoire d’une formidable tension entre le nomade et le sédentaire que nous portons tous en nous et que le peuple juif a expérimentée presque sans trêve durant des millénaires. Caïn et Abel, Caïn le cultivateur est le meurtrier de son frère Abel le nomade.

Dans le Lévitique, il y a cette prescription selon laquelle les hommes ne sont que usufruitiers tandis que le propriétaire est Élohim. Très belle prescription qui tend à instituer une justice sur le bien alors le plus précieux, la terre.

La Bible juive est le grand livre de l’action et en ce sens c’est un livre romantique, un livre qui célèbre l’élan. C’est un grand roman de chevalerie juive. A ce propos, le peuple juif a aussi été un peuple de guerriers et il a donné au cours de l’Antiquité nombre d’excellents soldats très appréciés. Aujourd’hui, avec la refondation de l’État d’Israël et, même avant, avec le Foyer national pour le peuple juif, ses kibboutzim et le Hashomer, Israël montre qu’une certaine image dégradée du Juif a vécu, une image très complaisamment véhiculée dans le monde chrétien qui semble n’apprécier le Juif que lorsqu’il est affaibli, tandis que le Juif souverain et armé pour protéger sa souveraineté irrite. Cette remarque est applicable au monde musulman qui a besoin de ses dhimmis, avec le Juif comme parangon des figures avilies.

L’histoire d’Israël est certes pleine de violences et d’injustices, c’est un monde parcouru d’immenses tensions, ainsi que le rapporte la Bible. Mais ce constat n’est en rien une spécificité des Hébreux, contrairement à ce que Simone Weil nous serine, Simone Weil et son antijudaïsme forcené. Ce qu’elle semble ne pas voir – ne pas vouloir voir – c’est que dans l’histoire d’Israël il y a une volonté permanente de rectifier, d’améliorer, d’œuvrer à un monde plus juste, un monde qui soit plus un monde de justice que de monde de charité. L’histoire des prophètes d’Israël est de ce point de vue éloquente. Et Israël veut entraîner le monde à sa suite.

J’en reviens à Simone Weil qui me pose décidément bien des problèmes. Cette Juive pétrie d’antijudaïsme, cette fervente admiratrice de l’Égypte et de la Grèce ne cesse de dénoncer avec rage les Hébreux, leur particularisme soi-disant haineux qui expliquerait la détestation de tous les peuples à leur égard. Elle semble oublier que la notion d’égalité et de justice sociale a été portée par le peuple juif plus que par n’importe quel autre peuple. On peut trouver éventuellement à redire dans l’application de cette notion, Nobody’s perfect comme le dit Billy Wilder ; il n’empêche, aucun peuple n’a mieux exprimé sa volonté de l’appliquer dans les vicissitudes de l’histoire que le peuple juif, et avec un entêtement qui devrait forcer le respect et l’admiration. Parmi les membres de ce peuple, Jésus, entre autres prophètes, Jésus le Juif et en aucun cas le Christ (ou Jésus-Christ), créature théologique, œuvre de Saül de Tarse (devenu saint Paul), envisagée comme tête de l’Église.

Ainsi que le souligne Pierre Paraf au chapitre IV du livre en question, l’Église qui avait autorité sur le peuple « s’employa de son mieux à accroître cette méfiance et cette hostilité mais souvent protégera le Juif contre les haines qu’elle a déchaînées ». Plus j’étudie l’histoire du christianisme et de l’Église en regard des Juifs, plus ce comportement m’apparaît comme une ligne directrice. Car les Juifs témoignent d’une antériorité sans laquelle le christianisme n’aurait pu être, une antériorité qui perdure et contre laquelle le « Verus Israel » s’acharne et ne peut rien, une antériorité qui l’inquiète et qui de ce fait lui apparaît comme diabolique aux époques médiévales puis simplement irritante, l’Église perdant en pouvoir et en influence. Il est triste de constater que la relative ouverture de l’Église envers le monde juif et Israël s’explique d’abord par son affaiblissement. Une Église forte et triomphante réenfourcherait son dada anti-judaïque voire antisémite, avec le Juif diversement diabolisé. Il est vrai que l’antipathie envers le Juif se fait à présent volontiers antipathie envers Israël.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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