« Je crois que nous trouverons la paix avec nos voisins, mais je suis sûre que personne ne fera la paix avec un État d’Israël faible. Si Israël n’est pas fort, il n’y aura pas de paix » Golda Meir.
J’ai devant moi un livre inédit en français et traduit par les soins de Pierre Lurçat : « La maison de mon père », soit des souvenirs de jeunesse de Golda Meir. Cette traduction est précédée d’un préambule du traducteur. Il s’agit de la troisième publication de la collection La Bibliothèque sioniste (Éditions L’Éléphant, Paris-Jérusalem). Je rappelle les titres des deux publications précédentes (je les ai présentées sur ce blog) : « La rédemption sociale, éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque » et « État et religion, question autour de la tradition juive » de Vladimir Jabotinsky. Et il est annoncé la parution prochaine dans cette même collection d’un autre écrit de Vladimir Jabotinsky, un texte fondamental : « Le mur de fer. Les Arabes et nous ».
Pierre Lurçat ouvre son préambule sur ces mots : « Les souvenirs de jeunesse qu’on lira ici ont été publiés en Israël en 1972. Golda Meir était alors Premier ministre depuis plusieurs années. Trois ans plus tard, après sa démission et son retrait de la vie politique, elle rédigera une autobiographie plus complète sous le titre « Ma vie ». Le texte ici publié en français pour la première fois ne couvre en effet qu’une partie de la vie de l’auteur – celle qui s’étend de son enfance à son séjour au kibboutz Merhavia, dans les années 1920. On y découvre, outre l’autoportrait de celle qui allait devenir la première femme Premier ministre de l’État d’Israël, la description fidèle et sans fioriture d’une génération tout entière, celle des pionniers de la Troisième Alyah (1921-1924) ».
Golda Meir, membre de la Troisième Alyah, une Alyah qui a appliqué les valeurs de la Première Alyah transmises par la Deuxième Alyah (soit les valeurs fondatrices du sionisme travailliste dont rend compte le livre que j’ai entre les mains) par le biais d’une expérience directe et non par un programme ou des théories.
Golda Meir (1898-1978)
La polémique entre Juifs « laïques » et Juifs « religieux » est assez bruyante au sein et à l’extérieur du monde juif. Or, cette séparation n’est pas aussi marquée que certains le prétendent, par ignorance ou à dessein. Ces pages le laissent entendre et je pourrais en revenir à Moses Mendelssohn, le Juif « éclairé » par excellence, le Juif de l’Aufklärung. Or, ce Juif des Lumières fut également un Juif observant, très observant même…
Dans son préambule, l’auteur esquisse une biographie de Golda Meir dans laquelle je relève deux points saillants, soit le déclenchement de la guerre du Kippour (5 octobre 1973) et une certaine conception du féminisme. On a volontiers attribué à Golda Meir, alors Premier ministre, de l’imprévoyance tandis que le ministre de la Défense d’alors, Moshe Dayan, était épargné par la commission d’enquête. Son chef d’état-major, David Elazar, s’était quant à lui prononcé pour une attaque préventive. Deuxième point : la conception du féminisme de Golda Meir qui occupe la dernière partie du préambule, conception qu’elle expose dans des pages plus tardives de son autobiographie publiée en français chez Robert Laffont, en 1975, sous le titre « Ma vie ». Elle y évoque le « féminisme constructif » bien différent de celui que cherche à nous imposer un certain battage médiatique. Je me permets à ce propos une parenthèse. Israël laboratoire du monde (une expression à même de susciter de vastes développements) est aussi un laboratoire des relations femmes/hommes. Fier de sa tradition pionnière, Israël est aussi un pays pilote en matière de « féminisme constructif » et notamment par le biais de son armée de défense.
Ce petit livre se structure suivant trois parties soit : « La maison de mon père », que reprend le titre général, « Mes premiers jours au kibboutz » et « Trois rencontres », soit un discours prononcé à l’occasion de la cérémonie de réception du titre de Citoyenne d’honneur de la Ville de Jérusalem, le 18 mai 1971. Je vais en rendre brièvement compte tout en vous invitant à lire ce livre dans son intégralité.
La maison de mon père.
