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Carnet d’Extrême-Orient (février-mars 2009) – 13/13

 

En Header, une vue de la piste Hô Chi Minh

 

25 mars. Musée de Hô Chi Minh Ville. Superbe bâtisse néoclassique (construite par les Français, en 1886) qui fut palais du gouverneur de la Cochinchine puis du président Ngô Đình Diệm en 1962-1963 (palais Gia Long). Et toujours cet ingénieux système de circulation intérieure, avec ces passages qui protègent la fraîcheur des pièces centrales. Dans les vitrines, au premier étage : des tracts contre le régime de Ngô Đình Diệm ; une photographie d’un hameau stratégique (strategic hamlet) entouré d’un hérissement de bambou ; une image qui a hanté mon enfance (“Paris Match” encore) avec ce bonze qui, le 11 juin 1963, s’immola par le feu en signe de protestation contre le régime de Ngô Đình Diệm, un événement auquel j’ai fait allusion dans cette suite ; des cartes qui montrent l’offensive du Tết et l’avancée du Viêt Minh en 1975 ; une grande maquette, portion des tunnels de Củ Chi (longueur 250 km) déclarés Overkill Zone par les Américains. Une salle est réservée à la résistance contre les Français (1930-1954), avec la création du Parti communiste vietnamien, le 3 février 1930. Les troubles de 1930-1931. L’insurrection dans la nuit du 22 au 23 novembre 1940, un signal pour tout le pays. L’insurrection à Saïgon, en septembre 1945. Sur un tract du Comité de résistance, qui titre : “A la population française de Saïgon”, je relève ces mots : “Nous ne sommes point des sicaires professionnels. Vos chefs fascistes nous obligent à nous défendre par tous les moyens. Tuer tous les Français n’est point notre but. Exproprier tous les étrangers n’est point de notre programme. Nous l’avons dit, et nous le répétons : que la France reconnaisse officiellement l’indépendance du Vietnam et le Gouvernement de Hô Chi Minh, d’un coup, la vie et les intérêts français seront sauvegardés”. Et s’ils avaient dit vrai ! Je m’autorise à penser qu’ils disaient vrai. Derrière cette bâtisse, encore un système d’abris et de tunnels.

Arrêt prolongé au salon de thé “Tous les jours”. Nous nous attardons dans l’air conditionné.

Retour dans la chambre et lecture d’une étude sur la piste Hô Chi Minh, colonne vertébrale de la résistance vietnamienne et d’abord contre les Chinois. 13 000 000 de tonnes de bombes ont été déversés sur le pays, soit 450 Hiroshima auxquels s’ajoutent plus de 70 000 000 de litres de produits hautement toxiques, dont plus de 40 000 000 de litres d’agent orange. On ne peut s’empêcher d’admirer ces combattants du Viet Minh. Sur la piste Hô Chi Minh, chaque bicyclette transportait entre 250 et 350 kg. Le rôle essentiel du corps d’armée 559 dans l’organisation de la piste Hô Chi Minh par laquelle se sont préparées presque toutes les offensives et les campagnes contre le Sud-Vietnam au cours de l’intervention américaine.

Chaleur et fatigue. En autobus dans la banlieue de Saïgon. Au centre d’une place un portrait de Hô Chi Minh et un autre… Non, ce n’est pas lui ! C’est le Colonel Sanders, fondateur de la chaîne Kentucky Fried Chicken (KFC).

Que de topiaires au Vietnam ! La plus insignifiante agglomération en cultive, des annelés et des animaux, éléphants ou dragons, tortues ou oiseaux… Et la coupe en est toujours impeccable.

Avant de m’endormir, commencé la lecture de “Vignettes of French Culture in Hanoi”. La colonisation française y est présentée comme le deuxième choc culturel après la très longue occupation chinoise (colonization and acculturation). Cette élite formée par les Français d’où sortirent les cadres qui conduiront le pays à l’indépendance. Les points de contact entre confucianisme et philosophie des Lumières. L’idéal de 1789, un ferment pour les Vietnamiens. L’influence française sur le lexique vietnamien, plus particulièrement celui de la cuisine et de la mode. C’est sous l’influence française que la tenue respectueuse des critères confucéens (sorte de cylindre qui cachait les courbes de la femme) va se faire ondoyante et donner le charmant áo dài. Influence marquée dans les arts aussi, ainsi que j’ai pu le constater dans les Musées des Beaux-Arts de Hanoï et de Saïgon.

