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Carnet indien (octobre 2024) – 1/16

Préparation des bagages ; ils seront légers, la température est clémente en cette saison au Nord de l’Inde ; et en voyage dans des climats cléments j’ai pris l’habitude de laver chaque soir mes vêtements de la journée avant de me coucher ; ainsi puis-je réduire considérablement le volume et le poids de mes bagages.

Quel livre emporter ? J’ai toujours besoin d’un livre en voyage car par la lecture j’ajoute un voyage au voyage, je voyage doublement. Le livre qui voyagera sera probablement « Slowly Down the Ganges » d’Eric Newby soit vingt-six chapitres pour un voyage dont le nombre de jours correspond plus ou moins à ce nombre de chapitres.

Eric Newby ouvre ainsi son introduction : « This is the story of a twelve-hundred-mile journey down the Ganges from the place where it enters the Plains of India to the Sandheads, forty miles offshore in the Bay of Bengal, made by two Europeans in the winter of 1963-4.  » Je commence cette lecture à Lisbonne, le 23 septembre, sur la place de Rato, dans ce café où je me suis essayé à une « Tentative d’épuisement d’un lieu lisboète », en souvenir de Georges Perec, un exercice que j’avais pratiqué avec un même plaisir au début des années 1990, dans des cafés de la place du Capitole à Toulouse. Je ne vais pas m’y adonner aujourd’hui, simplement je note la présence d’une affiche collée par le Bloco de Esquerda : Alojamento Local (AL) en vez de Habitação – Especuladores agradecem. Passe un tramway jaune sur lequel je lis : O licor de Portugal – Beirão, gelo e limão.

 

Eric Newby (1919-2006)

 

Le Gange ne figure pas parmi les plus longs fleuves du monde ; mais sa grandeur ne tient pas à sa longueur, elle tient à ce que des centaines de millions d’Hindous le considèrent comme « the most sacred, most venerated river on earth ». Aux haltes ce livre amplifiera donc ce voyage dans le Nord de l’Inde puisqu’il me portera toujours plus vers l’Est de l’Inde, un voyage dans l’espace mais aussi dans le temps, soit le plus voyage des voyages, le plus dépaysant. Nous sommes en 2024 et ce livre rend compte d’un voyage effectué en 1963-64, soit il y a soixante ans. L’Inde a changé depuis, et l’Inde change de plus en plus vite. Le monde entier est entré dans un accélérateur de particules.

Eric Newby : « I love rivers. I was born on the banks of the Thames and, like my father before me, I had spent a great deal of time both on it and in it. »

25 septembre

Pluie sur Lisbonne. J’avais oublié la pluie sur Lisbonne. C’est une pluie tiède, amicale. On est encore en chemisette et en short. C’est une pluie douce comme celles que j’ai connues aux Açores et, en été, à Dublin et à Londres.

Dans le voyage, il y a ces jours qui précèdent le voyage, une légère tension, comme un serrement au cœur, nullement désagréable et peut-être même agréable. Cette tension et ce serrement ne cesseront que lorsque l’avion se trouvera positionné sur la piste, prêt au décollage. Tout en écoutant la pluie sur le store et en inspirant son parfum je pense à la casa cueva récemment achetée à Galera, sur l’Altiplano granadino. C’est le lieu où je me sens à présent le plus chez moi ; j’y reviens volontiers par le souvenir lorsque le monde m’enserre ; « Galera is my home », comme le dit un Américain qui apparaît dans une vidéo mise en ligne, Welcome to Galera.

J’appartiens à une espèce en voie de disparition, l’espèce qui écrit encore à la main. Il ne s’agit pas pour moi de faire de la résistance ou de chercher à me distinguer, j’ai mieux à faire, beaucoup mieux à faire. Simplement, j’aime m’offrir ce plaisir simple d’écrire ainsi, de laisser aller ma main dans l’espace de la page, d’y tracer des signes qui ne font appel à aucune technologie digitale. C’est un moment de grande liberté avant le retravail entre le clavier et l’écran qui permettra d’affiner la matière. Et puis j’ai grandi dans l’amour du papier, entre les vieux livres odorants des bibliothèques familiales et mes études à l’École des beaux-arts. Le papier ! Le papier est un monde immense. J’ai un rapport très sensuel avec lui, son grammage, sa contexture, son grain (comme celui d’une peau), sa tonalité, son format, son odeur aussi, car chaque papier à une odeur. A ce propos, je me souviens de l’odeur de l’encre d’imprimerie qui venait des journaux que des lecteurs dépliaient dans les rames du métropolitain. Il y a le support (le papier), il y a aussi l’outil qui confirme le rapport entre la main et le support. Pour l’heure j’écris avec une pointe fine Uni-Ball Eye micro de Mitsubishi Pencil Co., Ltd. Made in Japan. J’apprécie sa finesse et la manière dont son encre pénètre le papier juste ce qu’il faut, un papier légèrement ivoire, une tonalité que donne l’eucalyptus ; ce carnet est Made in Portugal. Et tout en écrivant je pense à ce si beau livre, « Hobby » de Jiří Fried, et aux frères inventeurs du stylo à bille, Lázló et Georg Biró. Parmi les caractéristiques du stylo à bille que j’emploie, son système unique « Uni-Flow » qui permet une écriture d’égale intensité jusqu’à la dernière goutte. Par ailleurs, sa pointe en acier inoxydable avec bille en carbure de tungstène lui assure une très grande fiabilité. Le monde du papier, le monde des outils de l’écriture dont les stylos à bille, toute une poésie qui procède de précisions techniques.