Il s’agit d’une suite de portraits familiaux esquissés avec vigueur, une suite dont ressortent le portrait du père, de la mère et d’une sœur qui a eu une importance particulière dans la vie de Golda Meir, ce qu’elle dit dès la première page : « Mon engagement politique me vient plutôt de ma sœur que de mes parents ». Ce sont des portraits vigoureux, sobres et empreints de respect. Golda Meir présente une famille forte où les femmes tiennent une place centrale, à commencer par cette grand-mère, prénommée Golda, sans laquelle aucune décision n’est prise. Golda Meir estime devoir quelque chose à chacune et à chacun de ses proches et elle les en remercie. De fait, on éprouve du bonheur à lire ces pages où la famille apparaît comme un puissant socle et où les relations femmes/hommes ne sont pas systématiquement dénigrées comme elles le sont aujourd’hui par divers mouvements, l’homme étant présenté comme un oppresseur et un violeur potentiel. Le père occupe une belle place dans ces pages même si Golda Meir confie que la mère « était plus sagace que mon père et plus à même de prendre des initiatives ».
Les parents de Golda Meir donnent naissance à huit enfants (quatre fils et quatre filles), cinq d’entre eux meurent avant leur un an. Ne reste que trois filles dont Golda et Shayne, de neuf ans son aînée, un personnage central pour la future Premier ministre de l’État d’Israël.
Golda Meir naît à Kiev dont elle n’a que très peu de souvenirs. A cinq ans, elle revient avec sa famille à Pinsk (en Biélorussie) dont tous sont originaires tandis que le père part pour les États-Unis afin d’y préparer un meilleur avenir pour lui et sa famille. Shayne commence à militer dans le mouvement sioniste socialiste, ce qui crée une immense inquiétude dans la famille, y compris chez Golda, et ce qui pousse la mère à accélérer leur départ pour les États-Unis. Golda est profondément influencée par le sionisme de cette sœur, et elle sait qu’elles ne sont pas bundistes.
Golda Meir a huit ans. La famille part pour les États-Unis où le père qui est syndiqué à Milwaukee se considère déjà comme un peu américain. Shayne refuse de s’américaniser et de quitter les habits de deuil qu’elle porte depuis la mort de Theodor Herzl (en 1904). La mère ouvre un magasin mais le père se tient à distance de ce projet et veut rester ouvrier, une condition dont il est fier. Shayne trouve un travail dans un atelier de couture et envoie une part de son salaire à ses camarades du mouvement socialiste sioniste. Suite à la Révolution russe de 1905, de nombreux militants de ce mouvement émigrent aux États-Unis. Certains s’installent à Milwaukee où ils se réunissent à l’occasion dans l’appartement des parents de Golda.
Les tensions entre les parents et Shayne se multiplient et Golda devient un intermédiaire entre eux et elle dont elle prend souvent le parti. Golda aide son père affilié à la branche du Joint (American Jewish Joint Distribution Committee) de Milwaukee au cours de la Première Guerre mondiale ; elle le fait avec grand plaisir et œuvre en plein accord avec son père. A Milwaukee, les partis sionistes se regroupent et constituent le Poale Zion (un mouvement sioniste socialiste) en opposition aux Juifs socialistes mais opposés au sionisme. Suite à des tensions avec ses parents (concernant principalement le choix des études et de la profession), Golda rejoint Shayne à Denver. La famille de Golda est une famille juive traditionnelle. Sa langue est le yiddish. L’hébreu se tient timidement à l’arrière-plan. Les parents militent activement, notamment au sein du B’nai B’rith. Golda et sa sœur partent pour Israël en 1921. Les parents les rejoindront cinq ans plus tard. Elles partent pour Israël, Golda avec son mari, sa sœur sans son mari (qui doit s’occuper de la famille laissée sur place) et avec ses deux enfants. Malgré ses excellents souvenirs des États-Unis, Golda n’éprouvera jamais la nostalgie de ce pays car « notre installation en Eretz-Israël nous semblait tellement naturelle, tellement évidente, et ce dès le premier instant ».
Elle et sa sœur décident de rejoindre une kvoutsa (village collectif), soit Merhavia. En attendant, les deux sœurs logent dans un appartement de Tel Aviv. Shayne reste à Tel Aviv où elle travaille dans un hôpital tout en s’occupant de ses enfants. Golda et son mari finissent par s’installer à Merhavia.
