27 octobre
Au petit-matin j’apprends que l’aviation israélienne pilonne des objectifs en Iran et en Syrie. La chute du régime iranien n’est peut-être pas si lointaine. Israël pivot du monde, Israël porteur de clés, Israël qui ouvre les portes au fond du couloir obscur et qui désigne des espaces où se déployer. Israël a déclenché cette attaque aux premières heures du 26 octobre, en plein shabbat donc.
Je poursuis la lecture d’Eric Newby alors que le jour commence à se lever. Les ventilateurs tournent déjà et peut-être n’ont-ils cessé de tourner. Un employé grisonnant démonte le Fly Trapper pour le nettoyer. Un autre employé s’installe devant le grand registre Foreigner’s arrival and departure et il se renverse dans son fauteuil en osier, probablement bien décidé à se replonger dans le sommeil. Une vache s’est introduite dans la cour de l’hôtel et broute des arbustes placés dans de gros pots en argile. L’employé préposé au nettoyage du Fly Trapper décide de l’en empêcher ; il le fait avec déférence, ce qui permet à la vache de brouter encore un peu.
Notes prises en écoutant Yitshak Adda interviewé par Antoine Mercier sur Mosaïque : « Décryptage de l’ultra-violence : les coulisses du 7 octobre ». L’ultra-violence, soit la déshumanisation des corps avec mutilations et acharnement sur les parties sexuelles. Sa référence au livre de Samuel Huffington, « Clash of Civilisations » qui évoque les frontières sanglantes de l’islam (voir détails), sans oublier les multiples violences intra-musulmanes. Le Dar al-islam et le Dar al-Harb, soit la zone de guerre et la zone à être islamisée. La question du rapport à l’autre dans l’islam, la question de l’altérité dans l’islam. La dissolution du moi (la question du rapport du rapport à soi-même en terre d’islam) et la clôture de la pensée. Référence à Adonis le poète. La prophétie de Muhammad marque la fin du cycle de la prophétie, autrement dit la parole de Muhammad est définitive, intouchable car parfaite. Ainsi donc le croyant n’a qu’à se soumettre corps et âme à cette parole et aux préceptes de l’islam et sans retenue. En terre d’islam l’individu subit une grande violence : la pensée individuelle est comme frappée d’interdit – négation du moi qui se noie dans l’oumma. L’islam, un abandon de tout l’être et sans réserve entre les mains d’Allah. Être musulman c’est être soumis (ce que le mot « islam » suggère déjà), soit soumis à la charia. Selon l’islam le monde se divise donc entre soumis et insoumis – appelés à être soumis. Aucun progrès n’est possible car l’avènement du parfait a déjà eu lieu et il n’est pas concevable – ou tout au moins inutile – de le reproduire à l’identique. En conséquence s’il y a un avenir il ne peut que résider dans le passé. Un petit livre à lire, « Isaac, gardien de son frère ? » d’Éliane Amado Levy-Valensi. La difficulté des musulmans à envisager l’altérité, l’altérité qu’ils envisagent comme une agression et une humiliation, l’altérité qui les fait douter d’eux-mêmes. Ainsi, pour mettre fin au doute, doivent-ils l’anéantir. L’autre ne devient tolérable que s’il est soumis, ramené à lui-même, à l’identique. Il y a dans l’islam un fantasme de l’uniformisation et à l’échelle mondiale, de l’uniformisation de l’autre. L’islam islamise tout ce qui l’a précédé, c’est un vaste processus d’appropriation par effacement de toutes les traces qui témoignent d’un passé préislamique. Le rapport de l’homme à la femme (problème de l’altérité encore). Ismaël ne parle pas ; or, ne pas parler engendre la violence.
Une amie de Jérusalem m’écrit : « Contrairement aux alphabets des langues occidentales, l’alphabet hébraïque est consonantique. Les mots sont composés à partir de trois consonnes. Ces trois consonnes (rarement quatre) donnent une signification ou idée que l’on peut appeler une idée-mère qui va donner plusieurs idées-filles ; par exemple, la racine ספר SFR ou SPR (en hébreu les sons F et le P s’écrivent avec une même lettre). La première idée de cette racine : tout ce qui est lié au livre (au texte) sefer, livre ; SiPouR, histoire ; SoFeR, scribe ou écrivain. La deuxième idée nous mène a des mots qui ne lui sont pas apparemment reliés comme Sapar : un coiffeur, miSPaRaim : des ciseaux, liSPoR : compter. En fait, pour comprendre le lien, il faut dans ce cas remonter à l’histoire de l’écriture où les premiers signes d’une proto-écriture se faisaient par des encoches sur des bâtons et servaient à compter les sacs de blé ou les têtes de bétail. Les encoches, des coupures, ont donné le mot SaPaR, celui qui coupe les cheveux, et donc le mot miSPaRaim, les ciseaux.
