“La sculpture indienne fait corps avec l’architecture, les corps émergent avec peine des temples, des portiques, des colonnes. Ce sont des bourgeonnements de la pierre, comme celle-ci, de la Nature. Rochers, bas-reliefs, statues, fresques : un seul bloc. La statue même évite des formes précises. L’abondance des lignes courbes, la violente saillie des hanches et des reins, les attitudes contrastées et le balancement général du corps, c’est la volonté de suivre une impulsion très lointaine : on dirait des vagues poussées par un Océan inlassable et prêtes à refluer vers lui. Un instant dans la fuite du temps, un point dans l’immensité de l’espace, c’est l’image que nous offre l’Inde de notre vie et de notre esprit. Rien ici qui ne soit strictement métaphysique et ne brise avec l’ordre grec. L’humanité s’efface.” Jean Grenier.
Notes de lecture
Avant mon départ pour l’Inde – et pour nous le mot Inde est bien entendu un symbole – j’ai relu “L’Inde imaginaire” de Jean Grenier qui écrit : “Et c’est en considérant l’Inde comme un pays imaginaire qu’on s’approche le plus de sa réalité.”
Lire “L’Inde et le monde” de Sylvain Lévi (signalé en note).
De la suprématie du symbole. Art symbolique, la beauté défigurée, écrasée par le symbole.
Religion sans dogme mais pourvue d’un puissant rituel (le symbolisme) destiné à conduire une expérience spirituelle.
L’Inde, pays inhumain (en dehors de l’humanité). Que ce voyage soit appréhension de cet inhumain !
Du Dieu des philosophes au Dieu de l’Inde. De Socrate (sa critique de Périclès) à l’Inde des brahmanes.
(Et mon ami, un grand voyageur qui porte le nom du disciple préféré du Christ, me confirme que “l’Inde a été conquise tour à tour par les peuples les plus différents et tous ces peuples ont été absorbés au bout d’un certain temps par la civilisation brahmanique”, une civilisation qui “n’a professé aucun patriotisme et n’a souhaité aucune conquête.”)
Opposition : la cité (Grèce) et la caste (Inde). L’Europe, héritière de la Grèce, est passée de l’humanisme (“une invention hellénique”) à l’humanitarisme (l’homme divinisé dans ce qu’il a de commun avec tous les hommes). Et Jean Grenier de conclure : il n’est pas possible, au-delà de quelques productions charmantes (l’art gréco-bouddhique), “de concilier des oppositions aussi formelles” : “L’esprit grec y émousse sa pointe, l’esprit indien y perd sa musique.”
Apollonius de Tyane. Chercher des renseignements sur la vie de ce fakir gréco-indien.
Les marques de l’esprit indien dans la pensée grecque, de Diogène à Plotin. La mort philosophique (qui peut précéder la mort naturelle) d’après Plotin.
Cela, Rien ni Personne, Cela. Cela, par le Sommeil et plus encore par la Mort. Je est un autre ; non ! Je suis Cela. Sous (le) moi, il y a Cela, “le support du monde”.
Adoration de l’Unité et (en conséquence, nécessité d’une) indifférence à l’homme. L’Inde, une compartimentation radicale : on ne peut aller au monde que par le monde, à Dieu que par Dieu. L’Occidental (et pour nous ce mot est aussi un symbole, une attitude de l’esprit), lui, a ménagé des passages à degrés de l’un à l’autre.
Je suis semblable aux romantiques des années 1830, il me suffit de changer de pays pour être dépaysé. En sera-t-il toujours ainsi ? Je l’espère.
Ce que la vie des animaux qui ont des sentiments éloignés des nôtres a d’instructif. Ce que les chats et les singes ont à nous apprendre.
9 janvier, le départ. Córdoba-Madrid en Talgo. Salué la Sierra sur laquelle s’ouvre la façade nord de la gare. Les nuages semblent sortir de ses replis comme autant de fumeroles.
Aéroport de Frankfurt am Main. Je ne me lasse pas de ce ballet d’avions. Et ces géants, les Boeing 747, comment parviennent-ils à s’arracher ? Alignés, en lisière, des avions militaires. On ne les remarquerait pas si un pâle soleil ne faisait luire les extrados. Être en transit, toujours. Et la fatigue du voyage qui agit comme un calmant.
