“Whenever a theory appears to you as the only possible one, take this as a sign that you have neither understood the theory nor the problem which it was intended to solve.” Karl Popper
Les théories ont un rôle immense dans notre vie, y compris en politique au sens large du mot. Nous ne cessons d’œuvrer à partir de théories sans avoir toujours vraiment conscience qu’elles sont aussi fragiles que la vie.
Le fait le plus important de l’histoire humaine, la formation du langage, le langage qui fait que l’homme est homme. La formation du langage nous permet de placer les hypothèses hors de nous-mêmes – avant sa formation, celui qui portait des hypothèses s’identifiait à elles. Le langage va instaurer une distance entre l’homme et les hypothèses, ce qui va autoriser le regard critique et éventuellement la possibilité de les combattre plutôt que de se combattre entre hommes.
Question centrale de la philosophie de Karl Popper (relative au caractère scientifique des théories) : le questionnement au sujet de la valeur des affirmations scientifiques. Voir sa critique du marxisme. L’année 1919 et son importance dans la biographie de Karl Popper. Il note que la théorie se forme avant l’observation, l’observation qui peut influencer la théorie. Chaque théorie résulte de la modification d’une théorie antérieure et cette modification a des causes diverses nées de l’expérience, comme une attente déçue, une illusion suivie d’une désillusion. Une catastrophe redistribue les expectatives et contribue à la formation de nouvelles perspectives, d’un nouvel horizon.
Du système ptolémaïque au système copernicien, de la physique de Newton à celle d’Einstein. Copernic n’a jamais prétendu remplacer le système copernicien ; il a simplement affirmé que ce qui pouvait être expliqué dans le système géocentrique pouvait l’être pareillement dans le système héliocentrique. Les possibilités de réfutation du système ptolémaïque ne sont venues et massivement qu’après – et c’est l’une des thèses de Karl Popper que le système copernicien est alors devenu véritablement scientifique alors qu’auparavant il n’était qu’une interprétation comparable à l’interprétation ptolémaïque. C’est avec Galilée que se structure quelque chose de très différent, avec sa découverte des satellites de Jupiter, une sorte de système solaire en plus petit, ce qui le conduira à émettre l’idée que le système solaire tourne autour du corps le plus massif, soit le Soleil. Autre découverte de Galilée, découverte peut-être plus importante encore, les phases de Vénus, car cette découverte ne pouvait trouver d’explication dans le système ptolémaïque tandis qu’elle renforçait le système de Copernic qui pouvait admettre les phases de Vénus.
“There is no history of mankind, there are only many histories of all kinds of aspects of human life. And one of these is the history of political power. This is elevated into the history of the world.” Karl Popper
Kepler quant à lui va s’efforcer d’expliquer le monde comme un tout. Il ne part pas d’observations pour étayer ses théories mais élabore des théories avant de se demander si des observations pourront les appuyer. Ainsi, par l’observation, Kepler en vient à réfuter le mouvement circulaire des planètes ; il envisage d’autres formes de leur mouvement et, suite à diverses hypothèses, il en arrive à l’ellipse. C’est la première loi de Kepler, un pas immense a été accompli. Le mouvement circulaire est aisé à comprendre – et Galilée ne croyait qu’à ce mouvement. L’idée fondamentale de Kepler est que tout mécanisme (à commencer par les mécanismes célestes) décrit des figures géométriques simples.
Kepler est convaincu que le monde est harmonieux. La réfutation de l’orbite circulaire pour l’orbite elliptique ne dérange pas cette harmonie, elle y ajoute tout au plus une simple complication. De fait, Kepler formule une idée dont il tire une déduction qu’il confronte à des faits observables. Newton découvre la loi d’attraction, une loi qu’il est impossible de déduire d’une manière ou d’une autre des lois de Kepler. La force de gravité est une théorie qui se base sur une idée entièrement nouvelle. Et tout ce qui est alors connu semble confirmer cette théorie de Newton. De fait, aucune théorie ne s’est vérifiée à ce point, une théorie capable d’expliquer la structure du monde et même de prévoir son évolution. Jusqu’à présent, rien ne s’est opposé à cette théorie au point qu’il n’est pas exagéré d’affirmer qu’elle reste l’événement majeur de l’histoire de l’esprit humain.
“Optimism is a duty. The future is open. It is not predetermined. No one can predict it, except by chance. We all contribute to determining it by what we do. We are all equally responsible for its success.” Karl Popper
Chaque nouvelle invention technique infirme les théories établies. Avant l’invention du téléphone, il était entendu que l’homme ne pouvait en aucun cas parler à distance, et ainsi de suite. Chaque théorie scientifique – chaque « preuve », chaque « confirmation » – contient un principe de réfutabilité. Toute théorie est transitoire, autrement dit ouverte, non verrouillée, sa confirmation définitive est impossible.
La science se construit à partir d’intuitions, d’intuitions mathématiques. Elles ne sont pas tout mais elles comptent. Selon Einstein, les scientifiques (dont lui-même) sont influencés par la simplicité et la beauté mathématiques d’une théorie, simplicité et beauté qui les aident dans leurs recherches, qui les aident dans leur observation du monde. La recherche scientifique, un tâtonnement continuel dans l’obscurité et dans toutes les directions, d’une manière nullement mécanique. La science s’efforce de vérifier des idées, des images du monde. La science prouve les mythes, ce qui se laisse clairement pressentir chez les premiers scientifiques, soit les philosophes présocratiques, très influencés par la formation des mythes et dont les interrogations étaient par ailleurs parfaitement rationnelles, soit orientées vers la recherche de la vérité.
