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« L’identité juive » – En lisant Léon Askénazi

 

Lorsqu’on admet qu’il existe une « nation » juive, on peut admettre qu’elle implique un impératif de solidarité qui, loin d’être une simple idée, peut se traduire en acte. Cette solidarité est l’identité juive elle-même. Mais qu’est-elle cette solidarité ? Se poser la question ne reviendrait-il pas à admettre que nous la percevons comme un problème ? Pourquoi s’interroge-t-on sur l’identité juive plus que sur toute autre identité ?

Pourquoi l’identité juive ne semble-t-elle pas (pour beaucoup) aller de soi ? Parce que les sociétés juives « normales » ont été balayées et que les Juifs d’aujourd’hui sont le rassemblement de débris de sociétés juives dont la vie allait de soi, malgré bien des problèmes.

Lorsqu’on répond à cette question, il faut se garder de toute définition théorique car elle risquerait d’exclure tel ou tel individu se réclamant de l’identité juive. Ne retenons donc que des critères négatifs car, en la circonstance, la définition directe n’est pas appropriée, à moins d’en revenir à la Bible. Posons donc la question suivante : l’identité juive se présentant d’abord à nous comme un destin, y a-t-il une manière de faire de ce destin une destinée librement assumée ?

Le Juif se définit de diverses manières, par la religion ou la nation ; mais tous les Juifs sont peu ou prou secondarisés, c’est-à-dire cherchant à savoir ce qu’ils sont. Il y a pourtant ce Juif qui ne se pose pas (encore) la question de son identité.

Deux repères peuvent aider : celui de l’histoire et celui du caractère collectif de l’identité juive. La perception historique que le Juif peut avoir de lui-même est de l’ordre de la mémoire, une mémoire qui doit exister objectivement afin de ne pas être dénaturée par les subjectivités individuelles. Cette mémoire objective c’est l’ensemble de la tradition : la Bible, le Talmud et bien d’autres choses. Les autres groupes humains ont leur tradition mais le rapport des Juifs à la leur est particulier. La rupture avec la mémoire objective se fait toujours individuellement car il y a toujours un Juif – des Juifs – pour conduire cette mémoire vers le savoir et pour désigner identité et fidélité, soit Israël comme être collectif.

L’être juif n’est pas (historiquement) un être premier car l’être juif se définit dès l’origine comme fidélité à une mémoire plus ancienne : celle de l’être hébreu. Le « passage à la modernité » s’est opéré chez les Juifs il y a plus de deux mille ans, il s’est opéré par une tension historique entre leur existence quotidienne et leur identité de référence. Et cette mémoire reste chez les Juifs, collectivement au moins, préservée par les porteurs de cette tradition – de cette mémoire collective.

Second élément. Le passage de l’Israël-Hébreu à l’Israël-Juif implique un rapport différent à l’histoire (histoire juive et histoire hébraïque), avec relation différente de l’individu au groupe. L’Israël-Hébreu suppose un univers spirituel et intellectuel où le postulat de la Bible (le rapport du Créateur à sa Créature) est une évidence, une donnée d’expérience, tandis que l’Israël-Juif suppose un effort de reconquête par la connaissance de ce qui était évident à l’Israël-Hébreu, reconquête par les monuments scripturaires légués par les Hébreux aux Juifs. Si l’hérédité (plus psychique que biologique) n’est pas irriguée par un comportement de fidélité à l’identité première, le rapport des Hébreux aux Juifs (et dans toute leur diversité) risque de se perdre. Ainsi, individuellement, tel ou tel Juif ne perçoit pas le caractère de l’identité d’Israël ; il n’empêche que cette identité collective se définit par une tradition d’identité historique léguée par l’Israël-Hébreu et que portent les Juifs au nom du peuple juif. Si un Juif ne perçoit pas subjectivement (ou pourrait dire, intuitivement) ce que fut l’expérience vivante des Hébreux, il peut y participer par l’étude, ce qui le relie à la collectivité par le biais de la connaissance d’une histoire singulière.

L’identité juive est en principe donnée à la naissance, elle n’est pas le fait d’un credo ou d’une idéologie. Elle est donc inconditionnelle. Et c’est la référence à l’histoire (la mémoire) qui éclairera sur cette façon d’être que représente Israël.

Le récit biblique définit d’emblée le peuple juif comme « à part ». Il revient donc pour les Juifs de diagnostiquer dans les événements qu’ils vivent et qui les met en contact avec le monde depuis tant de siècles, d’étudier les éléments d’explication que le récit biblique leur donne depuis les événements de l’origine et, inversement, d’identifier dans le récit biblique la signification de leur propre historicité. La nostalgie que porte Israël semble être celle de l’humain unifié, une nostalgie qui véhicule des vertus et des exigences universalistes. La confrontation du peuple juif à toutes les aventures humaines semble par le biais de l’historicité juive vouloir conduire à l’« homme vrai », celui en lequel se concentreraient toutes les vertus élaborées par les civilisations, vertus capables de nourrir la vision qui fut celle des patriarches et des prophètes.

L’identité du « Juif d’aujourd’hui » se définit plus par l’appartenance que par l’existence, avec le fait national (qui semble primer sur le fait religieux), par la normalité de l’existence de l’État d’Israël, tandis que l’authenticité juive par la religion est devenue (à tort ou à raison) affaire de conscience privée.

Méditons toutefois l’enseignement des Sages d’Israël que Léon Askénazi paraphrase de la sorte : « Un Juif, même croyant, dans la Golah (l’exil), est peut-être au service de dieux étrangers. Un Juif en Eretz Israel, même athée, est sûrement au service du vrai Dieu. »

Olivier Ypsilantis

1 thought on “« L’identité juive » – En lisant Léon Askénazi”

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