28 septembre  

Autocar Lisboa-Madrid, départ 12h45 de la Estação de Oriente. Une fois encore, et tout en attendant l’autocar, je détaille cette belle architecture de Santiago Calatrava, un monde qui m’évoque le monde végétal (les nervures de la feuille), le monde des coquillages et du squelette siliceux des radiolaires. Mais cette architecture nécessite de l’entretien, beaucoup d’entretien, comme l’art baroque ; car sitôt que la crasse ou les marques du temps si mettent, les œuvres de Santiago Calatrava comme celles du Baroque ne tardent pas à devenir misérables. De fait, les réalisations de Santiago Calatrava ne supportent pas la moindre trace de vieillissement, contrairement à d’autres réalisations qui s’en accommodent et même s’en enrichissent. Le vert acide des autocars Flixbus. Je lis : IberoCoach International Lines, Rodoviária do Alentejo, Carris metropolitano, Paragem, Rede Expressos. Traversée de l’estuaire du Tejo par le pont Vasco de Gama. Ciel voilé, eaux métallisées, Montijo et des figures d’eau un peu partout sur les bords de l’agglomération, certaines plutôt rondes, d’autres plutôt anguleuses. Des pins et des eucalyptus, des chênes-lièges (sobreiros) – le Portugal comme premier producteur mondial de liège. Des nids de cigognes un peu partout dans les ternes. Traversée de l’Alentejo. Ondulations molles, herbes jaunies et rêches genre vieux paillasson, Il y a peu de paysages grandioses dans ce pays, et il y en a tant en Espagne. Mais qu’importe, tout mérite notre attention, y compris ce qui nous paraît insignifiant, surtout ce qui nous paraît insignifiant ; et je pense une fois encore à l’invitation de Georges Perec.

Eric Newby n’avait pas vu le Gange depuis plus de vingt ans, « since the time, when, as a young officer, I had spent six months on its banks at a remote military station some fifty miles from Kanpur. » Badajoz à droite. Le beau Guadiana et ses îlots herbeux. Le paysage s’ouvre et les terres sont soignées, plus soignées qu’au Portugal. Des murets en pierres sèches et des figuiers me transportent d’un coup en Grèce, avec des compositions très précises dans une lumière très précise. La légère fatigue du voyage favorise la venue du souvenir, un simple halo parfois ; et c’est l’un des attraits du voyage et non des moindres. Tout en détaillant les paysages traversés, je poursuis la lecture d’Eric Newby dont je goûte le style comme on goûte une friandise. Ainsi, après une tempête de sable à laquelle il échappe de justesse, il se rend sur le Gange après son passage afin d’en constater l’état : « The water was no longer green and sluggish. It has been churned until it was the colour of milky coffee. » Peu avant il évoque son premier voyage au début de la plus chaude saison, « I remember a sky like an inverted brass bowl overhead and the earth like an overcooked omelette beneath it. »

29 septembre  

Le Hezbollah subit des pertes de plus en plus lourdes et le régime iranien semble trembler. Va-t-il enfin tomber ? Il faut soutenir Israël de toutes ses forces, y compris par la prière dont l’Inde ne cesse de réaffirmer la force, la force de la prière. Les ennemis d’Israël sont bavards et ils gesticulent. Dans le lexique des crétins, l’expression « réponse disproportionnée » ne cesse de revenir, car ils se sont autoproclamés maîtres de la proportion et espèrent dicter à Israël ce qu’est une « réponse proportionnée », soit une quasi absence de réponse, étant entendu que le Juif d’Israël (comme le Juif d’antan, le Juif en diaspora) n’a pas vraiment le droit de se défendre et qu’il doit continuer à subir, subir le mépris et les coups. Mais ce temps est révolu et je souhaite que le Hamas et le Hezbollah soient frappés et encore frappés et en dépit des dommages collatéraux, surtout dans la bande de Gaza où la population est très largement favorable au Hamas.