 

26 mars. Saïgon. En feuilletant un guide sur le Vietnam (édité par l’“Administration Nationale du Tourisme du Vietnam”, 2006, page 202), j’apprends que les Français, furieux des pertes subies à Điện Biên Phủ, lancèrent des bombes au napalm sur le village de Noong Nhai, le 25 avril 1954, détruisant ce village et tuant 444 habitants.

Chaleur. La ville trépidante. Ce que cette ville a d’émouvant. Lumière dure, sans nuance. Traverser une rue nécessite de l’adresse et du courage. Il reste qu’après avoir pris son courage à deux mains, on redoute de se faire tailler un short.

 

27 mars. Notes de lecture. 27 janvier 1973 (accords de Paris), l’une des dates les plus importantes de l’histoire du Vietnam, avec le 21 juillet 1954 (accords de Genève). L’Union Indochinoise (créée en 1887), soit cinq régions : Tonkin, Annam, Cochinchine, Cambodge, Laos. Seule la Cochinchine est une colonie ; les autres régions sont des protectorats. Étudier l’œuvre du gouverneur général d’Indochine Paul Doumer (1897-1902). Le Vietnam, un S entre deux deltas, delta du fleuve Rouge, berceau de la civilisation vietnamienne, et delta du Mékong. Étudier Lê Lợi (deviendra Lê Thái Tổ) et l’insurrection des Tây Sơn. Elle commença en 1771 et conduisit à l’instauration, en 1788, de la dynastie du même nom qui fut défaite par Nguyễn Phúc Ánh (aidé par les Français), fondateur de la dynastie des Nguyễn (1802-1945) qui prit le nom de Gia Long.

On traînasse dans l’air conditionné ou auprès des ventilateurs. On regarde le ciel en guettant le nuage qui cachera le soleil. Et toujours cette tension au moment de traverser : on serre les fesses dans la peur de se faire tailler un short, si je puis dire.

Dans l’espace immaculé d’un aéroport. C’est une belle construction à dominante gris lumineux que rehaussent des guichets d’un délicat bleu gris. L’immense toiture forme une longue vague souple que porte une structure élancée. Saïgon – Bangkok, vol FD 3725, compagnie Air Asia, à bord d’un Airbus A 320.

Bangkok. L’aéroport aussi beau considéré de l’intérieur que de l’extérieur, avec cet éclairage bleu disposé de manière à en souligner les lignes de force. Sur l’autoroute qui mène au centre-ville et à notre hôtel, le Suk 11 (Sukhumvit Road), d’immenses panneaux publicitaires. L’un d’eux, lui aussi éclairé de bleu, m’évoque un immense aquarium. Des néons soulignent la structure de gratte-ciels dont certains sont d’une indéniable beauté.

Le Suk 11, un sympathique et chaleureux établissement qui cultive le genre de-bric-et-de-broc. Ambiance routard. Le Suk 11, un dédale constitué de briques et de bois, avec lumière tamisée et dorée. Ambiance bateau de pirates, ambiance Peter Pan. L’enfant David l’apprécie. Il aimerait avoir son sabre et son pistolet pour s’élancer à l’abordage. Il me dit d’un air entendu que notre hôtel est surmonté de mâts et que le plus haut de ces mâts est surmonté d’un nid-de-pie.

Bangkok, une ville pleine d’une immense force sexuelle, essentiellement féminine, une force qui s’impose avec intensité après deux mois de route au Laos et au Vietnam. La puissance sexuelle des villes, je pense bien sûr à Henry Miller que j’ai lu avec tant de passion entre dix-huit et vingt ans.

 

28 mars. En bateau sur les eaux de Bangkok. La sensation d’être sur la Seine, quelque part près du pont Mirabeau et du Front de Seine. J’aime aussi le voyage pour ce type de rencontre : deux lieux se mêlent, amoureusement, et le temps se départit de sa navrante linéarité.