La première idée de la racine א ל מ Aleph est la mutité. Le muet Alim (Aleph-i L-e M) est incapable d’exprimer ce qu’il ressent. Cette première idée nous conduit tout de suite à une deuxième idée, le mot veuf : alman ALMan. Le veuf n’a plus son alter ego, comme Alim il ne peut s’exprimer comme il le voudrait ; il est donc muet. Troisième idée, la violence. La violence, ALiMout, est souvent engendrée par une non-communication ; c’est le cas, par exemple, de l’histoire du meurtre d’Abel par Cain. Cain est jaloux, se jette sur son frère et le tue sans dire un mot. Ajoutons Ismaël le muet, Ismaël le jaloux. »
Les courants non intégristes de l’islam, des courants que je situe dans certains rameaux du chiisme. Tendre la main à Ismaël (l’ancêtre des musulmans), Ismaël qui ne parvient pas à grandir, à entrer dans la modernité. Or, le plus proche d’Ismaël est Israël, Israël attaché à son histoire, à sa terre, mais clairement ouvert à l’altérité. Faire entrer Ismaël dans le monde de la parole, de l’altérité ; mais pour ce faire il faut l’affronter en commençant par refuser son chantage, en refusant par exemple cette accusation de « réaction disproportionnée » qui se veut dissuasive et qui est étrangement et spécifiquement appliquée à Israël et son armée.
Va-t-on vers une escalade ? Je ne le crois pas. L’Iran va jouer en douceur et finir par déclarer match nul. Le régime cherche avant tout à rester en place quitte à assister à une sensible diminution de son influence extérieure suite aux coups répétés contre ses proxies. Le régime iranien prend note de l’efficacité des frappes israéliennes et les minimise devant son opinion publique. Comment retourner le peuple iranien ou tout au moins une majorité du peuple iranien contre ce régime ? Car ce doit être le peuple iranien qui renverse ce régime, avec un appui étranger certes, mais le peuple iranien d’abord, car c’est le seul moyen d’espérer établir un régime légitime et durable dans ce pays. L’Iran n’est pas un pays historiquement ennemi d’Israël. L’Iran n’a pas envers Israël le passif qu’ont les pays arabes envers Israël. Et la Bible évoque une période lumineuse entre les Perses et les Hébreux, du temps de Cyrus. Hébreux (Juifs) et Perses sont pareillement prestigieux par l’ancienneté.
28 octobre
Rishikesh. En compagnie d’Eric Newby. « The cemetery dated back to the time of the East India Company. With its crumbling temples, obelisks, truncated pyramids and columns symbolically broken it was like the ruins of ancient Rome in microcosm. But the small boys playing cricket among the tombs, saying “Ullo, Ullo, ‘ow are you?”, “Very well thank you”, the nim and banyan trees whose leaves dappled their cricket pitch with shadows and the great anaemic-looking cows nuzzling the outer wall left one in no doubt that this was a long way from the Imperial City. »
Les mille vertus que l’on prête au Gange. Je m’y suis baigné à tout hasard. Ses eaux semblent propres à Rishikesh, elles sont même d’un beau vert. Une fois encore, tout ce que les Indiens transportent et de diverses manières pourrait faire l’objet d’un très pertinent reportage photographique. Le camion à ordures diffuse à l’aide d’un haut-parleur placé au-dessus de la cabine du chauffeur une musique assourdissante et qui grésille, des variétés indiennes. Il se gare et les commerçants de la rue se dirigent vers lui avec leurs poubelles qu’ils vident directement dans la benne tandis que le chauffeur somnole. J’observe les hauteurs estompées par la brume. Les odeurs de l’Inde, les couleurs de l’Inde. Et toujours cette chaleur humide dans la journée. Le Mala Rudraksha partout décliné. Des singes s’épouillent avec une très grande application, des chiens se reniflent, et des hommes sont accroupis, immobiles comme des morceaux de bois dont ils ont la tonalité. De fait, je les distinguerais à peine des arbres sous lesquels ils se sont installés s’ils n’étaient vêtus de pièces de tissu safran. A côté de moi, un groupe de trois Français, deux femmes et un homme. Je les écoute ; ils tournicotent autour de leur ego et reniflent leur nombril. En ville, chaque poteau électrique mériterait d’être photographié pour constituer une autre série thématique. Il m’arrive d’en détailler longuement certains tant l’embrouillement des fils est grand.