12 janvier avant l’aube. Les abords de la gare de Bombay. Une misère qui n’éveille en moi aucun sentiment – mais est-ce seulement de la misère ? –, et c’est bien ainsi. Tout sentiment ne serait qu’une taie. Voir, regarder et rien de plus ; je prétends donc au plus difficile. Ce qui prend ce sont d’abord les odeurs, une odeur de vivarium dans l’aéroport (elle pourrait venir d’une sorte de chute d’eau aménagée sur des degrés en marbre) puis une odeur piquante de pollution dans la ville qui me replace en Europe de l’Est. Par les fenêtres du taxi je devine des humains, formes lentes dans des amoncellements qui pourraient être de l’ordure.
Mumbai Central Railway Station
A l’hôtel. Le réceptionniste ouvre son registre, un lourd registre en marocain. Un souffle de renfermé me sollicite alors, un parfum de souvenir, le grenier des ancêtres, l’armoire des grands-mères, la maison retrouvée. Dans le hall, des hommes vautrés ; certains semblent appartenir au personnel.
Victoria Station et ses abords : l’Empire et ses prestiges, l’Empire et ses vestiges. La végétation ne va-t-elle pas se glisser entre les pierres des grands édifices et les disjoindre ?
Du pur jus de canne pressé devant moi ; je n’ai jamais bu un tel délice.
Chez un antiquaire, des nostalgies. C’est toute une imagerie anglo-indienne aux couleurs vives.
La mendicité et ses organisations. S’efforcer de comprendre sans se laisser gagner par ces sentiments – à commencer par la pitié – qui ne sont bien souvent que refus de comprendre.
Les perspectives dans le marché aux antiquités : le ciel grignoté de partout. Je pense à l’ami Alexis de K., à l’influence de son enfance extrême-orientale (Singapour) sur son œuvre.
Le balai indien a un manche très court ; de ce fait, celui qui balaye doit se courber ou s’accroupir. On travaille volontiers courbé voire accroupi, une position qui n’est guère courante chez nous sauf lorsqu’il s’agit de satisfaire certains besoins.
Voyant mon passeport français, le gérant de l’hôtel me demande de lui improviser un cours, à la réception, sur en et y. Il est tout heureux de s’essayer au français qu’il parle avec des hésitations mais correctement.
La vie dans la rue indienne est d’une telle densité que l’écriture ne peut en rendre vraiment compte. Il faudrait l’œil de la caméra.
Des nostalgies partout. A la manière d’un cinéaste, on s’efforce de reconstituer des vies anglaises dans des lieux qui ne les attendent plus.
Le touriste doit lui aussi survivre ; aussi ne prête-t-il bientôt plus qu’une attention limitée aux mendiants. Et pourquoi faudrait-il s’abandonner à la culpabilité, cette terre où n’a jamais poussé que l’ivraie ?
L’Inde et les sens, tous les sens sollicités sans répit. Je pensais à la vue mais c’est l’odorat qui se sera d’abord imposé.
Dans une rue, des gamins improvisent un match de cricket ; l’héritage anglais, une dimension supplémentaire.
Toute une imagerie. L’Empire considéré à cette distance n’est plus que charmant : soldats de plomb et visites de souverains. Les plaques émaillées publicitaires. Les jouets : imaginer l’histoire de chacun d’eux, les rattacher à des enfances.
Le chauffeur de taxi qui attend le client, en tailleur sur le capot. Plus loin, en quelques coups de ciseaux, une moustache drue est égalisée. Plus loin encore, accroupi sur le trottoir, on se fait raser les aisselles.
Honey bee Brandy, a bit of France in every sip. Esso – Elephant kerosene. Une enseigne d’antiquaire : Old is gold. Et nombreux sont les marchands qui se proposent comme film sets decorators.
On met les ventilateurs en marche pour le visiteur, un client potentiel.
Après le repas, on se cure les dents et on mastique des grains d’anis.
Des chefs-d’œuvre entassés dans des remises, sur des terrasses. Des formes bien individualisées se proposent partout. Pour l’heure, je constate que le symbole n’écrase pas tout.
Des objets laissés par l’Anglais, témoins d’un art de vivre sur lesquels se penchent quelques attentifs.
Tant de linge aux fenêtres, une riche palette sur la crasse des façades. Quelle densité ! De retour en Europe ne vais-je pas être gagné par l’ennui ?
