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« La Bible, naissance des temps messianiques » – En lisant Léon Askénazi

La Bible est le livre de la Révélation par lequel Dieu parle aux hommes pour leur dire l’histoire du monde qu’il a créé et leur enseigner le sens de l’histoire des hommes, soit de l’humanité mais aussi de chaque homme en particulier.

Parmi toutes les tentatives humaines qui forment le tissu de l’histoire, une aventure étrange se dégage : Israël, aventure bien humaine avec ses grandeurs et ses misères. Fils d’Israël, Hébreux, peuple de la Bible. Et le récit s’arrête, un récit destiné aux enfants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob – alors commence l’histoire juive. Mais les Juifs ne sont pas les seuls à lire la Bible, des millions de non-Juifs la lisent et connaissent le récit biblique, à leur manière mais réelle.

La civilisation occidentale est fille, à sa façon, de la Bible ; et l’Orient aussi, par l’islam, n’est pas étranger à cet univers. La Bible est donc lue de bien des manières et dans bien des langues. Certes, nous percevons en commun des détails, des histoires, des leçons de morale et un certain ton poétique, mais il est une façon spécifique de lire la Bible – dans son texte hébreu –, une tradition juive de lecture et d’étude qui depuis bientôt trois millénaires se transmet de génération en génération : l’étude de la Loi de Dieu insérée dans la vie quotidienne, une lecture et une étude sans cesse renouvelées. Mais pourquoi donc ? D’une part parce que l’une des profondeurs de la réflexion humaine porte sur la rencontre de la personne et de la Loi – de la vérité ; et cette rencontre est l’un des drames de la conscience humaine : nous sommes infiniment supérieurs à la Loi car elle met en œuvre des principes impersonnels ; mais du fait que la Loi est la Loi – que la vérité est la vérité –, elle nous est infiniment supérieure. Le dilemme est alors le suivant : ou bien on sacrifie la Loi à la personne, ou bien on sacrifie la personne à la Loi. Mais avec Abraham ce dilemme explose car il a révélé à l’homme que la Loi n’est pas un monstre impersonnel mais Quelqu’un qui par la Loi fait connaître Sa volonté. Le rapport juif à la Loi n’est pas un rapport de terreur. « Nous savons que nous ne sommes pas mesurés à des principes – alors, en effet, ce serait tragique, et l’échec de l’aventure grecque réside peut-être en cela – mais à une personne qui a voulu que la Loi soit ce qu’elle est ».

La lecture de la Bible ouvre également à l’histoire. La Bible propose une réponse aux grandes questions qui agitent l’homme. Le jour où les Juifs sauront donner une réponse aux nations qui directement ou indirectement et parfois obscurément les interrogent sur le sens de leur livre, sur l’être de l’homme – et peu importe ses origines –, ce jour sera comme la naissance des temps messianiques : la Bible sera pour les Juifs le livre qu’ils lisent pour les autres. Mais pour ce faire, il faut que le Juif s’inscrive dans une certaine fidélité à lui-même. L’universalisme ne peut être actif que s’il plonge ses racines dans l’authenticité du particularisme.

Par la Bible, ce livre universel et extraordinairement singulier, les Juifs peuvent trouver non seulement le sens de leur rapport avec les nations mais aussi une information sur la définition et le sens de leur spécificité, et d’une manière autrement plus ample que ne le feraient toutes les sociologies et psychanalyses.

Par la Bible, le Juif se définit dans l’horizontale du temps et se réinsère dans la verticale d’une histoire qui se poursuit. La Voix du Sinaï est toujours active pour qui le veut… Nul racisme dans ce propos ; le Juif peut aujourd’hui descendre génétiquement d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, mais plus souvent il descend de ceux qui au cours des siècles se sont ajoutés aux lecteurs hébreux de la Bible, qui ont choisi la manière hébraïque de lire la Bible, même si par la « civilisation » ils restent grecs comme nous sommes français. Être juif en lisant la Bible, c’est se définir par rapport à un temps dont parle la Bible, le Temps où Dieu se révéla aux hommes, directement puis par la voix des Prophètes qui ne sont ni des philosophes ni des théologiens mais qui voient, entendent et disent, c’est-à-dire donnent des consignes, le mode d’emploi, la règle du jeu. On peut acquiescer ou se détourner, mais on sait que ce qu’elle dit est fondamental, fondamentalement vrai.

Pour les Hébreux d’hier et pour les Juifs d’aujourd’hui, la question n’est pas de savoir si Dieu est ou si l’histoire a un sens, mais qui est Dieu et quel est le sens de l’histoire.

Le dernier des Prophètes, Malachie, s’est tu. Dieu a probablement jugé qu’Il avait dit ce qu’Il avait à dire et que c’était à l’homme de dire, à son tour, d’être lui-même, de décider s’il se sentait concerné par cette parole transmise par la Bible, d’attester s’il était pour ou contre.

Dans la Genèse, avant Abraham, la Bible nous dit que l’humanité avait une unité profonde, évidente, même si chaque famille et chaque peuple avaient son génie propre. Lorsque les hommes se parlaient, ils parlaient de la même chose et tendaient à des fins communes. Puis ce fut la tour de Babel, la cacophonie, la foire d’empoigne, la fracture. Et chaque morceau, tous issus d’un même ensemble, n’eut plus en tête que de s’imposer aux autres – et c’est cela l’histoire. Apparaît Abraham qui a refuse Babel et tente de reprendre en charge l’histoire.

Israël est mêlé aux nations et partage leur destin sans renoncer au sien. Les Juifs assument leur être propre, l’héritage biblique, tout en étant de tous les temps et de tous les lieux. Ils sont hommes selon Abraham et hommes selon toutes les nations où ils vivent. « Mais comment être homme selon Abraham si l’on n’a pas lu, étudié, médité, dans son texte original et total, l’histoire d’Abraham ? »

Olivier Ypsilantis

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