Escale à Madrid dans le quartier de Carabanchel en attendant le vol pour New Delhi via Abou Dabi. C’est un quartier populaire et sympathique où une population d’immigrés constituée pour l’essentiel de Latinos semble cohabiter avec des vieux qui y ont toujours vécu. Je goûte la douceur de l’espagnol outre-Atlantique. 10h30, les fraîches et tièdes figures de l’ombre, des figures dans lesquelles on s’installe en terrasse pour y lézarder. Il y a dans Madrid une belle énergie perceptible jusque dans le métro où les relations semblent plutôt cordiales. De fait on ne cesse de parler dans le métro de Madrid, on y parle autant que dans un café ce qui est plutôt rassurant. Carabanchel, des couples de retraités qui marchent lentement bras-dessus bras-dessous et qui s’attardent au soleil sur les bancs publics. Nombreux commerces tenus par des Latinos mais aussi des Chinois et des Indiens ou des Pakistanais. J’observe un salon de pédicures-manucures, des Asiatiques dont les clientes sont des retraitées du quartier. L’énergie espagnole, l’énergie madrilène, une énergie à laquelle je suis encore plus sensible depuis que je vis au Portugal.

30 septembre

Le Hamas et à présent le Hezbollah sont de plus en plus affaiblis. Le Hezbollah réputé beaucoup plus puissant que le Hamas se délite très vite. Israël frappe la tête avec élimination systématique de ses responsables. Je suppose que cette efficacité s’explique en partie par les nombreuses complicités dont Israël bénéficie sur place, complicités dans diverses communautés y compris diversement musulmanes, lassent du pouvoir du Hezbollah. Cette remarque ne vise en rien à remettre en question l’efficacité intrinsèque de Tsahal. La liste des responsables du Hezbollah éliminés par les frappes israéliennes ne cesse de s’allonger et je dois dire que je les célèbre. Les dirigeants iraniens doivent eux aussi commencer à craindre pour leur vie. La libération du peuple iranien est peut-être proche et avec elle une collaboration israélo-iranienne, irano-israélienne.

Dans le métro de Madrid vers le T4 (Terminal 4) de l’aéroport Adolfo Suárez Madrid-Barajas. Tout à coup, tandis que je prononce « T4 », le malaise me prend car il me vient que ce fut le nom d’un programme d’extermination conçu et appliqué par les nazis, Aktion T4. J’observe l’ergonomie de la rame, le rythme que donne tout un système de barres jaunes à saisir lorsque la rame démarre. A ce propos, le métier de designer est l’un des métiers que j’aurais le plus aimé exercer avec celui d’architecte. C’est aussi pourquoi je lis les écrits de Vilém Flusser avec un plaisir particulier.

A bord d’un Boeing 787-10 Dreamliner de la compagnie Etihad Airways des United Arab Emirate (UAE). Une fois encore je détaille l’ergonomie de l’espace intérieur et jusque dans les moindres détails. Je poursuis la lecture de « Slowly Down the Ganges ». L’auteur voyage en compagnie de sa femme Wanda, un acteur essentiel dans ce récit. Ils sont très en amont du Gange qui n’est en ce point qu’un « attenuated stream », le Gange que le couple se propose de suivre jusqu’à son embouchure, jusqu’à Calcutta.

Les United Nations, une organisation à dissoudre (entre autres organisations). Elle condamne Israël plus que tout autre pays et c’est probablement la raison pour laquelle nombre d’individus lui accordent encore du crédit. Benyamin Netanyahu a raison de déclarer : « Until this anti-semitic swamp is drained, the UN will be viewed by fair-minded people everywhere as nothing more than a contemptuous farce. » L’UNRWA doit être démantelée ainsi que tout le système onusien. Antonio Guterrez a tout mon dédain. Depuis la création du Human Rights Council en 2006 plus d’un tiers des plus de trois cents résolutions votées par cet organisme de l’UN a été dirigé contre Israël. L’ambassadeur d’Israël à l’UN (Genève), Daniel Maron, évoque un « mind-boggling » ; et combien je comprends Israël qui ignore nombre de ses résolutions dont la 194. L’UNRWA, une officine de profiteurs et à l’occasion de terroristes. La mort de ses employés suite aux attaques israéliennes ne m’émeut en rien. Benyamin Netanyahu a demandé à raison que l’UNRWA qui « perpetuates the Palestinian refugee problem (and) whose schools indoctrinate Palestinian children with genocide and terror… be replaced by responsible aid agencies. » On ne saurait mieux dire. L’UN et plus particulièrement l’UNRWA sont responsables pour l’essentiel de la perpétuation du problème palestinien et notamment en faisant des Palestiniens des assistés de génération en génération.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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