Les parents arrivent en Eretz-Israël. Golda et son mari partagent leur temps entre Tel Aviv et Jérusalem. Les parents s’installent à Herzliya où le père construit presqu’entièrement de ses propres mains sa maison, l’une des premières de la zone C de ce village. Elle est située sur un promontoire entre deux villages arabes. Golda écrit : « Herzliya se trouvait alors entre deux villages arabes et la situation sécuritaire n’était pas très brillante. Comme la maison de mon père se trouvait sur un promontoire, on y avait installé la cache d’armes de la Haganah, et presque jusqu’à son dernier jour, il ne renonça pas à son tour de garde nocturne. Pendant les événements de 1929, les femmes et les enfants furent évacués de cette partie de Herzliya, mais ma mère refusa de partir et y resta avec mon père. »
Mes premiers jours au kibboutz.
J’ai lu et relu ces quelques pages avec un plaisir particulier. Il s’agit d’un discours en réponse au discours de bienvenue prononcé par des membres du kibboutz Revivim (où vivent alors sa fille et sa famille), en 1969, un jour de Pessah. A partir de souvenirs d’une vie quotidienne rude et pleinement assumée, on perçoit les qualités de cette grande dame. L’essentiel de ces quelque vingt pages a trait à l’expérience de Golda dans la cuisine du kibboutz où elle avait travaillé. Elle commence par confier qu’elle ne savait alors pas grand-chose au sujet des kibboutz, et elle évoque les difficultés rencontrées à Merhavia du fait d’un préjugé défavorable à l’égard d’une jeune fille américaine, mariée de surcroît.
Elle donne nombre de détails touchant au quotidien et à ses efforts pour l’améliorer avec les moyens du bord, très limités. Elle évoque la préparation du pain à laquelle elle est préposée. Elle décide de le pétrir non pas à sec comme les anciennes ou avec beaucoup d’eau (ce qui facilite le travail) mais avec un peu d’eau. Et puis il y a le problème de l’huile, du petit-déjeuner, du poisson salé et autres questions culinaires, sans oublier la lessive et le repassage des vêtements… Il est également question des mouches, un problème contre lequel l’inventive Golda ne trouve pas de solution : « L’été, nous allions en général travailler vers quatre heures du matin car, lorsque le soleil se levait, le travail dans les champs prenait fin. Nous nous enduisions de vaseline (lorsqu’il y en avait), nous portions des cols hauts, des manches longues, nous nous couvrions de châles – et nous revenions avec des mouches collées dans les oreilles, les yeux et le nez. Les vaches elles-mêmes fuyaient les champs pour leur échapper ». Il y a aussi la malaria (Golda en est victime et est hospitalisée) et la fièvre pappataci dont elle décrit les symptômes d’autant mieux qu’elle en est également victime. Et elle termine son discours sur cet espoir a priori si simple mais si compliqué pour Israël d’une vie tranquille, d’une vie paisible pour le peuple d’Israël, une vie non pas d’une heure, d’une nuit mais de chaque heure, de chaque nuit, « car c’est ainsi que cela doit être ».
Trois rencontres.
Trois rencontres ? Golda Meir nous rappelle qu’elle a grandi dans une famille juive traditionnelle mais sans jamais vraiment comprendre ce que signifiait Jérusalem, à commencer par le Kotel, sans comprendre ce que pouvait représenter le fait de glisser entre ses pierres un morceau de papier, un kvitel. Pourtant, une fois devant, elle comprend… C’est la première rencontre.
La deuxième rencontre. Guerre des Six Jours, elle peut enfin se rendre au Kotel à peine libéré. Devant le Kotel prient de jeunes parachutistes revêtus d’un châle de prière. Elle s’approche et glisse un kvitel entre deux pierres. Survient alors l’une des choses les plus grandes de sa vie (ce sont ses mots) : l’un des parachutistes « qui ne savait sans doute pas qui j’étais (…) posa sa tête sur mon épaule et se mit à pleurer comme un nourrisson » et « j’eus le privilège (…) d’être pour lui comme une mère ».
La troisième rencontre. Près du Kotel, en soutien aux Juifs d’U.R.S.S., un puissant État qui cherche à couper ses citoyens Juifs de leur passé et de leur présent et, ainsi, les empêcher de penser l’avenir de leur peuple.
Golda Meir, « La maison de mon père », traduction et présentation de Pierre Lurçat, éditions Books on Demand
Olivier Ypsilantis
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