Karl Popper, un philosophe qui bouscule la théorie vérificationniste de la signification et élabore la réfutabilité comme frontière entre science et pseudo-science. Selon la théorie vérificationniste de la signification ou Vérificationnisme (Verifikationismus), un énoncé n’a de signification cognitive (susceptible d’être vrai ou faux) que s’il est vérifiable par l’expérience – voir l’empirisme logique.
Karl Popper ne s’est jamais présenté comme un philosophe politique, il n’empêche qu’il est aussi un philosophe politique comme le sont tous les authentiques philosophes et non les simples amuseurs. Son influence sur la pensée libérale n’est pas des moindres. Il a participé à la fondation de la Société du Mont-Pèlerin, à Vevey, en Suisse, juste après la Deuxième Guerre mondiale, une société qui se soucie de la protection de la liberté de l’homme. Dans « The Open Society and Its Enemies » et « The Poverty of Historicism », écrits en 1945, il soumet l’historicisme ainsi que les théories politiques qu’il engendre à la critique. Attaché à l’indéterminisme, il s’emploie à montrer qu’en toute logique il est impossible de déterminer le futur. Dans ce premier livre, il s’en prend à Platon, Hegel et Marx à qui il reproche de ne considérer l’histoire que pour mieux affirmer qu’elle obéit à des lois qui déterminent le cours des événements, une idée qui promeut la fatalité historique et ainsi entrave le progrès.
“Since we can never know anything for sure, it is simply not worth searching for certainty; but it is well worth searching for truth; and we do this chiefly by searching for mistakes, so that we have to correct them.” Karl Popper
Toute théorie est critiquable et doit être critiquée et rien ne doit empêcher l’exercice de cette critique, notamment par l’expérience. Le pouvoir politique peut être un obstacle à la liberté de critiquer, obstacle au développement de la science et de la technique elles-mêmes. Le lyssenkisme en est un exemple extrême. A propos de Lyssenko et du lyssenkisme, je conseille les travaux de Denis Buican, philosophe et historien des sciences.
Concernant Marx, Karl Popper reconnaît qu’il est un rationaliste – et non moins que Socrate ou Kant, avec la raison comme vecteur unificateur de l’humanité. Fort bien. Mais Karl Popper classe toutefois Marx parmi les ennemis de l’Open Society. Il lui reproche une approche exiguë de la raison et du rationalisme ; et ce reproche est d’autant plus appuyé que Marx a fait un nombre incalculable d’émules et aux plus hauts niveaux du pouvoir politique dans de nombreux pays. Sa pensée est enferrée dans le déterminisme : le vécu est intégralement sociologisé (nous ne sommes pas maîtres de nos jugements qui ne sont que la manifestation de nos intérêts de classe) ; par ailleurs, cette pensée s’entête à vouloir prédire le cours de l’histoire (voir l’historicisme de Marx), ce qui est déjà un problème pour Karl Popper. Ajoutons en passant que si les analyses de Marx ne sont pas toutes sans valeur, ses prédictions ont toutes été infirmées. Et si l’influence de Marx a bien diminué, elle est encore notable et rien ne dit qu’elle ne reprenne pas de la force comme ces fièvres endémiques. Un excès de rationalisme vaut a priori mieux que l’irrationalisme ; mais lorsque cet excès s’allie au mysticisme prophétique et s’empare du pouvoir, le pire est à craindre. Voir la Révolution bolchevique. Karl Popper nous l’a dit : un rationaliste, même s’il est conscient de sa valeur intellectuelle, jamais ne cherchera à imposer son autorité car il sait que la valeur qu’il porte tient indéfectiblement à sa capacité à accepter la critique et à reconnaître ses erreurs. Le choix n’est plus entre connaissance et foi mais entre deux types de foi : l’une qui fait confiance à la raison et à l’individu ; l’autre qui s’en remet à une mystique collective.
Et à l’adresse de certains mouvements totalitaires dont le Wokisme, je reprends cette invitation de Karl Popper : “Less well known is the paradox of tolerance: Unlimited tolerance must lead to the disappearance of tolerance. If we extend unlimited tolerance even to those who are intolerant, if we are not prepared to defend a tolerant society against the onslaught of the intolerant, then the tolerant will be destroyed, and tolerance with them. — In this formulation, I do not imply, for instance, that we should always suppress the utterance of intolerant philosophies; as long as we can counter them by rational argument and keep them in check by public opinion, suppression would certainly be unwise. But we should claim the right to suppress them if necessary even by force; for it may easily turn out that they are not prepared to meet us on the level of rational argument, but begin by denouncing all argument; they may forbid their followers to listen to rational argument, because it is deceptive, and teach them to answer arguments by the use of their fists or pistols. We should therefore claim, in the name of tolerance, the right not to tolerate the intolerant. We should claim that any movement preaching intolerance places itself outside the law, and we should consider incitement to intolerance and persecution as criminal, in the same way as we should consider incitement to murder, or to kidnapping, or to the revival of the slave trade, as criminal.”
Olivier Ypsilantis