Dans les quartiers musulmans, des chèvres lustrées ; elles seront sacrifiées. L’Inde végétarienne (hindoue) et l’Inde carnivore (musulmane). Des différences de tempérament s’ensuivraient-elles ?
Les chevelures des femmes et des hommes de tout âge sont d’une vigueur rare chez nous où la gent masculine doit souffrir cette disgrâce, la calvitie. Les traits peuvent laisser à désirer mais les teints sont magnifiques.
Tout en déambulant cette pensée me vient : les Anglais, à la manière des Romains, ont su édifier un empire car ils ne se sont pas préoccupés d’imposer une religion ; leur emprise s’est faite par l’industrie, le commerce et un art de vivre.
Devant ces bâtiments, témoins de la grandeur britannique, j’observe ces arbres immenses, des arbres de mangrove. Ils me paraissent bien menaçants – à surveiller.
Les voyageurs qui se rendent en Inde sont tentés par la dénonciation, sensationnelle de préférence ; et ces messieurs se croient perspicaces.
Les “Grihya Soutras” ou la discipline de la vie domestique de l’Hindou. Les “Grihya Soutras” sont à l’hindouisme ce que le Talmud est au judaïsme.
La doctrine sociale du “Varnashrama Dharma”.
La division de la société en quatre castes (la doctrine des quatre couleurs) avec, hors d’elles, une masse considérable, les “Avarnas” (“les sans couleur”) appelés aussi “Panchamas” (“les cinquièmes”). Cette dernière période védique fut précédée d’une division de la société en deux : d’un côté, les “deux fois nés”, initiés aux mystères sacrés ; de l’autre, les “nés une seule fois” car jugés indignes de ces mystères. La dernière période védique et la rivalité entre Brahmanes et Guerriers protecteurs. Ces premiers finiront par s’imposer comme la caste supérieure grâce à la réécriture des livres sacrés et à la réorganisation du système d’éducation. Cette rivalité entre ces deux castes est sensible dans toute la littérature de l’Inde primitive.
13 janvier. Au sortir de la chambre, une nuée (l’expression s’impose d’elle-même) d’employés, un devant l’ascenseur, un devant chaque porte ; et combien sont-ils à me servir le petit-déjeuner ? On s’empare de mon sac pour le porter et les porteurs se bousculent. Entre les rails, un rat déguste un étron et des corbeaux – qu’ils sont beaux ! – picorent l’ordure. Cher Georges Perec, ici tu n’aurais pu que renoncer à ce bel exercice : tentative d’épuisement d’un lieu. Sur les quais, des enfants à moitié nus ; assis en tailleur ils font cercle, silencieux ; l’un d’eux porte quelque chose à sa bouche et c’est à peine si l’on note la mastication.
En train vers le Kerala. On pense d’emblée à un train cellulaire avec ses petites fenêtres à quatre barreaux horizontaux. Les compartiments (ouverts) ont huit places assises qui peuvent se convertir en autant de couchettes. Un homme passe, un pistolet pointé ; il est en plastique ; il le vend ; l’homme est aveugle. Dans des taudis, un groupe d’écoliers et d’écolières en uniforme bleu ciel impeccable, l’une des marques de l’Angleterre. On ne parle pas assez de l’œuvre civilisatrice de l’Angleterre. Le Français, qui jalouse secrètement l’Anglais, le présente volontiers comme un individu hypocrite et cynique. L’hypocrisie n’est en rien spécifiquement anglaise et il n’est pas bon de la confondre avec la discrétion, une qualité efficace.
D’un côté : Western style latrine ; de l’autre, Indian style latrine. Par wagon : to seat 72, to sleep 72. Sur les portes des wagons, Welcome avec les deux mains jointes à la mode hindoue. Tous les déchets sont jetés par les fenêtres. J’hésite mais un Indien m’invite d’un petit geste à faire comme lui. Les corbeaux, les rats et les chiens mangeront ce qui se mange ; quant au reste, des équipes le ramasseront, le trieront et le vendront pour recyclage. Ainsi, en jetant nos déchets sur la voie ferrée, participons-nous à un cycle économique. A chaque arrêt passent des vendeurs ambulants ; l’un d’eux propose du papier hygiénique qui n’est que du papier journal. Chacun a sa place dûment réservée et ils sont nombreux à proposer boissons fraîches, café, thé, douceurs, sandwiches, brochettes, friture, etc. Le contrôleur, veston et cravate, est impeccable comme un étudiant d’Oxford ou de Cambridge. On demande l’aumône par les fenêtres et des mains ouvertes glissent sur leur rebord. Des plantations de canne à sucre. Il passe, accroupi, il balaye autour de mes pieds que je lève et repose ; puis il gratte d’un doigt le dessus de ma chaussure pour une pièce. Des huttes végétales, en cercles ou alignées. Des brûlis dans la nuit. Un voisin de banquette, universitaire, engage la conversation ; il se plaint de l’état d’arriération de son pays et incrimine les religions.