Fête bouddhiste. Le beau rituel. Partout ce parfum d’encens si délicieusement entêtant. Le voyage me force vers l’adverbe, l’adverbe dont nos professeurs nous déconseillaient l’emploi. Des petits bateaux, comme de gros jouets. Certains remorquent d’énormes barges, quatre par quatre et ceinturées de pare-battages – des vieux pneumatiques. Des pirogues rapides et leurs arbres d’hélice qui confirment l’élégance de leurs sillages. Leurs moteurs sont des moteurs de camionnettes, voire de camions, posés en poupe et apparents. Ils ne contrarient en rien leur finesse. Toitures en réticulé, avec tuiles plates et carrées ; toitures en écaille aussi. Des stupas, comme des toupies désireuses de tourner pointe sur le ciel. Le roi de Thaïlande, grandes oreilles décollées et grosses lunettes carrées.

 

29 mars. La grande ville est toujours érotique, mais Bangkok probablement plus que la plupart des grandes villes ; par exemple, Bangkok est plus érotique que Saïgon qui l’est plus que Hanoï qui l’est plus que Vientiane. Il faut relire Henry Miller, un écrivain moins lu qu’il y a une trentaine d’années, me semble-t-il, mais toujours (plus) actuel, ce qui est bien la marque la plus tangible du grand écrivain.

Les plus belles filles sont souvent accompagnées d’un Blanc, c’est l’une des spécificités du paysage urbain, ici. J’en prends note en voyageur, c’est-à-dire avec la ferveur de l’attention, une ferveur qui aimerait ne jamais connaître la fatigue et rester pure – jamais entamée par le jugement. Le voyageur est attentif, simplement attentif. Il ne juge pas, il ne bavarde pas comme ceux qui savent – il observe et, à l’occasion, en prend note.

 

30 mars. Dans le hall de l’hôtel, un air de reggae. Petit jour roux doré dans le rideau des feuillages. Certains immeubles sont couverts de balcons lobés (comme des pétales de fleurs) qui m’évoquent les tours de Marina City (Chicago) de Bertrand Goldberg. Certes, ces immeubles de Bangkok n’en ont pas la pureté mais rien qu’un petit air. Bangkok c’est aussi le Sky Train qui, dans ses rames, offre une fraîcheur de réfrigérateur. Et je n’oublierai pas les couleurs des automobiles, tantôt une monochromie (comme ces bleus ou ces roses intenses), tantôt une bichromie (par exemple vert/jaune ou rouge/bleu), des automobiles qui embellissent la ville et rendent agréables jusqu’aux embouteillages. L’extraordinaire kitsch thaïlandais, un kitsch incroyablement suave et sucré que l’on finit par savourer après quelques hésitations.

Tintin est très présent dans les lieux touristiques du Sud-Est asiatique. Je viens de le voir dans l’immense complexe commercial MBK, avec toutes les couvertures des albums reproduites sur des T-shirts. Au Vietnam, à Hội An et Hà Nội, j’ai vu ces couvertures reproduites au format selon la technique de la laque. Un titre a même été ajouté à la série : “Tintin au Vietnam”.

En feuilletant une anthologie de poésie anglaise, je découvre avec plaisir un poème de William Wordsworth : “To Toussaint Louverture” ; Toussaint Louverture, un homme envers lequel Napoléon s’est affreusement comporté, Napoléon qui en la circonstance a non seulement fait preuve d’un manque d’humanité mais aussi d’un manque d’intelligence politique. Et je découvre un poème de Lord Byron qui ne peut que faire sourire : “The Girl of Cadiz”, un portrait comparé (et fortement stéréotypé) de l’Anglaise et de l’Espagnole. La forme en est agréable, le fond délicieusement (ou affreusement) désuet. On ne trouve jamais ce laisser-aller chez John Keats. Mais on peut voir ce poème comme une affiche très colorée destinée à promouvoir le tourisme. Dans ce cas…

Suvarnabhumi Airport, Bangkok, un splendide ensemble où je regarde se lever un soleil roux. Chaque poutre de la superstructure est formée de trois U très ouverts qui s’interpénètrent. Rien n’est caché, chaque élément est bien visible et jusqu’au mécanisme des ascenseurs. Toute cette architecture semble répondre aux exigences morales de John Ruskin.

Décollage pour Madrid avec transit à Doha, à bord d’un Airbus A 330 de Qatar Airways.

Olivier Ypsilantis

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