Skip to content

Quelques tableaux espagnols – 6/16

Tableau XIII

La conquête du royaume de Grenade multiplie par cinq le nombre de Musulmans dans les royaumes hispaniques. Au lendemain de la prise de Grenade, un mécanisme de conversion se met en marche, conduit dans un premier temps pacifiquement par l’archevêque Hernando de Talavera. Les maigres résultats de cette politique incitent le cardinal XXX Cisneros à organiser des campagnes de conversions forcées en commençant par les Chrétiens convertis à l’islam puis en étendant cette œuvre de prosélytisme à l’ensemble des Musulmans qui finissent par se rebeller.

Entre 1499 et 1501, dans de vastes zones du royaume de Grenade, un soulèvement est réprimé au prix de dures opérations militaires qui provoquent l’exil d’autres groupes de Musulmans de l’autre côté de la Méditerranée.

Tableau XIV

La rébellion de 1499-1501 a pour effet indirect la suppression du statut de mudejaría dans le royaume de Castille. Les Musulmans de Castille doivent choisir entre la conversion ou l’exil. Les convertis sont connus comme les conversos, thème générique qui peut désigner les Musulmans ou les Juifs. Un terme spécifique aux Musulmans convertis : moriscos. Ils constituent avec les judeoconversos une nouvelle catégorie de cristianos nuevos, susceptibles d’attirer l’attention de l’Inquisition qui reste toutefois envers eux moins rigoureuse et plus patiente qu’envers les Juifs. Mais la question des moriscos est posée. Elle resurgira sous le règne de Carlos V (avec la suppression définitive du statut de mudejaría en 1525), sous Felipe II (avec la guerre des Alpujarras) et sous Felipe III (avec leur expulsion définitive).

Tableau XV

La pensée espagnole du XVIe siècle se structure à partir de la tension entre le projet de sécularisation présenté par l’humanisme du début du siècle et le confessionnalisme dans lequel est immergée toute la vie sociale, politique et intellectuelle du pays. Si la première moitié de ce siècle est dominée par l’érasmisme, dont le discours imprègne le monde intellectuel du règne de Carlos V, la pensée néoscolastique prend la relève et domine toute la culture espagnole jusqu’à la fin du XVIe siècle et au-delà, au point que ce sont les théologiens qui structurent et activent la philosophie politique et la théorie économique.

L’Inquisition ne se limite pas à contrôler les écrits religieux mais tout type d’écrits, qu’ils soient politiques, économiques, scientifiques ou littéraires. Le passage de l’un des courants hégémoniques à l’autre dans la pensée espagnole du XVIe siècle peut être symbolisé par la désarticulation du cercle érasmiste de l’université d’Alcalá de Henares, une université dont le but est de diffuser l’humanisme et accompagner la réforme intellectuelle de l’Église. Ces années voient la montée de l’université de Salamanque et ses écoles de théologiens qui sont également des économistes et des théoriciens du droit et de la politique.

Parmi les adeptes de l’érasmisme figurent Juan Luis Vives (une figure à laquelle je m’intéresse depuis des années et à laquelle j’ai consacré un article sur ce blog) et les frères Alfonso de Valdés et Juan de Valdés, sans oublier Fernán Pérez de Oliva. La persécution dont seront victimes les érasmistes n’empêchera pas la pénétration de leurs idées dans l’œuvre de nombreux humanistes comme Pedro Mexía, Juan de Mal Lara ou l’auteur inconnu du « Viaje de Turquía ». L’influence de l’érasmisme sera notable chez nombre d’écrivains de la seconde moitié du XVIe siècle, parmi lesquels Cervantes.

Tableau XVI

L’Inquisition se charge donc de contrôler tous les courants jugés hétérodoxes. Parallèlement, la théologie espagnole atteint son zénith à partir de la seconde moitié du XVIe siècle avec des penseurs de premier plan. Francisco de Vitoria est le premier titulaire de la chaire de prima de l’université de Salamanque. Il est l’introducteur de la néoscolastique thomiste dans les espaces universitaires et un contributeur essentiel à la philosophie du droit et à la philosophie politique par ses célèbres « Relectiones Theologicae », en particulier celle où il est question de la domination espagnole en Amérique (« De Indis », 1539), un texte fondamental relatif au droit des gens. Le dominicain Melchor Cano qui lui succède à la chaire de prima de l’université de Salamanque est le fondateur de la théologie positive (voir « De Locis Theologicis »). Il participe aux deux premières sessions du Concile de Trente et prend part aux polémiques doctrinales de son temps en s’opposant à l’archevêque Bartolomé Carranza et à la Compagnie de Jésus. Le dominicain Domingo de Soto succède à Melchor Cano à la chaire de prima, il participe au Concile de Trente et intervient dans l’une des grandes polémiques du moment au cours de laquelle il participe au débat ouvert entre Bartolomé de Las Casas et Juan Ginés de Sepúlveda, au sujet de la condition des Indiens d’Amérique, avant d’écrire son œuvre la plus importante, le traité juridique « De Iustitia et de Iure » (1557). Par ailleurs, le dominicain Domingo Báñez polémique avec le jésuite portugais Luis de Molina suite à la publication de « Concordia Liberi Artitrii » au sujet de la question fondamentale de la grâce sanctifiante, question par laquelle (espérer) concilier la liberté humaine et l’omniscience divine (une question nommée de auxiliis). Dans cette disputa intervient également la principale figure de la scolastique moderne, le jésuite Francisco Suárez qui apporte la solution de la troisième voie ou congruisme. Wikipedia donne une définition simple et acceptable de ce qu’est le congruisme, soit « une théorie théologique assurant que la grâce accordée par Dieu pour l’accomplissement de bonnes actions l’est en accord avec les circonstances humaines tel que, dans la perspective divine, elle puisse être le plus favorablement utilisée sans rien enlever au libre-arbitre humain ». Son œuvre majeure, un traité intitulé « Disputaciones metafísicas », un grand succès éditorial, en Espagne mais aussi en Europe. Et citons le grand hébraïste Benito Arias Montano qui a travaillé à la réédition de la « Biblía Políglota », également connue sous le nom de Biblia de Amberes car imprimée à Anvers chez Christophe Plantin.

Tableau XVII

Francisco de Vitoria peut également être considéré comme l’authentique fondateur de la pensée politique espagnole du Siglo de Oro, en particulier avec deux de ses cours magistraux, « De potestate civili » et « De iure belli ». Il pose les fondements d’une monarchie absolue limitée non par le droit positif mais par la loi divine et la loi naturelle dans le but de contribuer à la défense d’une organisation chrétienne de la société et, ce faisant, à l’accomplissement des fins terrestres mais aussi célestes des individus, une question également posée par d’autres théoriciens (comme Diego de Covarrubias et Fernando Vázquez de Menchaca) et qui se verra fortifiée par la néo-scolastique thomiste ainsi que par les principaux auteurs de traités politiques jésuites comme Pedro de Ribadeneyra, Juan de Mariana et Francisco Suárez.

Olivier Ypsilantis

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*