14 janvier. Par la fenêtre du train au petit matin, des rizières où des échassiers lumineux se promènent d’un pas circonspect. Les va-et-vient des vendeurs de thé et de café. Un nettoyeur ; je lui donne la pièce ; d’un doigt il gratte la chaussure ou le pied (beaucoup sont en sandales) de ceux qui ne l’ont pas remarqué. Des petits villages blancs, cubiques, ramassés, si soignés en comparaison de tout ce que j’ai pu voir jusqu’à présent. Et une fois encore des groupes d’écolières et d’écoliers à la mise digne d’éloges. Elles portent chaussures vernies, chemisiers blancs, jupes, vestes, et leurs cravates sont d’un beau vert tandis que des rubans d’un même vert maintiennent leurs couettes. Dans le train et dans les rues des villages, ils se lavent les dents avec conviction. Je regarde les autobus comme autant de jouets. C’est ainsi que j’ai regardé les taxis de Bombay. Des agaves, leur vert métallique ; je pourrais me croire à Cabo de Gata, dans la province d’Almería. Mais une femme en sari ou une inscription en hindi me rappelle à la réalité. Work while you work. Play while you play, est-il écrit dans la cour d’une école. Arrêt prolongé dans chaque gare. On se dégourdit les jambes sur le quai. Des mendiants ; le regard implorant ils désignent leur bouche avec un geste doux et quelque peu mécanique. De petites excroissances ocres à replis : des termitières. Des plantations d’eucalyptus et de bananiers. De nombreuses briqueteries (du fait main) avec alignements et empilements d’un bel ocre. Un habitat de fortune ; mais sous un tel climat a-t-on besoin de plus ? Accroupi dans le couloir du wagon, il décapite une noix de coco ; j’en aspire le lait avec une paille puis en mange la pulpe après qu’il l’ait fendue. Tous ces petits métiers qui vivent du train. Dans ces tableaux ruraux il y a toujours quelqu’un à sa toilette. Sur le quai de la petite gare de Bangarapet ils sont sept à se peigner, à se lisser la moustache et à cracher et cracher encore. Trois pèlerins montent, colliers de fleurs autour du cou. Arrêt à Kamasamudram. Le vent dans les feuillages. Je pense à l’Atlantique, à des vacances estivales, mais sans nostalgie ; le sentiment qui me prend est trop doux pour ce mot. Un petit nettoyeur sombre de crasse passe, agenouillé ; tous lui donnent la pièce. Sans lui que seraient nos compartiments ? Je n’éprouve pas la moindre fatigue malgré une nuit d’insomnie. La nourriture doit y être pour quelque chose, rien que riz et légumes que relèvent des épices.
Pris par la rêverie à la lecture de l’œuvre accomplie par Chandra Gupta (mort en 301 avant J.-C.), et son conseiller Chanakya, fondateur de la dynastie impériale des Maurya. L’organisation de cet empire servira de modèle aux rois hindous, aux chefs musulmans, aux Anglais enfin. Son petit-fils, Açoka, après avoir vaincu les Kalingas dans une campagne des plus sanglantes regretta tant de morts et s’en repentit publiquement. Ses exhortations, ses règlements, ses injonctions concernant le traitement des animaux et sa prédication du “Dharma” sont restés célèbres. Ses “Édits de Pierre” et ses “Édits de Colonnes”. Ce roi missionnaire propagea la doctrine de Bouddha à laquelle il convertira Ceylan. La première mission dans cette île sera conduite par son frère, Mahendra, la seconde par sa sœur, Sanghamitra, qui apportera au roi une branche du figuier (Ficus religiosa) sous lequel Bouddha avait reçu ses révélations.