Eric Newby note au moins à deux reprises que « the smell of their excrement was like rotten chocolate. » Il s’agit des excréments de chauves-souris. Cet autre passage : « There is a big well in the city of Pratisthanpur and a man becomes rid of sin by seeing it or drinking water from it. He will obtain the fruit of having walked round the whole earth by walking round this well on the full and new moon days and on the occurrence of the solar and lunar eclipses. He derives much merit by a bath in it and by giving charity there he will enjoy the pleasures of heaven. There is no doubt about that. » De cette dernière phrase émane une subtile ironie. Il y a par ailleurs dans les écrits de ce voyageur anglais des qualités picturales qui m’évoquent celles d’écrits d’Eugène Fromentin, comme « Un été dans le Sahara », « Une année dans le Sahel » et « Voyage en Égypte ».
Tout me semble circulaire ici, à commencer par le rythme (litanique) des prières. Au centre du drapeau indien, une roue à rayons. Ce constat est soit réconfortant soit inquiétant (voire angoissant) suivant le point de vue adopté.
« There were jackals on the bank and corpses in the river, very white, with their legs extended and one of them had a crow walking up and down it, like a captain pacing the bridge, but these macabre details were as nothing compared with the splendour of the yellow river swirling down under the huge sky eight hundred and eighty miles west-north-west of the Bay of Bengal. » L’Inde est ainsi, le pénible est aussitôt contrebalancé par le splendide et inversement. Ainsi, aujourd’hui, au moment de passer devant des toilettes publiques immondes avec odeurs à vomir est passée à côté de moi une très belle femme dans un sari jaune ourlé de rouge.
Écouté « L’offensive frériste en Europe dévoilée », entretien Florence Bergeaud-Blackler et Antoine Mercier, sur Mosaïque. Cette femme est blacklistée par l’université en France qui cherche à éviter une organisation qui l’inquiète. Les Frères musulmans utilisent l’entrisme de préférence à la violence. 1960, début de l’influence idéologique des Frères musulmans en Europe. Un islamisme adapté aux démocraties libérales sécularisées. Les Frères musulmans planifient d’occuper tout l’espace normatif musulman en Europe. Il s’agit non pas d’une théologie ou d’une école juridique mais plutôt d’un système d’action qui cherche à conduire l’ensemble des courants et des écoles de l’islam dans un mouvement islamiste avancé mondial, soit un califat moderne capable d’utiliser les technologies les plus avancées. Ce mouvement est né dans les campus universitaires d’Europe et des États-Unis. On évoque une fois encore le Dar al-Islam et le Dar al-Harb. Tout a été dit, il suffit de découvrir ce qui a été dit ; on peut alors se concentrer sur l’objectif et l’action, d’où la force considérable de ce mouvement dans l’oumma. Visée eschatologique : il faut suivre le plan de Dieu. On ne choisit pas de devenir Frère musulman, on est choisi par eux pour être formé au cours d’un long processus. Ce système de formation est d’autant plus performant qu’il agit à l’insu de celui qui a été choisi et qui est formé. Ainsi peut-on porter en soi le logiciel des Frères musulmans sans le savoir. Sayyid Abul Ala Mauduni (1903-1979) est l’ingénieur du système islam dans la modernité. Tout est systémique dans l’islam, et ainsi envisage-t-il de faire passer le système islam dans la modernité. Voir le marché halal – alimentation mais aussi banque, tourisme, etc. Les Frères musulmans ou une tentative de fusion de tous les mouvements musulmans, des plus radicaux aux plus modérés, un plan de conquête par le milieu. Voir les théoriciens européens de la guerre menée par les Frères musulmans, une guerre menée à partir des élites et surtout des universités – contrairement aux Frères musulmans égyptiens qui s’adressent aux masses. La lutte contre l’islamophobie (une priorité frériste) et le marché halal global destiné à préparer l’acceptation mondiale de l’oumma. S’employer à faire croire que si des Musulmans commettent un attentat c’est parce qu’ils sont attaqués ; on déclenche alors les sirènes de l’islamophobie ; et lorsqu’un non-Musulman est attaqué par un Musulman on rameute et il faut alors protéger les Musulmans. L’islamisation de la connaissance. Le wokisme est encouragé par les Frères musulmans afin de créer un ramollissement qui permettra à l’islam de s’imposer. Du scénario soumission à l’islam politique, avec élection de responsables musulmans. Le 7 octobre a mis en évidence l’action des Frères musulmans dans les universités d’Europe, avec les wokistes dans le rôle des idiots utiles.
L’échelle de Kardachev (proposée en 1964), soit une méthode théorique de classement des civilisations en fonction de leur niveau de développement technologique et de leur consommation énergétique. Voir les propositions d’Elon Musk à partir des travaux de ce physicien soviétique. Selon Elon Musk une superficie de panneaux solaires de 160 km sur 160 km (soit une très petite portion d’un État comme le Nevada ou l’Utah) pourrait alimenter un pays comme les États-Unis.
(à suivre)
Olivier Ypsilantis