Le train descend vers le sud. La température augmente, les cocotiers se multiplient. Des rizières encore. La campagne se fait plus délicate, plus raffinée, et avec quel plaisir mon œil se porte sur ces petites maisons basses à toits pentus en feuilles de palmiers séchées, aux murs bleu lavande ! Des enfants improvisent des parties de cricket. Chère Angleterre. Dans la nuit tombante, les damiers vert vif des rizières. Des gestes lents et efficaces. Les agaves sont doucement luminescents. Des animaux immobiles ou très lents, confiants me semble-t-il. Des gares où le train ne s’arrête pas ; devant chacune d’elles le chef de gare tient un drapeau vert, bras tendu. Des champs de canne à sucre. En gare de Salem, un homme avec une jambe qui n’a poussé qu’à moitié. Il compense cette différence en serrant entre deux orteils une tige de bambou qu’il tient à deux mains. Sur le quai, à la nuit tombée, des groupes colorés et silencieux, en tailleur ou accroupis. Je pense à la Roumanie, aux gares de la Dobroudja. Aux abords de Cochin, des villages endormis au milieu d’une végétation tropicale qui se découpe en éventails sur le ciel. Des petits temples chrétiens illuminés et aussi colorés que leurs homologues hindous. On ne peut que penser pièce montée, sans que la plus légère nuance dépréciative n’entre dans cette formulation. Ils n’ont rien. Si ! Ils ont le ciel pour toit. Sur le quai dorment des enfants enroulés de la tête aux pieds dans des couvertures. Ils vivent du train, m’explique-t-on.
15 janvier. Des employés partout. Je pourrais m’abstenir de tout effort. Je pourrais demander qu’ils me promènent en palanquin.
Tandis que j’écris, on m’observe. Écrire serait-il une opération à ce point inhabituelle ? Seraient-ils illettrés ceux qui m’observent ? Le Kerala n’est-il pas l’un des États de l’Union indienne où le taux d’alphabétisation est le plus élevé ? Ne serait-ce pas mon teint clair et mes yeux verts qui les retiennent ainsi ?
Promenade dans Cochin. Les parapluies se sont faits parasols. A l’Indian Coffee House on trouve de la crasse, du style et un rat plutôt sympathique. Les épices me chatouillent les narines jusqu’à l’éternuement. Les belles Ambassador, leur allure rétro, rassurante. L’ocre des vieux murs, les splendeurs de la décrépitude ; et de l’imagerie religieuse partout – quintessence d’une certaine décadence ?
Le Kerala, pays du bois, de bois dont les noms suffisent à faire entrer l’Européen en rêverie.
Des proues d’embarcations de la plus haute élégance.
Chez Albert, le Syriaque. Devant la porte de son bureau, le Sacré-Cœur de Jésus avec, accrochée au cadre, une guirlande de fleurs.
L’émotion qui me prend dans ces quartiers qui se souviennent d’une diaspora.
L’Inde, les religions y ruissellent et les représentations (religieuses) encagent l’espace. Ce pullulement d’êtres hybrides ne va pas sans provoquer un certain écœurement, écœurement qu’il convient d’enjamber. L’esprit part se reposer pour un temps dans les géométries de l’Islam. Mais je sais que mon œil finira par retirer quelques délices de ce panthéon. Je détaille un petit bronze où fesses et seins se répondent parfaitement.
Ganesh Trading et Swastik Spices (avec le symbole).
Tout en marchant j’ai pensé que la grandeur de l’Islam procède de sa simplicité. L’hindouisme, activé par le bouddhisme, est porteur d’un immense message ; mais ne se serait-il pas laissé empêtrer dans des complications dont témoigne toute une imagerie ?
Jew Town, le bric-à-brac religieux. Chez un marchand, un projecteur de DCA.
Des jus de fruits qui me trouvent sans mot. J’aimerais remercier le Créateur. Ce jus d’ananas ne serait-il pas Son sang ? Mais on me fera remarquer que je blasphème.
Les carrelets chinois sur un ciel rose mauve, des V qui pivotent sur leur pointe. Un bras supporte le carrelet, l’autre les contrepoids, des pierres qui pendent au bout de cordes. Dès que le filet sort de l’eau, des corbeaux viennent se poser sur le cadre. Cet alignement de mécanismes aussi rudimentaires qu’ingénieux qui s’abaissent et se relèvent lentement finit par placer l’observateur dans un état proche de l’endormissement.
Je suis bien ici, à Cochin. Mais toujours cette question : où vivre ?
(à suivre)
Olivier Ypsilantis